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l'industrie anglaise devaient nécessairement s'accroitre d'une manière indéfinie, et qu'ils tendaient également à développer, chez tous les peuples, la population et les subsistances. Il était peut-être facile de prévoir que tôt ou tard la production industrielle excéderait les besoins de la consommation, et que d'ailleurs les procédés de cette industrie devant se révéler à toutes les nations, il en résul terait une concurrence universelle de produits manufacturés; que, dès lors, l'industrie de chaque état de l'Europe finirait par réagir sur l'industrie de l'Angleterre, et par subir elle-même, à son tour, les conséquences de cette lutte nouvelle.

Quoi qu'il en soit, tout en rendant un juste hommage à l'habileté incontestable avec laquelle M. le comte Garnier a montré à la France les voies les plus sûres de sa prospérité et de sa puissance, et dévoilé les vices de la richesse factice de l'Angleterre, nous croyons qu'il est des causes morales que l'on ne doit pas négliger dans cette double appréciation. Pour découvrir plus complétement l'origine du paupérisme qui ravage la Grande-Bretagne, nous devons donc remonter plus loin et plus haut.

Nous avons rappelé plusieurs fois que la théorie du sensualisme appliqué à la civilisation avait pris naissance en Angleterre, et l'on ne peut méconnaître son influence sur les doctrines économiques et politiques de ce pays. Or, il peut être permis, sans encourir le reproche d'intolérance, d'attribuer cette innovation dans les principes, qui, jusqu'alors, avaient régi les sociétés chrétiennes, à l'effet de la réforme embrassée par Henri VIII. « Sous le rapport religieux, dit M. de Châteaubriand, la réformation devait conduire insensiblement à l'absence complète de la foi. La raison en est que l'indépendance de l'esprit aboutit à deux abîmes, le doute et l'incrédulité. »

Nous allons continuer de citer l'illustre écrivain sur un sujet qu'il a traité avec une admirable profondeur dans

ses études historiques. Les hautes considérations qu'il em- . brasse se lient plus ou moins directement à notre système, que nous ne saurions priver d'un si noble appui, et dont nous ne tarderons pas à poursuivre le developpement.

<< Par une réaction naturelle, la réformation, en se montrant au monde, ressuscita le fanatisme catholique qui s'éteignait. Elle pourrait donc être accusée d'avoir été la cause indirecte des horreurs de la Saint-Barthélemi, des fureurs de la ligue, de l'assassinat de Henri IV, de la révocation de l'édit de Nantes et des dragonades. >>

« Le protestantisme criait à l'intolérance, tout en égorgeant les catholiques en France, en jetant aux vents les cendres des morts, en allumant les bûchers de Sirven à Genève, en se souillant des violences de Munster, en dictant les lois atroces qui ont accablé les Irlandais à peine aujourd'hui délivrés après deux siècles d'oppression. Que prétendait la réformation relativement au dogme et à la discipline? Elle prétendait bien raisonner en niant quelques mystères de la foi catholique, en même temps qu'elle en retenait d'autres tout aussi difficiles à comprendre (1). Elle attaquait les abus de la cour de Rome; mais ces abus ne se seraient-ils pas détruits par les progrès de la civilisation? ne s'élevait-on pas de toutes parts et depuis long

(1) On peut juger de l'incohérence et de la confusion des idées qui ont présidé à l'établissement du protestantisme, par l'extrait suivant, tiré du Dictionnaire théologique de l'abbé Bergier.

par

« On appelle religion anglicane celle qui est autorisée en Angleterre les lois, pour la distinguer de celles qui ne sont que tolérées. »

« De toutes les communions chrétiennes non catholiques, les anglicans sont ceux qui s'écartent le moins de la croyance de l'église romaine; ils en rejettent cependant un grand nombre d'articles essentiels. >>

« Ils font profession de croire la trinité, l'incarnation, la descente de J.-C. aux enfers, la divinité du St.-Esprit. Ils reçoivent le symbole des apôtres, celui du concile de Nicée et celui de saint Athanase. »

<< Ils ont décidé que tous les hommes naissent souillés du péché originel; qu'ils ont cependant un libre arbitre, mais qu'ils ne peuvent faire aucune

temps contre ces abus ? Erasme, Rabelais et tant d'autres ne cominençaient-ils pas à faire sentir, sans le secours de

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bonne œuvre sans le secours provenant de la grâce; que l'homme est justifié par la foi seule. »

<< Ils rejettent la doctrine de l'église touchant le purgatoire, les indulgences, la vénération des images et reliques, l'adoration des saints. >>

« La mission est nécessaire pour prêcher et pour administrer les sacremens. La mission est nécessaire, légitime, quand elle est donnée par ceux qui en ont le pouvoir: mais on ne dit point à qui ce pouvoir appartient; si c'est au roi, comme chef de l'église anglicane, ou si c'est au clergé; l'article est demeuré indécis. »>

« Il n'y a que deux sacremens : le baptême et la cène. »

« Ils rejettent le sacrifice de la messe comme un blasphême. Ils permettent le mariage des prêtres. L'autorité suprême est attribuée au roi, dans les matières ecclésiastiques, avec beaucoup plus de pouvoir qu'au pape. »

« Les fêtes, les jeûnes, l'abstinence sont conservés en partie. »

« Dans les cathédrales, il y a des lecteurs, des chantres, des vicaires, des chanoines, un sous-doyen, etc.; mais les synodes provinciaux ne peuvent rien statuer que sous l'autorité du roi. »

<< Ainsi, en conservant un certain extérieur de religion et en défigurant la doctrine catholique, les réformateurs anglicans ont fasciné les yeux du peuple et l'ont entraîné dans le schisme. »>

"

Les fonctions des évêques sont de prêcher, de donner la confirmation et les ordres sacrés, celles des recteurs de paroisse ou des curés, de prêcher, de baptiser, de marier, et d'enterrer les morts. Les trois dernières fonctions se paient très chèrement, et tous les Anglais, sans distinction de religion, y sont assujettis; aussi, en général, le clergé est-il peu respecté en Angleterre. »

« L'on peut réduire à six chefs principaux les dogmes essentiels du calvi

nisme : >>

« 1° que J.-C. n'est pas réellement présent dans le sacrement de l'eucharistie, et que nous ne le recevons que par la foi; 2° que la prédestination et la réprobation sont absolues, indépendantes de la prescience que Dieu a des œuvres bonnes et mauvaises de chaque individu; que l'un et l'autre de ces décrets dépend de la pure volonté de Dieu, sans égard au mérite ou au démérite des hommes; 3° que Dieu donne aux prédestinés une foi et une justice inaltérables, et ne leur impute point leurs péchés; 4° qu'en conséquence du péché originel, la volonté de l'homme est tellement affaiblie, qu'elle est incapable de faire aucune bonne œuvre méritoire de salut, même aucune action qui ne soit vicieuse et imputable à péché; 5° qu'il lui est impossible de résister à la concupiscence vicieuse; que tout le libre arbitre consiste à être exempt de coaction et non de nécessité; 6o que les hommes sont justifiés par la foi seule, conséquemment, que les bonnes œuvres ne

Luther, les vices que le pouvoir non contesté et la grossièreté du moyen-âge avaient introduits dans l'Eglise ? Les rois n'avaient-ils pas secoué le joug des papes ? les magistrats ne faisaient-ils pas lacérer et brûler leurs bulles ? »

« Rebelle à l'autorité des traditions, à l'expérience des âges, à l'antique sagesse des vieillards, le protestantisme se détacha du passé pour planter une société sans racines. Avouant pour père un moine allemand du seizième siècle, la réforme renonça à la magnifique généalogie qui fait remonter le catholique, par une suite de saints et de grands hommes, jusqu'à Jésus-Christ; de là, jusqu'aux patriarches et au berceau de l'univers. Le siècle protestant dénia, à sa première heure, toute parenté avec le siècle de ce Léon, protecteur du monde civilisé contre Attila, et avec le siècle de cet autre Léon qui, mettant fin au monde barbare, embellit la société lorsqu'il n'était plus nécessaire de la défendre. >>

« On a dit que le protestantisme avait été favorable à la liberté politique, et avait émancipé les nations. Les faits parlent-ils comme les personnes? Il est certain qu'à sa naissance, la réformation fut républicaine, mais dans un sens aristocratique, parce que ses premiers disciples furent des gentilshommes. Les calvinistes rêvèrent pour la France une espèce de gouvernement à principautés fédérales qui l'aurait fait ressembler à l'empire germanique. Chose contribuent en rien au salut; que les sacremens n'ont d'autre vertu que d'exciter la foi. Calvin n'admet que deux sacremens : le baptême et la cènc; il rejette absolument le culte extérieur et la discipline ecclésiastique.

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« On se demande comment un système si mal conçu et si mal raisonné, capable de désespérer les âmes vertueuses et d'affermir les coupables dans le crime, de faire envisager Dieu comme un tyran, plutôt que comme un maître digne d'amour, a pu trouver des sectateurs dans presque toutes les parties de l'Europe. »>

<«< Les calvinistes ont été les maîtres, en Suisse, en Hollande, en Suède, en Angleterre ; là ils n'ont pas souffert l'existence de la religion catholique.

« Les lois des états protestans contre le catholicisme ont été plus sévères que celles de France contre le calvinisme, »

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étrange! on aurait vu renaître la féodalité par le protestantisme. Les nobles se précipitèrent par instinct dans ce culte nouveau, et à travers lequel s'exhalait jusqu'à une sorte de réminiscence de leur pouvoir évanoui; mais, cette première ferveur passée, les peuples ne recueillirent du protestantisme aucune liberté politique. »

<< Jetez les yeux sur le nord de l'Europe, dans les pays où la réformation est née, où elle s'est maintenue, vous verrez partout l'unique volonté d'un maître. La Suède, la Prusse, la Saxe sont restées sous la monarchie absolue; le Danemarck est devenu un despotisme légal. Le protestantisme échoua dans les états républicains; il ne put envahir Gênes, et à peine obtint-il, à Venise et à Ferrare, une petite église secrète qui mourut : les arts et le beau soleil du midi lui étaient mortels. En Suisse, il ne réussit que dans les cantons aristocratiques, analogues à sa nature, et encore avec une grande effusion de sang. Schwitz-Uri et Underwald, berceau de la diète helvétique, le repoussèrent. En Angleterre, il n'a point été le véhicule de la constitution formée bien avant le seizième siècle, dans le giron de l'église catholique. Quand la Grande-Bretagne se sépara de la cour de Rome, le parlement avait déjà jugé et déposé des rois : les trois pouvoirs étaient distincts; l'impôt et l'armée ne se levaient que du consentement des lords et des communes ; la monarchie représentative était trouvée, et marchait. Le temps, la civilisation, les lumières naissantes y auraient ajouté les ressorts qui lui manquaient encore, tout aussi bien sous l'influence du culte catholique que sous l'empire du culte protestant. Le peuple anglais fut si loin d'obtenir une extension dans l'extension de ses libertés par le renversement de la religion de ses pères, que jamais le sénat de Tibère ne fut plus vil que le parlement de Henri VIII. Ce parlement alla jusqu'à décréter que la seule volonté du fondateur de l'église gallicane avait force de loi. L'Angleterre fat-elle

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