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CHAPITRE PREMIER

ENSEMBLE DES ÉTATS MODERNES.

On a dit tout à l'heure ainsi finit la Renaissance. Ici on peut affirmer qu'en 1589, Henri IV devenant roi de France, ce sont les concentrations des temps modernes qui s'indiquent. C'est le moment où toutes les relations se forment, où les folies stupides ou cruelles entre catholiques et protestants s'oublient; où les masses sentent le besoin de se rassembler et de soutenir le pouvoir royal, qui seul peut constituer la patrie. En France, Henri IV, autour duquel se rallièrent tant de seigneurs réellement patriotes, par sa conversion, augmenta considérablement son influence; l'armée qu'il réunit devint assez redoutable pour lui permettre de triompher des Espagnols, déjà occupés dans les Pays-Bas où se formait l'État des Provinces-Unies. Après ce souverain populaire, la faiblesse de son fils Louis XIII permit encore la production de quelques soubresauts où la pensée d'indépendance et le fait de non-organisation de la nation jouèrent encore leur rôle; mais l'entente devenait si nécessaire que ces convulsions furent les dernières.

En dehors de nos limites, chez les Hollandais comme chez les Anglais, l'idée d'indépendance avait jeté ces peuples dans le protestantisme. Cette religion établie écarta les querelles avec les nations étrangères. Ces peuples bonifièrent sensiblement leur état social et augmentèrent chaque jour les bénéfices résultant du commerce et de l'industrie. En Angleterre Élisabeth lança ses navires dans des mers encore presque inconnues; les Drake et les Davis ont fait valoir le nom anglais, soit au sud de l'Amérique et de l'Afrique, soit dans la région que terminent les glaces du nord-ouest. En Hollande, les habitants, ayant moins à lutter contre la tyrannie espagnole, en étaient venus à chercher le progrès matériel dans le commerce maritime. Après les Portugais ils étaient devenus les intermédiaires des échanges de marchandises, couvrant ainsi les pertes que leur avaient imposées les guerres en Europe. A chaque cargaison débarquée ils comptaient le bénéfice acquis. L'espace à parcourir ne leur causait aucune crainte, car dans les mers de l'extrême Orient ils créèrent l'empire des îles Meluques. Ce fut une grande et superbe colonie dont leur intelligence est encore la maîtresse.

L'Espagne se retirait et se concentrait dans la presqu'île ibérique; l'Allemagne et l'Italie commençaient à respirer.

Mais, tandis que chacun des peuples de l'Europe était appelé à concentrer ses efforts sur la réussite de ses intérêts personnels, il se créait, en quelque

sorte une histoire européenne où la France, autant par sa position géographique que par l'esprit vif et varié de sa population, devint le centre où se rencontraient les actes des nations voisines. Elle se trouvait forcément placée à la tête de l'Europe, et elle devint le foyer de la civilisation moderne. Bien plus, c'est chez elle que naquirent ces lumières qui, se répandant ensuite dans le monde entier, bonifièrent chaque nation et contribuèrent à former les agglomérations si curieuses à l'heure actuelle, qui se sont fait une place dans l'histoire générale. C'est donc dans le tableau très abrégé des annales françaises qu'on peut suivre, depuis l'avènement de Henri IV, les destinées de l'Europe d'abord, puis du monde entier.

Dans l'étude de l'histoire, il y a des appréciations dont le résultat est des plus curieux, parce qu'il donne la valeur des hommes qui exercent une influence sur les destinées de leur pays. Cette étude des personnalités est surtout pleine d'intérêt lorsqu'elle démontre que les idées de ces hommes sont d'autant plus intéressantes qu'elles s'occupent de certaines données générales, dont l'application est la vraie politique. Soutenir la moralité humaine, c'est une preuve de génie, le bien-être général en étant la suite. Il en fut ainsi pour Henri IV. Né d'une branche collatérale de la première famille souveraine du monde, dans sa jeunesse, en dehors de la petite et encore sauvage Navarre, ce futur grand homme fut privé de bien des études auxquelles un souverain a droit. Élevé,

et presque prisonnier à la cour de France, il a eu, tout en affectant, dans ses mœurs ordinaires, dans sa fréquentation des gens aux habitudes italiennes, une perspicacité profonde qui l'aida à tout comprendre sans jamais s'abandonner. En s'amusant à la cour des Valois, il l'a profondément étudiée et s'est rendu compte des véritables intérêts, non seulement du souverain de la France, mais de la nation française tout entière au point de vue, soit de la morale, soit de la politique; aussi, plus tard, à la mort de Charles IX, son droit de régner fut-il un véritable coup de fortune pour notre pays. Avant lui, il y a eu parfois des effets salutaires dus aux lois générales votées par les parlements et aux qualités des souverains; mais jamais aucun pouvoir n'a eu cette grave pensée de dire à un peuple tout entier «Mettez la poule au pot »; j'ai une main sur le sceau de justice et l'autre sur la garde de mon épée. C'est ce qu'il y eut de plus grand, de plus noble. C'était créer d'un mot typique une excellente monarchie, source de bonheur et de gloire.

Henri IV fit intelligemment mieux encore il sut choisir Sully, et, avec lui, mit l'ordre dans les finances, donna à la propriété une base réelle, créa les régiments, c'est-à-dire l'armée française, fit construire des fortifications de tout genre, engagea ses sujets à tirer parti de leur sol et poussa aux grands progrès de l'agriculture. Il en arriva même à ouvrir des débouchés commerciaux nouveaux. Tandis que d'un côté, par des travaux de routes et de canaux, il bonifiait nos provinces et le Médoc en

particulier, de l'autre il faisait planter partout des mûriers destinés à nourrir des vers à soie dont le produit devait servir à la confection de magnifiques étoffes. Il autorisait également la création des verreries et des cristalleries; en un mot de tout ce que les étrangers fabriquaient d'agréable et de fructueux.

Au Canada, il envoya Champlain fonder Port-Royal et Québec. Il obtint du grand Turc cette énorme concession, aujourd'hui en train de disparaître, que tous les chrétiens étaient dans tout l'Orient protégés par le pavillon français. Après les tristes et cruelles guerres religieuses, il eut l'honneur de créer, pour ses sujets, avec son intelligence et son savoir, une civilisation nouvelle dont les résultats devaient s'augmenter chaque jour et arriver, sous son second successeur, à faire réellement de la France la reine du monde. Lorsque Henri IV devint maître du pouvoir, il fut brave et intelligent au suprême degré. Protecteur de tous, il mit tous ses soins à assurer le bonheur et l'avenir de son pays; et sa politique aurait fait le péril de la maison Austro-Espagnole, s'il n'était tombé assassiné par le sectateur de quelque parti lâche.

C'est après la mort de ce grand monarque qu'on commença en France à recueillir le bénéfice de ses bienfaits. Louis XIII était loin cependant de valoir Henri IV; mais il eut du moins ce singulier mérite de savoir reconnaître les qualités remarquables d'un homme, de faire de cet homme son premier ministre et de le soutenir contre toutes les oppositions d'une noblesse généralement catholique, mais par

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