Page images
PDF
EPUB

si heureux fruits, a disparu au milieu de nos récens orages politiques...........

La question du paupérisme s'était dès lors montrée à moi dans toute son importance. Je comprenais de plus en plus combien l'industrie agricole était la base la plus réelle et la plus sûre du bien-être des classes inférieures. Un grand exemple venait d'être donné à cet égard par un peuple très avancé en industrie. La renommée m'avait appris la création des colonies agricoles d'indigens des Pays-Bas, et j'avais suivi, avec un vif intérêt, les progrès de ces établissemens philantropiques. Déjà, et de concert avec deux hommes distingués (MM. de Tollenare et le baron Marion de Beaulieu, colonel du génie, qui avait visité récemment les institutions de Frédérick-Oords), je m'occupais des moyens d'utiliser les pauvres du département de la Loire-Inférieure au défrichement des landes incultes de la Bretagne. L'association de l'industrie et de l'agriculture m'apparaissait comme la solution du grand problème de l'extinction de la misère. Les écrits de Malthus et de MM. de Sismondi, Droz et Rubichon, démontraient que si le système manufacturier de l'Angleterre avait pu enrichir la nation, c'est-à-dire les entrepreneurs d'industrie, c'était aux dépens de l'aisance, de la santé, de la moralité et du bonheur des classes ouvrières. Mes premières illusions sur ce point étaient complétement dissipées; mais j'étais encore loin de penser que le mal eût déjà gagné une portion de la France.

Un ouvrage qui, dans le principe, produisit

beaucoup de sensation, venait d'exposer l'état des forces productives de la France. L'auteur, M. le baron Charles Dupin, y proclamait la situation prospère des départemens industriels du nord du royaume, sous des couleurs si brillantes et avec une telle profusion de chiffres et de combinaisons statistiques, que s'il n'expliquait pas les causes de la détresse des ouvriers de l'Angleterre, il rassurait du moins sur le sort des ouvriers attachés aux manufactures françaises. M. Dupin poussait la conviction au point de désirer que la majorité de notre population agricole pût passer immédiatement dans les rangs des producteurs industriels. Un tel projet pouvait justement surprendre les hommes même les plus enthousiastes de l'industrie, mais à coup sûr il était fait pour dissiper les alarmes des philantropes français.

Quoi qu'il en soit, il était dans ma destinée d'exercer successivement des fonctions administratives dans chacune des diverses régions du royaume. Au commencement de 1828, je fus promu à la préfecture du département du Nord. Je regrettai profondément la Bretagne. Mes regrets étaient toutefois adoucis par l'espérance de trouver dans un département signalé comme l'un des plus avancés. en agriculture, en civilisation et en industrie, une population riche, éclairée, heureuse, où la misère serait sinon inaperçue, au moins facile à soulager et à prévenir ces idées riantes ne furent pas de longue durée.

Le lendemain de mon arrivée à Lille, je reçus la visite de la commission administrative des hos

[ocr errors]
[ocr errors]

pices de cette ville. →→ Avez-vous beaucoup de pauvres? demandai-je à son vénérable président. Plus de trente-deux mille, me répondit-il, c'està-dire près de la moitié de la population. Je le fis répétér, tant cette réponse m'avait frappé d'étonnement et d'effroi.

1

On me dit ensuite que ce paupérisme effrayant n'était pas seulement particulier à la ville de Lille; que la même misère régnait, ou à peu près, non seulement dans les villes considérables du département, mais dans la plupart des communes rurales. Dès que la commission m'eut quitté, je m'empressai de demander à l'estimable employé supérieur (1) qui dirigeait, à la préfecture, l'administration des secours publics, s'il était vrai, s'il était même possible, que le département du Nord fût accablé à ce point de l'excès de l'indigence. Il mit tristement et en silence, sous mes yeux, le relevé numérique des registres des pauvres. Je me convainquis que le sixième de la population figurait sur ce grand livre de la charité publique !............

On comprendra facilement que le paupérisme de la Flandre française devint dès ce moment pour moi l'objet d'une préoccupation continuelle. L'origine, la cause, les effets de cette épouvantable lèpre, dont j'avais été si loin de soupçonner l'existence, furent désormais le sujet de mes méditations et de mes recherches. J'appris successivement que la misère se produisait avec la même intensité dans l'Artois et dans une partie de la Picardie et

(1) M. Mallebranq.

de la Normandie; qu'elle avait dès long-temps envahi diverses provinces de la Belgique et de la Hollande; que la détresse des ouvriers de l'Angleterre était, enfin, commune aux régions du nord de la France, comme au royaume des Pays-Bas.

J'essaierais vainement de donner une idée de l'état de dénuement, de souffrances, d'abjection et de dégradation morale et physique dans lequel étaient plongés les ouvriers indigens des villes principales du département du Nord. Je renvoie à mon ouvrage pour des détails si affligeans à reproduire.

A cette situation déplorable, il fallait chercher de prompts remèdes, car tous les secours consistaient en quelques souscriptions philantropiques plus fastueuses que productives, soutenues, il est vrai, par une effusion de charité inépuisable, mais devenue insuffisante. Quant à la haute industrie, elle se bornait à exploiter les forces, j'ai presque dit la misère des classes ouvrières.

Après avoir introduit quelques réformes dans le mode de distributions des secours publics, je fis un appel pressant à la charité individuelle, seules mesures qui pussent dépendre de l'administration; j'excitai l'attention du gouvernement sur la situation alarmante de cette contrée ; j'indiquai, comme

le moyen le plus efficace de l'améliorer, la colonisation agricole des landes incultes de Bretagne et de Gascogne d'après le système des institutions des Pays-Bas que j'avais été étudier sur les lieux mêmes. Je rencontrai la plus vive sympathie pour ce projet, dans S. A. R. Monsieur le Dauphin, et

dans le ministre de l'intérieur, M. le vicomte de Martignac, dont l'esprit et le cœur étaient si bien faits pour comprendre et réaliser les vues d'une auguste bienfaisance.

En même temps, je m'occupais de jeter les bases d'une maison de travail et de refuge pour chacun des sept arrondissemens du département du Nord. En attendant le résultat des mesures que j'avais provoquées auprès du gouvernement, et au milieu des occupations, sans cesse renaissantes, d'une vaste administration, je voulus donner à mes études sur le paupérisme, un cercle plus étendu. J'avais suffisamment exploré le département du Nord; je désirai étudier de même le reste de la France, et, s'il était possible, une portion de l'Europe. Je multipliai mes relations et ma correspondance. Je priai tous mes collègues de vouloir bien me communiquer des notions précises sur le nombre et la situation des indigens et des mendians de leurs départemens, sur les causes auxquelles ils attribuaient à la misère et la mendicité, sur les moyens locaux employés pour y remédier, et sur les ressources que pourraient offrir les terres incultes pour la colonisation agricole des indigens du département du Nord.

Le ministre de l'intérieur avait demandé au conseil supérieur du royaume d'émettre son avis sur le mémoire dans lequel je sollicitais la formation d'une association générale de bienfaisance et un premier essai d'une colonie d'indigens et de mendians. J'appris, au bout de quelques mois, que ces propositions avaient été accueillies avec acclama

« PreviousContinue »