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poussa à commettre un acte qui fut blâmé des gens sages de son parti. Il regardait un jour passer une procession. Enflamé de fureur à la vue du simulacre de saint Antoine que portait un prêtre, il le lui arracha des mains et le jeta du haut du pont dans la rivière. La foule stupéfaite de cette audace sacrilége, fut saisie d'une terreur panique, ce qui sauva Farel d'une mort à peu près certaine. Frédéric Spanhein attribue son salut à la protection divine (4). Avec non moins de raison, les catholiques durent l'attribuer au démon, s'ils ne prirent pas l'iconoclaste pour le diable en personne. Farel finit par convertir cette population qu'il avait commencé par terrifier; c'est-à-dire qu'à son exemple, elle se fit iconoclaste, brisa ou brûla les statues et les tableaux qui décoraient ses églises, n'observa plus les jours de jeûne, mangea de la viande les vendredis et les samedis, jeta les reliques des saints au vent, enterra ses morts sans prières, et regardant le mariage des prêtres comme nécessaire et les bonnes œuvres comme inutiles, elle crut ce que prêchait Farel, que l'homme est sauvé par la foi seule en Jésus-Christ. Voici comment parlait au colloque de Lausanne ce tribun qui avait la taille d'un nain, mais la voix éclatante comme le bruit du tonnerre:-«Et vous tous, >> en pouvez estre témoins, si plus estes pressez d'inconti» nence, après avoir mangé un peu de lard en la vigne, ou » en la taverne des poissons bien espicez? Affin que je ne >> parle point des gros et gras ventres et mentons à deux >> rebras, comment sont-ils continents, quand ils sont bien >> farcis de poissons? A quoi il faut ajouster que cette loy a esté » faite par les papes pour couvrir leur gourmandise; car la » ville de Rome, pleine de gourmandise, singulièrement » cherche ses délices ès poissons.

(1) Bayle, lor. cit.

» Il ne suffit pas qu'un povre laboureur ait porté ses géli»nes à saint Loup, baillé ses œufs à ses enfants pour » s'aller confesser, le fromage aux questants, linge et laine >> au saint Esprit, le jambon à saint Anthoine, comme les » questeurs et porteurs de rogatons donnent à entendre: » donne davantage blé, vin et toutes choses à tous les man» geurs du Pape qui t'ont rongé. Quand un peu de lait te sera » demeuré, la cruauté du Pape et des siens, qui tout t'a osté >> et prins, et rien ne t'a donné, ne permet pas que tu en >> mettes au pot avec des pois, que tu en cuises; mais faut » que tu manges tes pois avec du sel et de l'eau sans autre » chose.» (1). Après avoir entendu un pareil langage, comment les paysans ne se seraient-ils pas convertis ? comment auraient-ils continué de payer la dime au clergé, d'observer les jours de jeûne et d'abstinence? Et pourtant dans la plupart des cantons Suisses, chose étonnante! les paysans aimèrent mieux rester catholiques, que d'accepter la nouvelle religion qu'ils trouvaient sans doute trop commode pour croire qu'elle vint de Dieu.

Farel alla ensuite à Neufchâtel, où sa prédication eut le même succès que dans la ville d'Aigle. Le clergé, pour ne pas l'entendre, se boucha les oreilles avec des flocons de soie ; il fit même sonner les cloches, pendant que le prédicant était en chaire, pour l'étourdir et l'empêcher d'être entendu du peuple qui accourait en foule à ses sermons. Mais l'endiablé Dauphinois gesticulant, se démenant, à moitié caché dans la chaire, à cause de sa petite taille, se dressant sur la pointe des pieds, montrant un altier visage, ombragé d'une barbe

(1) Ruchat, t. VI, p. 226. ACTES De la dispute de LAUSANNE, cité par Audin. HIST. DE CALVIN histoire.

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- Voir ci-après la dispute de Lausanne, au chap. XII de cette

inculte et des touffes de ses cheveux roux, lançait des éclairs de ses ardentes prunelles, criait, tempêtait; et sa voix de tonnerre dominait le son des cloches. Les prêtres finirent par l'entendre, et le peuple enthousiasmé pour le nouvel évangéliste, s'empressa d'adopter une religion qui lui semblait d'autant meilleure qu'elle lui enseignait à ne se priver de rien. Aussi Bayle assure-t-il que Farel, venu à Neufchâtel en 1529, y combattit avec tant de force le parti des catholiques romains, que cette ville établit parfaitement la réforme le 4 novembre 4530. En se servant du mot force, Bayle pensait peut-être à celle des poumons de Farel, puisqu'il a raconté sa victoire sur le son des cloches.

Voilà l'homme qui, en revenant du synode des Vaudois, s'était arrêté à Genève. Dès que le bruit de l'arrivée des deux prédicants se fut répandu dans la ville, tous les partisans de la nouvelle religion vinrent les trouver à l'auberge de la Tour-Perse. Ils voulaient, disaient-ils, être éclairés sur les points de la doctrine qu'ils ignoraient encore. Les deux ministres n'eurent pas de peine à les satisfaire. Ils leur montrèrent les abus qu'ils prétendaient s'être introduits dans l'ancienne religion, et en même temps la nécessité d'y rémédier au plus vite. Ils persuadèrent à leurs auditeurs qu'il fallait donc mettre la main à l'œuvre. Les principaux de leurs adhérents furent Ami Perrin, Claude Salomon dit Pasta, Claude Bernard, Jean Chautemps, Dominique d'Arlod, Claude Savoye, Ami Porral, Robert et Pierre Vandel, frères, Claude Roset, Jean Goula, Étienne Dada, Jean Sourd, Baudichon de la Maison-Neuve et Claude de Genève. Ils répandirent bientôt dans la ville les paroles qu'ils avaient entendues de la bouche des prédicants, ce qui multiplia le nombre de leurs prosélytes. Le succès de ces prédications parvint aux oreilles du conseil épiscopal et des chanoines. L'abbé de Bonmont, vicaire de l'évêque, s'en émut, et se hâta d'assembler chez lui les principaux membres

du clergé, pour les consulter sur les moyens d'étouffer à sa naissance une secte qui ne tendait à rien moins qu'à renverser la religion établie. Il fut convenu dans cette assemblée, que Machard, secrétaire de l'évêque, et deux syndics iraient trouver Farel et Saunier, pour leur déclarer que le conseil épiscopal et celui de la ville étaient informés de la doctrine qu'ils avaient prêchée, et pour leur demander, en même temps, s'ils consentaient à la soutenir en présence de ces deux conseils.

Les prédicants répondirent qu'ils étaient tout prêts à faire de leur foi une profession publique, et les deux syndics leur ayant promis une entière sûreté, ils allèrent avec eux au lieu où s'étaient assemblés le conseil épiscopal et les chanoines. En passant dans les rues, ils furent en butte aux insultes du peuple que la curiosité attirait sur leur passage.

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Farel, d'après le récit de la sœur Jeanne de Jussie, fut d'abord interrogé par l'official maître de Vegi, lequel lui demanda << qui l'avait envoyé, et pour quelle cause et de >> quelle autorité? Le povre chétif respondit qu'il estoit en» voyé de Dieu et qu'il venoit annoncer sa parole. Monsieur » l'official lui dit : Et comment? tu ne montres aucun » signe évident que tu sois envoyé de Dieu, comme fit Moïse >> au roi Pharaon; et quant à nous prescher, tu n'apportes » aucune licence de nostre révérendissime prélat, l'évesque » de Genève; et aussi tu ne portes point habit tel que font >> ceux qui ont accoutumé de nous annoncer la parole de » Dieu; et toy, tu portes l'habillement de gendarme et de » brigand? » (1)

Les deux prédicants ayant été introduits dans l'assemblée, un des assistants demanda qu'on leur permit de faire

(1) LE LEVAIN DU CALVINISME, par la sœur Jeanne de Jussie, cité par Audin.

l'exposition de leur doctrine; mais le juge des excès s'y opposa, en disant: -Si disputetur, totum ministerium nostrum evertetur; « Si l'on dispute, l'autorité de notre ministère sera détruite totalement. »>On traita les deux ministres de séditieux, de perturbateurs du repos public. Farel à qui ces injures étaient plus particulièrement adressées, répondit qu'on avait tort de le maltraiter, qu'il prêchait la religion du Christ que les apôtres avaient annoncée, qu'il était prêt à rendre raison de sa foi devant tout le monde et de la maintenir jusqu'à la mort. Il ajouta qu'on ne devait pas l'empêcher de prêcher la parole de Dieu à ceux qui souhaitaient de l'entendre; que s'il voulait user de récrimination, il leur dirait que leur vie déréglée et celle de leurs semblables, les dogmes superstitieux de leur croyance, basés sur des inventions et des traditions humaines, avaient causé mille désordres, non seulement dans Genève, mais dans tout le monde chrétien.

Ces reproches jetés violemment à la face des membres du conseil épiscopal et du chapitre, irritèrent toute l'assemblée. Un chanoine en fut tellement exaspéré qu'il se leva de son siége en s'écriant: Blasphemavit! blasphemavit!

<«< Il a blasphémé ! il a blasphémé! »

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<< Parlez-donc le langage de Dieu, et non celui de Caïphe,» répliqua Farel de sa voix de tonnerre.

Ces insultantes paroles mirent le comble à l'irritation générale, «Au Rhône! au Rhône l'hérétique ! crie-t-on de toutes parts, au Rhône le luthérien, le chien! au Rhône, au Rhône! » On se rue sur Farel, on le pousse, on le bouscule. Les plus animés lui donnent des coups, ainsi qu'à Saunier, son collègue. Heureusement pour les deux ministres, les syndics, qui leur avaient donné parole qu'on ne leur ferait aucun mal, interposent leur autorité. Ils rappellent au conseil épiscopal que les deux prédicants se trouvent là sous la

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