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Toutes ces réflexions, si profondes et si sages, viennent comme on le voit, aboutir nécessairement aux vérités et aux préceptes que renferme le christianisme. Il est donc bien vrai, comme l'admirait Montesquieu, que la religion chrétienne, qui ne semble faite que pour une autre vie, assure encore le bonheur de celle-ci (1). »

(1) « Jésus-Christ ne nous réserve pas seulement le repos éternel dans les cieux, mais il est encore venu apporter la paix sur la terre. Mon royaume n'est pas de ce monde, nous dit-il, et l'apôtre ajoute : « Dieu ne fait acception de personne. »

« Ainsi donc, que le serviteur obéissé à son maître et le sujet à son prince; que le pauvre ne porte pas envie au riche, que le faible ne murmure point contre le fort; que chacun fournisse sa carrière dans l'ordre où la Providence l'a placé ; et soit qu'elle lui donne, soit qu'elle lui ôte, toujours la bénissant, car il arrivera que les premiers seront les derniers. Société chrétienne, société parfaite, où la bienveillance tempère l'autorité, où la justice est dans tous les cœurs, où le grand s'humilie sans rien perdre de sa grandeur, et le petit sans tomber dans l'avilissement; où, dans la plus extrême inégalité de richesses, de conditions, d'honneurs, tous se considèrent véritablement comme égaux, parce qu'ils sont enfans du même père, et appelés par mille voies diverses à recueillir le même héritage. » (L'abbé F. de La Mennais, Réflexions sur l'Imitation de J.-C.)

CHAPITRE III.

DES DEUX THÉORIES DE LA CIVILISATION.

Que celui qui l'a fait explique l'univers !
Plus je sonde l'abîme, hélas, plus je m'y perds.
Ici bas la douleur à la douleur s'enchaîne ;
Le jour succède au jour et la peine à la peine.
Borné dans sa misère, infini dans ses vœux,

L'homme est un Dieu tombé, qui se souvient des cieux.

LAMARTINE.

DEUX vastes sectes se partagent le monde philosophique (1), et s'appliquent à la vie sociale, l'une attribue

(1) Il n'entrait point dans le plan et dans les bornes de cet ouvrage d'exposer l'histoire de la philosophie et des diverses sectes dérivées du sensualisme et de l'idéalisme; nous n'avons voulu indiquer ici que les deux grandes écoles principales et leurs conséquences pratiques sur le bonheur de la société. On sait que les théories du sensualisme, développées par l'école de Hobbes et de Hume, etc., ont été combattues avec autant de talent que de conviction par les fondateurs de l'école écossaise, Reid et Dugald-Stuart, dont M. Royer-Collard a introduit les doctrines en France, et que M. V. Cousin appelle une protestation honorable du sens commun, contre l'extravagance des dernières conséquences du sensualisme. Nous n'avons pas parlé non plus de l'éclectisme, nouvelle secte sortie de l'école écossaise. La philosophie éclectique est trop récente, et d'ailleurs d'un genre trop neutre, si nous pouvons nous exprimer ainsi, pour avoir exercé une influence marquée sur le sort de la société humaine. Elle ne serait cependant pas sans danger, si elle parvenait à s'introduire dans les théories politiques et économiques. Une philosophie qui s'annonce comme l'harmonie des contraires et l'optimisme historique, qui regarde les défaites et les victoires comme les arrês de la civilisation et de

l'intelligence et le perfectionnement moral de l'homme à un sentiment inné de sa destinée immortelle. Elle regarde ce sentiment comme un fait; et à ses yeux la philosophie ne peut avoir d'autre but que la signification et l'explication de ce fait. Suivant l'autre, tout nous arrive par les sensations; elles sont l'origine des idées et constituent l'homme tout entier.

La première règne principalement en Allemagne où Leibnitz a la gloire d'avoir maintenu la philosophie de la liberté morale de l'homme contre celle de la fatalité sensuelle. Nous n'avons pas besoin de dire que le spiritualisme se confond avec les vérités morales du christianisme, et qu'il tend à fortifier par la métaphysique, ce que la philosophie chrétienne a puisé dans la révélation.

La seconde secte, celle qui a pour base le sensualisme, s'est répandue d'abord en Angleterre, et ensuite en France. Elle se trouve exposée dans de nombreux écrits qui tous, plus ou moins, ne sont que le développement des idées de Hobbes. Or, d'après ce philosophe, l'âme est soumise à la nécessité comme au despotisme, car il admet le fatalisme des sensations pour la pensée comme celui de la force pour les actions. Conséquent à ses doctrines, Hobbes fut athée et esclave (1).

Dieu même sur un peuple; qui considère les guerres et les batailles comme inévitables et bienfaisantes; qui démontre la moralité constante du succès, et ne s'attache qu'au vainqueur; qui s'annonce comme l'autorité des autorités, même en matière de religion, tout en reconnaissant que dans le christianisme sont renfermées toutes les vertus; une telle philosophie, disons-nous, aboutit à l'indifférence en toutes choses, et à un égoïste fatalisme qui s'accommode de tout, de la vertu comme du vice, de l'impiété comme de la foi. Du reste, il était impossible que des esprits élevés et positifs pussent long-temps persister dans cette voie aussi fausse que funeste. Les derniers écrits de M. Jouffroy, l'un des premiers et des plus éloquens interprètes de l'éclectisme, annoncent un retour formel vers les principes immuables de la philosophie chrétienne, et leur promettent un puissant défenseur de plus.

(1) Madame de Staël.

Madame de Staël, dans son admirable ouvrage sur l'Allemagne, peint à grands traits les principaux caractères des deux sectes philosophiques.

« C'est en vain, dit-elle, qu'on veut se réduire aux jouissances matérielles; l'âme revient de toutes parts. >>>

« Tout ce qui est visible parle en nous de commencement et de fin, de décadence et de destruction; une étincelle divine est seule en nous l'indice de l'immortalité. »

«Il n'y a plus de nature spirituelle dès qu'on l'unit tellement à la nature physique que ce n'est plus que par respect humain qu'on les distingue encore. Cette métaphysique n'est conséquente que lorsqu'on en fait dériver, comme en France, le matérialisme fondé sur les sensations, ou la morale fondée sur l'intérêt. La théorie abstraite de ce système est née en Angleterre. Les métaphysiciens français avaient établi que les objets extérieurs étaient le inobile de toutes les impressions. D'après cette doctrine rien ne devait être plus doux que de se livrer au monde physique et de l'inviter comme un convive à la fête de la nature. Mais, par degrés, la source intérieure s'est tarie, et jusqu'à l'imagination, qu'il faut pour le luxe et pour les plaisirs, va se flétrissant à tel point qu'on n'aura plus bientôt assez d'âme pour goûter un bonheur quelconque, si matériel qu'il soit. »

<«< Un abîme sépare ceux qui se conduisent par le calcul, de ceux qui sont guidés par le sentiment. >>

« Quand on veut s'en tenir aux intérêts, aux convenances, aux lois du monde, le génie, la sensibilité, l'enthousiasme agitent péniblement notre âme. »>

« Ce n'est pas assurément pour les avantages de cette vie, pour assurer quelques jouissances de plus à quelques jours d'existence, et retarder un peu la mort de quelques momens, que la conscience et la religion nous ont été données. C'est pour que les créatures en possession du

libre arbitre choisissent ce qui est juste, en sacrifiant ce qui est probable, préfèrent l'avenir au présent, l'invisible au visible, et la dignité de l'espèce humaine à la conservation même des individus. >>

« La morale fondée sur l'intérêt serait aussi évidente qu'une vérité mathématique, qu'elle n'exercerait pas plus d'empire sur les passions qui foulent aux pieds tous les calculs. Il n'y a qu'un sentiment qui puisse juger d'un sentiment. Quand l'homme se plaît à dégrader la nature humaine, qui donc en profitera?»›

« Quelque effort que l'on fasse, il faut en revenir par reconnaître que la religion est le véritable fondement de la morale. C'est l'objet sensible et réel au dedans de nous qui seul peut détourner nos regards des objets extérieurs. >>

Un philosophe spiritualiste, moins connu qu'il ne mériterait de l'être (1), a, ce semble, jeté à son tour de

(1) S. Martin, auteur des Erreurs et de la Vérité, ou les hommes rappelés au principe universel de la science, par un philosophe inconnu ; de P'Ecce homo; du Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l'homme et l'univers ; de l'Homme de désir, etc.

S. Martin pensait que les hommes sont naturellement bons; mais il entendait, par la nature, celle qu'ils avaient originairement perdue, et qu'ils pouvaient recouvrer par leur bonne volonté; car il les jugeait, dans le monde, plutôt entraînés par l'habitude vicieuse qué par la méchanceté.

Ce philosophe reconnut les desseins terribles de la Providence dans la révolution française, et crut voir un grand instrument temporel dans l'homme qui vint plus tard la comprimer. Il prit la défense de la cause du sens moral contre Garat, professeur de la doctrine du sens physique, ou de l'analyse de l'entendement humain. Son but était d'expliquer la nature par l'homme, et de ramener toutes nos connaissances au principe dont l'esprit humain peut être le centre. « La nature actuelle, dit-il, déchue et divisée d'avec elle-même, et d'avec l'homme, conserve dans ses lois comme dans plusieurs de ses facultés, une disposition à rentrer dans l'unité originelle. Par ce double rapport, la nature se met en harmonie avec l'homme, de même que la nature se coordonne à son principe. » Il pensait qu'il y a une raison à tout ce qui existe, et que l'œil interne de l'observateur en est le juge; il considérait l'homme comme ayant en lui un miroir vivant qui lui réfléchit tous les objets, et qui le porte à tout voir et à tout connaître. Mais ce miroir vivant étant lui-même un reflet de la Divinité, c'est par

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