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De désespoir il se jeta dans l'épicurisme et le stoïcisme qui l'anéantirent. La Grèce, foyer de civilisation mal assise, génératrice de corruption, dont les citoyens priaient ceux auxquels ils ne croyaient pas, chanta ses cantiques sur des notes fausses; elle mit plus de temps qu'Alexandre à mourir, mais, comme État, elle mourut. Sa population, facilement vaincue, devint une institutrice qui, plus tard, triompha de ses élèves, en inoculant sa perversion, et dans Rome et dans Byzance.

Après la mort d'Alexandre, dans le territoire des Hellènes, la politique alla de mal en pis. Le grand héros macédonien ne laissa pas de successeur; et la destinée de son vaste empire resta confiée au hasard. Une sorte de stupeur s'empara des nombreuses populations qui furent soumises à ses lois. Toutes semblaient prévoir des déchirements causés par les ambitions rivales. Alexandre ne laissait qu'un frère imbécile et un enfant au berceau, une régence était donc nécessaire; et les chefs qui se pressaient sur les marches du trône allaient se la disputer. C'est en effet ce qui arriva : De l'immense empire s'étendant de la Grèce à l'Indus, pendant vingt-trois années, l'assassinat de la famille d'Alexandre et des guerres sans nombre firent naître un effrayant désordre. Il en sortit cependant, vers 301 avant notre ère, l'empire des Séleucides en Asie et celui des Lagides en Égypte.

Séleucus et Ptolémée étaient des gens relativement sages. Ils comprirent que, devant les populations, ce qu'ils avaient de mieux à faire c'était de

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continuer l'œuvre due au génie d'Alexandre. Ils tournèrent leurs efforts du côté de l'extension du commerce et profitèrent des grandes lignes données par leur maître. Séleucus ayant reculé jusqu'au Gange les limites de son empire, chercha à établir de grands courants commerciaux, de ce fleuve à la Mésopotamie ou à la Syrie, par les contrées du nord. Les négociants de l'Inde, remontant la vallée de l'Indus jusqu'à l'Indou-Kousch, prenaient la direction de l'ouest et venaient aboutir au sud de la mer Caspienne, où ils étaient rejoints par un autre commerce encore peu développé, celui des marchandises chinoises et des fourrures du nord venant par Samarkand, la capitale de la Bactriane. Une fois réunies, toutes ces marchandises traversant le sud de l'Arménie se répandaient dans la Mésopotamie, la Syrie, l'Asie Mineure et dans la Méditerranée par le Pont-Euxin. De leur côté, les Lagides, qui régnèrent près de trois cents ans sur l'Égypte, mettaient tous leurs soins à faire prospérer le commerce avec l'Inde, mais par la voie maritime. Ils voulaient reprendre et mener à bien la merveilleuse idée d'Alexandre, possesseurs qu'ils étaient d'Alexandrie, et faire de cette ville le grand entrepôt du centre du monde. C'était le commerce fait sur les côtes de l'Arabie, de l'Afrique orientale et de toutes les Indes, mis en contact avec celui de tous les produits des rivages de la Méditerranée. Pendant leur souveraineté ils essayèrent de rouvrir le canal de Néchao, mais ils durent y renoncer. Les Lagides arrivèrent à un résultat relativement heureux; car

ils firent mieux que les Séleucides, malgré l'ambition des uns et des autres, malgré la philosophic qu'ils avaient en partie apportée de la Grèce, mais qui était quelque peu dépaysée et mal comprise par les populations égyptiennes. Les Ptolémée commandaient à un peuple presque homogène où reparaissaient encore les restes de tant de civilisations évanouies; tandis que Séleucus et ses fils, cherchant aussi à ouvrir de grandes voies commerciales, durent lutter contre des séries de peuples absolument différents de races. Mais, ce que les Ptolémée avaient surtout au-dessus de leurs rivaux, c'était une intelligence de premier ordre qui fit de l'Égypte, et particulièrement d'Alexandrie, le refuge des derniers savants grecs. Les Lagides les rassemblèrent, les encouragèrent dans leurs études et finirent par relever un peu leur renommée, faisant bien comprendre au monde entier que chaque point désigné par le génie d'Alexandre était celui dont l'emploi devait donner les plus grands progrès à la civilisation.

Ils réunirent dans leur capitale, non seulement ce que le monde intellectuel avait intérêt à garder, mais aussi ce que leur époque renfermait d'attrayant. La bibliothèque d'Alexandrie s'agrandit assez pour devenir la première de l'antiquité; et les érudits, en se promenant dans l'académie de cette ville, se figuraient avoir repris toute la gloire des Platon et des Aristote. Sous la domination plus ou moins violente des nouveaux souverains d'Égypte, ces étudiants continuèrent agréablement, forcément et fructueusement parfois, les études des véritables maîtres;

mais leur renouvellement fut, à peu près, une décadence qui, commencée lentement avec les premiers Lagides, s'accentua trop vivement, pour cesser d'exister au temps de Cléopâtre.

Bien avant la fin de la famille des Ptolémée, celle des Séleucides avait succombé. Luttant à l'occident contre les souverains d'Égypte, elle était dépouillée à l'orient par les révoltes successives de ses sujets. Bientôt les Parthes se déclarèrent contre eux et leur bouchèrent la route de l'Inde; par suite les Bactriens devinrent indépendants et se donnèrent de nouveaux rois. Battus enfin par d'autres ennemis en Asie Mineure, en 186 avant Jésus-Christ, leur immense empire cessa d'exister.

Ici, l'époque historique des Grecs, ou dite des Grecs, finit pour une portion du monde. Ce qui ressort de ce peuple pour quiconque s'intéresse particulièrement aux progrès du spiritualisme et de la civilisation, c'est qu'il a été le créateur de la liberté intellectuelle. L'homme, a fait un pas de plus vers l'accomplissement de ses destinées. La première base solide de la philosophie a été fondée; la littérature et les arts sont arrivés à leur suprême degré. Malheureusement, comme le bien dans la nature humaine ne marche pas seul, la corruption la plus dévergondée est venue à côté de lui, laissant prévoir que l'un et l'autre se combattront jusqu'au jour où la force spirituelle deviendra la souveraine absolue du honteux matérialisme.

LIVRE IX

HISTOIRE DES ROMAINS.

« Ce qui est le hasard à l'égard de nos conseils incertains est un dessein concerté dans un conseil plus haut, c'est-à-dire dans ce conseil éternel qui renferme toutes les causes et tous les effets dans un même ordre. De cette sorte tout concourt à la même fin; et c'est faute d'entendre le tout, que nous trouvons du hasard et de l'irrégularité dans les rencontres particulières. » Bossuet, Discours sur l'histoire universelle. Les Empires, p. 516. Ainsi de la vertu les lois sont éternelles.

Les peuples ni les rois ne peuvent rien contre elles :
Les dieux que vénéra notre stupidité

N'obscurcirent jamais sa constante beauté;
Et les Romains, enfants d'une impure déesse,
En dépit de Vénus admirèrent Lucrèce.

Racine, La religion, chant premier.

CHAPITRE PREMIER

ETHNOGRAPHIE OCCIDENTALE

Si la recherche de la part prise par les peuples dans le développement de la civilisation est difficile lorsqu'il s'agit de chaque agglomération humaine, combien n'est-elle pas plus ardue lorsqu'on doit scruter l'histoire de la nation où se concentrent, pendant tant de siècles, les annales de presque tous

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