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lois de sa propre nature, et le malheur, de même que le désordre, n'est explicable que par la liberté. »

Il suit de ces raisonnemens que la vraie religion consiste dans la connaissance des rapports de l'homme avec Dieu. Or ces rapports sont fondés sur des faits dont nous ne pouvons être instruits que par la révélation et qui tiennent évidemment à des vérités d'un ordre surnaturel. Telles sont celles renfermées dans les mystères du christianisme qui tendent tous, d'une part, à nous donner les plus hautes idées de la puissance, de la justice et de la miséricorde de Dieu; et de l'autre, à nous faire connaître la faiblesse et la dégradation de la nature humaine (1).

En effet, ces mystères, par cela même qu'ils répriment l'orgueil et la curiosité de l'esprit humain, sont l'expression du véritable état actuel de l'homme, de ses besoins et des moyens que Dieu lui a donnés pour se relever de sa dégradation et recouvrer les droits que sa faute originelle lui a fait perdre. Remarquons bien que la religion chrétienne n'a pas créé les mystères : seulement elle les déclare et les explique dans leurs rapports avec la destinée de l'homme. Mais ils confondent la raison humaine, objecte-t-on sans cesse. Eh! sans doute; mais combien d'autres faits la confondent de même ! « La dernière démarche de la raison, a dit Pascal, c'est de connaître qu'il y a une

(1) « Tout ce qui a vie sur la terre, excepté l'homme, semble s'ignorer soi-même lui seul sait qu'il mourra, et cette terrible vérité réveille son intérêt pour toutes les grandes pensées qui s'y rattachent. >>

« Le mystère de l'univers est au-dessus de la portée de l'homme. Néanmoins, l'étude de ce mystère donne plus d'étendue à l'esprit. Raisonnez sur la liberté de l'homme, et vous n'y croirez pas; mettez la main sur votre conscience, et vous n'en pourrez douter. >>

<«< Kant place sur deux lignes parallèles les argumens pour et contre la liberté de l'homme, l'immortalité de l'âme, la durée passagère ou éternelle du monde, et c'est au sentiment qu'il en appelle pour faire pencher la balance, car les preuves métaphysiques lui paraissent en égale force de part et d'autre. Il y a de la candeur dans cet aveu de la part d'un homme auss, religieux que Kant. » ( Madame de Staël, de l'Allemagne ).

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infinité de choses qui la surpassent: elle est bien faible si elle ne va jusque-là.» « L'incrédulité dogmatique, (dit encore admirablement bien madame de Staël), celle qui révoque en doute tout ce qui n'est pas prouvé par les sensations, est la source de la grande ironie de l'homme envers lui-même : toute dégradation morale vient de là.» Aussi, nous le répétons encore c'est uniquement dans la religion qui nous enseigne comme une vérité irréfragable et comme un article fondamental de notre foi, la déchéance originelle de la race humaine, que nous avons pu trouver la seule explication complète des causes de l'inégalité des conditions sociales, et, par conséquent, la dernière raison de l'indigence. Tout ici découle de l'arrêt prononcé par Dieu et gravé dans toute la nature comme dans les livres saints.

Dieu dit à Adam: « La terre est maudite à cause de ce que vous avez fait : vous n'en tirerez de quoi vous nourrir durant votre vie qu'avec beaucoup de travail. Vous mangerez votre pain à la sueur de votre visage, jusqu'à ce que vous retourniez dans la terre d'où vous avez été tiré. Vous êtes poussière et vous retournerez en poussière. » (Genèse, chap. III, v. 17, 18 et 19.)

Les conséquences inévitables de ce formidable arrêt devaient être les désordres qui se remarquent dans le cœur de l'homme comme dans la nature physique. Tous les maux qui accablent l'humanité, les souffrances, la mort, les guerres, les calamités, les privations, et enfin l'indigence, n'ont pas d'autre source, et ils devaient se répandre sur la terre, avec les passions et les vices pour être les sévères exécuteurs de la justice divine. Mais Dieu réservait à l'homme un moyen d'expiation, et il le devait peut-être, puisqu'il ne l'avait pas anéanti. Ainsi la liberté et la vertu demeureront dans le cœur de l'homme l'aider à soutenir la lutte et à mériter de recouvrer pour ses anciens priviléges: c'est par ses progrès moraux qu'il

pourra de nouveau franchir l'espace qui l'a séparé de son séjour primitif. Le christianisme lui montrera le chemin de cette ascension céleste et en même temps les moyens de diminuer, sur la terre, les rigueurs de l'épreuve qu'il doit y subir. Telle est l'économie de la religion chrétienne, dans ses rapports avec l'homme, dont elle seule pouvait régler la situation présente par la révélation de sa destinée future.

L'Esprit Saint l'a dit

l'homme mangera son pain à la sueur de son front. De lá la nécessité du travail devenue la condition de l'existence de l'homme; de là aussi, la misère devenue le partage de l'homme qui ne voudra ou ne pourra travailler.

Dès le moment où Dieu prononça son terrible jugement, l'homme se trouvant assujetti à des besoins qui se renouvelèrent chaque jour, fut forcé de travailler sans relâche pour produire les moyens de les satisfaire.

Le travail devint successivement la grande loi de l'individu, de la famille, de l'association. Soit qu'il dût s'ơpérer d'abord d'une manière purement matérielle, soit qu'il s'exécutât plus tard par l'intelligence, on ne peut concevoir la conservation de l'espèce humaine et de la société, sans un travail perpétuellement producteur.

Dès lors, on comprend que la misère a dû naître au moment où un homme a été frappé de l'impuissance de travailler, lorsque son travail n'a pu suffire à ses besoins, et enfin, lorsqu'il s'est soustrait volontairement à la loi suprême du travail. La misère s'est encore produite lorsque le chef de la famille n'a pu épargner quelques ressources pour faire subsister une femme faible et délicate et des enfans en bas âge, ou pour exister lui-même lorsque des maladies ou la vieillesse lui ont enlevé la faculté du tra→ vail (1).

(1)

« Telle est au sein de la civilisation moderne la condition des classes

Par une conséquence de cette loi, l'aisance et la richesse ont été le prix de la persévérance, de l'intelligence et de la prévoyance dans le travail, dont elles ont la faculté d'accumuler les produits. Trop souvent, sans doute, elles ont été la conquête de la force et de l'injustice; mais cette violation de la loi divine ne devait aboutir elle-même qu'à produire une plus grande misère et confirmer ainsi la vérité et la puissance de cette loi.

En suivant cette chaîne de préceptes qui descend du ciel pour régler les choses de la terre, et que rien n'a pu interrompre depuis la création du monde jusqu'à nous, on aperçoit facilement, dans les imperfections inhérentes à la nature humaine et à l'organisation sociale, les causes de la misère et de l'inégalité des conditions, résultats inévitables du refus, de l'impuissance ou de l'insuffisance du travail, et de la nécessité d'une expiation.

Un écrivain philantrope (1), que nous aimerons à citer plusieurs fois dans le cours de cet ouvrage, a dit avec une religieuse conviction :

« L'homme frivole ne voit dans l'inégalité des conditions humaines qu'une sorte de jeu de hasard favorable aux uns, fatal aux autres. Le demi-philosophe y voit un désordre qui accuse la Providence; le vrai sage s'élève à de plus hautes et plus justes pensées. Il voit dans cette inégalité même une des vues de la Providence dans la direction du monde moral sur le théâtre de préparation et d'épreuves pour un monde meilleur, où la

inférieures de la société. Il faut d'abord qu'elles travaillent, car sans travail, elles ne peuvent vivre; leurs moyens d'existence viennent de leurs salaires, et leurs salaires sont le prix de leurs labeurs. Aucune puissance humaine ne peut les dispenser du travail: le jour où le travail cesserait, la destruction de l'espèce humaine serait accomplie. Ce travail, toutefois, ne suffit pas pour assurer l'aisance de l'ouvrier aux fatigues qui achètent le salaire, doit se joindre la prévoyance qui en règle l'emploi. » (T. Duchâtel, de la Charité.)

(1) M. le baron Degérando.

:

vertu est appelée comme institutrice pour présider à notre éducation terrestre. L'infortune est une grande et passagère éducation. »

En rapprochant de cette vérité sublime l'obligation de travail imposée à l'homme, on aura offert aux philosophes qui recherchent consciencieusement la dernière raison de la misère, la seule explication compatible avec les idées de justice et de bonté infinies que nous devons attribuer à l'auteur suprême de toutes choses.

Envisagée sous ce point de vue religieux, la misère, soit qu'elle provienne d'un malheur imprévu, soit qu'elle résulte de nos propres fautes, peut être considérée, par celui qu'elle atteint, comme une épreuve passagère, ou comme une punition dont la Providence lui laisse la liberté de profiter (1). Sous ce rapport, la misère se con

(1) L'homme était libre dans ses actions, sinon il n'aurait eu aucun mérite à être bon et vertueux, et sans cette liberté, il n'existerait moralement ni bien ni mal, ni vertu ni vice. L'homme pouvait le bien. Il le connaissait. Il a voulu le mal, c'est-à-dire la désobéissance aux lois divines; il a dû être puni par Dieu, qui est la souveraine justice.

Mais, dit-on, Dieu qui est aussi la souveraine bonté et la souveraine puissance, savait sans doute que l'homme abuserait de sa liberté, qu'il s'écarterait du bien, et tomberait dans le mal : il ne pouvait l'ignorer. Comment donc, a-t-il établi un ordre de choses dont il devait nécessairement découler pour l'homme un abîme de malheurs? Il y a, ajoute-t-on, des prédestinés et des réprouvés de toute éternité. Comment cela peut-il s'ac-` corder avec la bonté infinie de Dieu, et avec sa puissance, auxquelles il était si facile de préserver le premier homme et sa race du crime et du malheur?

Ces objections sont graves, mais spécieuses. Voici ce que répond d'abord la religion :

Tout, dans la nature, est l'ouvrage de Dieu; c'est un point que l'on ne dispute point, car on ne discuterait pas avec celui qui nierait l'évidence. Or, quoique dans la nature tout soit admirable et inimitable, et porte l'empreinte d'une main divine, il y a cependant une foule de choses dont nous n'apercevons pas l'utilité, dont nous reconnaissons même les dangers pour nous et pour les autres créatures. Cela ne veut pas dire qu'elles soient réellement inutiles ou mauvaises, mais qu'elles paraissent telles relativement à nous, et dans l'ordre d'idées et de faits au milieu desquels nous sommes

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