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En fait et en raison, c'était à l'autorité chargée du maintien de l'ordre public à veiller à la répression et aux abus de la mendicité.

Aussi, il est arrivé naturellement que tandis que la charité particulière ne s'occupait des faux indigens que sous le rapport de leur misère présumée, l'autorité publique, avertie des désordres qui leur étaient attribués, a dû voir dans l'existence de cette classe de mendians, un outrage à la morale, un dommage pour les véritables pauvres et un désordre social. Il ne pouvait être question d'eux dans les institutions de la charité religieuse; leur place s'est donc trouvée dans la législation pénale. C'est aussi, dans la partie de cet ouvrage consacrée à la législation sur les indigens et les mendians, que nous avons dû consigner l'historique de ce qui concerne la mendicité.

Le tort des écrivains qui ont si vivement reproché à la charité chrétienne de favoriser la mendicité, n'est pas assurément d'avoir blâmé des abus condamnables, mais de les attribuer uniquement aux principes de l'aumône, et de confondre la généralité des mendians avec les mendians valides qui se refusent au travail, par vice ou par paresse. En réalité, parmi les mendians d'habitude, et que l'état actuel des secours publics force de tolérer, il en est peu de précisément valides. Dans le nombre de 198,000 mendians de toutes les classes, présumés exister en France, il n'en est guère plus de 30,000 que l'on puisse justement considérer comme en état de travailler et se refusant obstinément au travail. Le reste se compose de vieillards, d'infirmes, d'enfans ou d'indigens dont le nombre s'augmente nécessairement dans les momens de disette, d'interruption ou de cessation de travail. Pour avoir le droit de les empêcher de recourir publiquement à la charité publique, il faut leur assurer un asile dans les hospices, ou des secours à domicile suffisans. Leur présence, dit-on, est un objet de dégoût et déshonore la civilisation moderne. Que cette ci

vilisation les nourrisse donc, car, sans doute, elle ne veut pas les voir périr de faim! Si elle ne le fait pas, qu'on leur pardonne de mendier. Dans l'état actuel, la seule amélioration praticable est de régulariser la mendicité jusqu'à ce qu'il soit permis de la faire complétement disparaître.

Les dépôts de mendicité, établis à diverses reprises en France, ayant plutôt pour objet la répression des mendians valides et vagabonds que le soulagement de l'indigence proprement dite, rentrent dans l'histoire de la législation sur la mendicité, dont nous nous occuperons dans le courant de cet ouvrage.

Nous ferons seulement remarquer ici que cette législation est, en quelque sorte, tombée en désuétude par la force des choses, autant que par la suppression de la plupart des dépôts de mendicité.

Les administrateurs locaux ont dû chercher dès lors à concilier les principes de la charité avec le maintien de l'ordre et de la morale publique. C'est ainsi que, chargé, en 1817, de l'administration du département de Tarn-etGaronne et, en 1818, de celle de la Charente, nous avions ordonné le classement des mendians : 1o en indigens infirmes ou hors d'état de travailler; 20 en indigens manquant de travail; 5o enfin, en indigens valides, mais se refusant au travail.

Tous ceux qui, appartenant à la première classe, ne pouvaient être admis dans les hospices ou secourus suffisamment à domicile, étaient autorisés, après un examen attentif de leur situation, à recourir à la charité publique dans l'étendue de leur commune, porteurs d'une médaille apparente et munis d'un certificat délivré par le souspréfet. Ceux qui manquaient de travail étaient temporai– rement, et pendant l'interruption des travaux seulement, recommandés à la charité et autorisés à porter une médaille d'indigent. Il fallait une autorisation du sous-préfet pour dépasser les limites de la commune ou du canton.

ils

Quant aux indigens valides et se refusant au travail, devenaient l'objet de la surveillance et des poursuites de la police administrative et judiciaire.

Ces mesures avaient produit d'heureux effets; mais elles n'ont pu être continuées ni étendues à d'autres départemens, par l'incertitude où sont demeurés les tribunaux, relativement à leur application légale.

Il a fallu, par conséquent, chercher d'autres moyens de proscrire la mendicité, soit en donnant aux indigens capables de travailler, l'alternative du travail libre ou d'un travail forcé, dans une maison de réclusion, soit en offrant aux indigens infirmes ou sans travail, une maison de refuge où ils auraient en même temps des secours et du travail. Mais ces moyens n'étaient guère praticables que dans de grandes villes. Des essais, d'abord commencés à Bordeaux, par M. le baron d'Haussez; à Nantes, par nous et M. le baron de Vaussay; à Paris, par M. de Belleyme, et à Lyon, par M. le comte de Brosses, avaient obtenu des succès prompts et rapides qui méritaient des encouragemens et des imitateurs. Nous nous étions proposé de les étendre à chacun des chefs-lieux d'arrondissement du département du Nord. La révolution de 1830 a interrompu ces projets, et il paraît que les établissemens fondés dans nos principales villes se sont ressentis de son influence. Aujourd'hui la mendicité a pris une extrême extension dans les campagnes comme dans les villes; on ne saurait l'attribuer aux aumônes indiscrètes des couvens et des abbayes. Nous ignorons à quelle cause la civilisation mcderne la fera remonter et quels moyens elle emploiera pour la prévenir. Peut-être la force: nous indiquons la charité (1).

(1) Voir les chapitres IV et V du livre IV, XXII du livre V, V du livre VI, VIII du livre VII.

CHAPITRE XXI.

DE L'INSTRUCTION DES ENFANS DE LA CLASSE OUVRIÈRE.

Il disait à celui dont la main nous repousse,
Laissez-les venir à moi !

Et voilà qu'une main, mystérieuse et douce.
Tous petits, jusqu'à lui, nous mène par la foi.
(LAMARTINE, hymne au Christ.)

LE christianisme, destiné à rendre à l'homme sa haute dignité morale et à le soustraire à l'avilissement dans lequel il était tombé sous l'empire de l'erreur, n'aurait qu'imparfaitement atteint ce but sublime s'il n'avait placé au nombre des devoirs de ses ministres le soin de cultiver et d'éclairer l'intelligence, en même temps que de former le cœur. Ce n'est pas seulement par la prédication que ce ministère devait être exercé. L'instruction des enfans, et surtout des enfans des pauvres, devint une de leurs obligations les plus importantes et les plus sacrées. L'enseignement des vérités religieuses devait marcher de front avec l'enseignement nécessaire à leur condition sociale. C'est par ces vues élevées que, dans les temps les plus anciens du christianisme, les ecclésiastiques se sont empressés d'instruire eux-mêmes les enfans des pauvres.

Dès le douzième siècle, le troisième concile de Latran avait statué que, pour ne pas priver les enfans des indi

gens de l'avantage de savoir lire, il y aurait dans chaque cathédrale un maître chargé de leur donner l'enseignement. Les curés, dans leurs paroisses, se chargaient ordinairement de ce soin, qu'ils partageaient avec le sacristain ou un maître d'école attaché à l'église. Des écoles gratuites étaient placées dans les différens établissemens religieux. Successivement des congrégations religieuses d'hommes et de femmes se dévouèrent à cette œuvre bienfaisante. On vit éclore ces modestes instituteurs qui, sous le nom de frères de la Doctrine chrétienne et ces sœurs de la Charité qui, sous diverses dénominations plus ou moins touchantes, se consacrent à l'éducation des enfans des classes les plus indigentes et les plus délaissées. Mais dans la prévoyance de la charité chrétienne, le peuple devait avant tout être instruit de la religion, parce qu'elle renferme la véritable instruction du peuple. Ses instituteurs devaient être aussi des hommes religieux, parce qu'eux seuls peuvent donner l'éducation chrétienne.

Tels étaient les principes qui avaient constamment guidé le christianisme dans l'instruction des classes pauvres. L'éducation religieuse, base et garantie de leur morale et de leur conduite, la communication des lumières utiles à leur profession, enfin, des instituteurs religieux, ces trois conditions formaient le système de l'enseignement populaire; une société chrétienne n'en comportait pas d'autres, et ce dernier bienfait complétait tous ceux que la charité fille de la religion, avait répandus sur l'indigence.

Les papes, le clergé français surtout, n'ont jamais varié sur la nécessité de procurer aux classes pauvres une éducation religieuse et une instruction qui pût les mettre à même d'améliorer leur sort. Nous citerons entre autres preuves la bulle d'approbation du pape Benoît XIII, donnée à l'institut des frères de la Doctrine chrétienne, fondée per l'abbé de la Salle.

« Il considéra chrétiennement (dit cette bulle, en par

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