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grands avaient déconsidéré cette institution devant le peuple qui formait la masse des guerriers; et, à son tour, le peuple, envieux des privilèges qui lui avaient été refusés, mina les oligarchies que ne justifiaient plus de grands services. L'ambition prenait vite les masses dans des États aussi restreints, dans des villes ou communes royales où tous vivaient côle à côle et que ne recommandaient, ni la grande propriété territoriale, ni la nécessité du gouvernement de provinces étendues. Mais là, comme partout ailleurs, lorsqu'une prédominance gouvernementale régulière n'est pas acceptée, ce n'est plus au pouvoir monarchique basé sur les institutions, ni à une aristocratie prépondérante et relativement sage, auxquels le peuple se soumet; c'est aux pieds de ses propres chefs, gouvernants beaucoup moins respectables que les précédents, qu'il se précipite. L'histoire a parfaitement dénommé ce fait en appelant ces nouveaux chefs, non des rois, mais des tyrans; et le mot est resté, car il signifie le pouvoir qu'aucune règle ne commande, qui, né de la popularité d'un jour, ne subsiste que par la rigueur et succombe bientôt, exécré de ceux-là mêmes qui l'avaient élevé.

L'anarchie gouvernementale, due à ces changements successifs, permit que lors de l'établissement d'un ordre relatif, tel État fut gouverné aristocratiquement, tel autre démocratiquement; quelquesuns enfin, tantôt d'une manière, tantôt de l'autre. Dans certains centres comme en Laconie, où le pouvoir des conquérants s'était maintenu, on trou

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vait une aristocratie formée des guerriers, à côté d'un peuple composé d'esclaves et d'ilotes.

En résumé, à la fin de la longue période qui sépare les temps héroïques de l'époque des guerres médiques, les formes gouvernementales des différents Etats se trouvèrent modifiées de telle sorle que la monarchie continua à subsister dans la Grèce du nord, tandis que la forme républicaine prédomina dans celle du sud, sauf à Sparte. Mais, tant que la forme républicaine l'emporta, les peuples eurent une histoire sans de grandes données morales ou politiques; elle ne fut que le récit d'une existence troublée. La basse envie de tous les mérites ou la jalousie de toute supériorité qui se ressemblent tant, frappèrent perpétuellement les grands hommes, aussitôt les services rendus, et souvent ne leur laissèrent pas même le temps d'achever leur œuvre. Que d'entreprises nationales furent ainsi arrêtées qui eussent donné aux Grecs une gloire incomparable et dont l'avortement les laissa dans une médiocrité relative! Si du moins, dans cet ordre d'idées, les peuples avaient été heureux? Mais non; car c'est le propre d'une démocratie d'être toujours sous un joug quelconque. Tantôt c'est une faction qui domine, tantôt c'en est une autre, et celle qui l'emporte frappe impitoyablement, au grand détriment de la chose publique; quitte, le lendemain, à être frappée de même. C'est Socrate buvant la ciguë, c'est Aristide, c'est Thémistocle, c'est Cimon, bannis. C'est Athènes en guerres incessantes contre Sparte, c'est Corinthe combattant Corcyre, Thèbes acharnée contre

Sparte; ce sont les Alcméonides chassant d'Athènes les Pisistratides, ce sont les cinq cents, les quatre cents, les trente, tantôt vainqueurs, tantôt vaincus, c'est enfin la trahison tuant la patrie!

Les peuples de l'Épire, de la Thessalie, de la Macédoine n'eurent pas une histoire aussi bruyante; sauf de rares intervalles, ils vécurent plus libres et plus heureux jusqu'au jour où Philippe et Alexandre les conduisirent. Que pesèrent alors devant ces princes les fières républiques de la Grèce? Athènes, Corinthe, Thèbes, Sparte cherchèrent les grandes vertus dont elles avaient fait parade et ne les trouvèrent plus. Leurs combinaisons démocratiques les avaient toutes tuées.

Il ne faut cependant pas conclure de ce qui précède que les Grecs n'ont pas droit à une grande place dans l'histoire et qu'ils n'ont pas contribué puissamment à la diffusion de la civilisation; ce serait aller au delà des bornes et trahir la vérité. Ce que l'on peut leur reprocher, c'est d'avoir moins été, dans leur vie intime, les créateurs et les propagateurs de la liberté que de l'anarchie. Dans le monde, n'ayant aucun guide, leur belle imagination s'est abandonnée au hasard. Dans le domaine de la politique ils ont été les mêmes que dans celui de l'intelligence. Sur les côtes de l'Asie Mineure, dans les îles de la Méditerranée, en Italie, en Gaule, en Espagne, en Afrique ils ont fondé, sans aucun plan, au gré des événements, de nombreuses colonies qui toutes étaient l'image de leur mère patrie ; aussi, au bout de peu de temps, y trouvait-on les

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mêmes causes de dissensions, intestines. L'une était fille d'Athènes, l'autre de Sparte; mais aucune n'était franchement grecque; et les guerres que se faisaient les métropoles trouvaient partout leurs échos. En législation comme en philosophie ils ne surent jamais reconnaître une règle ici la loi de Lycurgue, là celle de Solon; les uns furent disciples de Pythagore, d'autres acceptèrent Platon pour maître, d'autres enfin crurent aux doctrines d'Aristote. Des systèmes philosophiques multiples leur furent enseignés, mais l'ensemble de la population ne sut jamais en distinguer un et l'adopter; malgré tout cela, ce fut une grande race que la race pélagique. Partout où elle se fixa, de l'Asie Mineure aux rivages de l'Espagne, elle transporta sa civilisation et son génie; chaque émanation trouva des hommes remarquables dans tous les genres. Et si l'on met en ligne leurs éminentes qualités, on ne peut qu'admirer les résultats intellectuels auxquels ils parvinrent dans d'aussi mauvaises conditions.

BARBIE DU BOCAGE.

II.

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CHAPITRE II

LA CIVILISATION GRECQUE

Ce que nous cherchons dans ce travail, nous l'avons dit maintes fois, c'est moins l'énumération des faits relatifs aux annales populaires que l'histoire générale des progrès de la civilisation; aussi, bornant ce court résumé des origines et des fastes des Grecs, porterons-nous désormais nos recherches sur la part qui leur revient dans le domaine intellectuel où leur génie s'est surtout développé.

Le sixième siècle avant l'ère chrétienne est bien l'époque de la renaissance de la Grèce. Le premier symptôme qui se soit produit de ce renouveau, c'est dans la poésie qu'il faut en chercher l'origine. La généralisation, qui ne put jamais exister en politique chez les populations grecques, s'établit facilement en ce qui regarde la branche poétique de la littérature. Les Grecs subirent la loi naturelle qui fait que les chants exprimés dans une langue se répandent dans tout le domaine où cette langue est parlée et se nationalisent sur les parties les plus éloignées de ce domaine. Dans ce cas particulier, il y eut ce fait très remarquable, sur lequel on

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