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Dans son Traité d'économie politique, publié en 1803, cet écrivain exprime le désir que la science ne sorte pas

Mais enfin, la puissance de vos armes, secondée par les efforts de vos généreux alliés et par l'élan de tout ce qui s'est rencontré en Europe d'amis des lumières, a brisé les fers qui enchaînaient toute pensée libérale, et repoussé la barbarie dont nous observions avec terreur les rapides progrès. Qu'il m'est doux, Sire, de pouvoir enfin vous proclamer publiquement un culte que depuis de nombreuses années, je rendais dans mon cœur à votre majesté impériale, et de lui offrir un hommage d'autant moins indigne d'elle qu'il a été refusé à l'usurpation insatiable, au crime triomphant. L'histoire revendiquera les grands événemens de notre délivrance, pour en composer ses plus magnifiques ta→ bleaux, etc. >>

Il est remarquable de voir l'avénement de la restauration ainsi jugé par un homme tel que M. Say, et nous devions opposer ses expressions formelles aux écrivains et aux orateurs qui n'ont cessé de représenter les Bourbons de la branche aînée, et, par une conséquence logique, ceux de la branche cadette, comme imposés violemment à la France par les armes étrangères. M. Say proclame hautement, à la face de l'Europe, que l'invasion des hommes du nord nous déroba à la barbarie, à l'usurpation, au crime triomphant. Il était bon de prendre acte de telles paroles.

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Si nous sommes d'accord sur ce point historique avec M. J.-B. Say, nous ne pouvons, à notre grand regret, l'être constamment sur les doctrines d'économie politique. Il est juste de reconnaître, avec M. Droz: « qu'au cun auteur n'a rendu plus de services que M. Say à l'économie politique que le rare talent avec lequel il a complété et rectifié cette science; que l'ordre qu'il a su lui donner ; que son style, enfin, qui réunit la clarté à l'élégance, et la chaleur qu'admettent les sujets sévères, l'ont placé à la tête des hommes qui, dans leurs veilles, explorent la science des richesses, et lui ont mérité une réputation qui fait honneur à notre patrie. » Mais on ne saurait dissimuler en même temps que cet écrivain si recommandable n'ait justifié souvent une partie des reproches que lui adresse, en ces termes, spirituel publiciste (M. le vicomte de St-Chamans): « M. Say, dit-il, n'a pas de scrupules: quand il a admis un principe, aucun résultat ne l'effraie, aueune conséquence ne lui paraît trop dure, aucun fait ne l'étonne. C'est la faute des faits quand ils démentent tous ses systèmes. Avec un esprit méthodique et fort juste, sinon dans l'art d'apprécier les principes, du moins dans l'art d'en tirer toutes les conséquences, il s'est emparé du système de Smith. Il l'a rangé dans un ordre plus méthodiquc et l'a perfectionné dans l'analyse de la production et de la distribution des richesses; mais aussi il a accueilli ses erreurs sur la consommation, les a portées beaucoup trop loin, et les a étendues de tous côtés, en multipliant les conséquences d'un principe erroné. » ( Le vicomte de St-Chamans, Système d'impôt. )

des bornes où l'avait circonscrite Adam Smith. Il définit ainsi l'économie politique : « Celle qui traite de la production et de la distribution des richesses. » Il veut qu'on la distingue soigneusement de la politique, de la statistique et des autres sciences morales et administratives. Cependant, et, comme entraîné par un penchant irrésistible, il n'est guère de sujet de politique, de morale et de religion où il n'ait cherché à puiser et à appliquer les principes de la science économique, et il ne cesse de vanter l'influence de cette science sur la population, la puissance des états et le bonheur des peuples (1).

(1) On trouve dans le Cours d'économie politique de M. Say les axiomes suivans, que nous avons recueillis au milieu de beaucoup d'autres non moins dignes d'être mis au rang de véritables paradoxes, d'opinions erronées et dangereuses, ou d'aveux qui condamnent la science économique. Il vaut mieux apprendre à satisfaire ses besoins que de n'en point avoir les besoins multiplient les jouissances: la modération dans les désirs, se passer de ce qu'on n'a pas, est la vertu des moutons; il convient aux hommes de se procurer légitimement tout ce qui leur manque. Les besoins manquent encore plus souvent aux nations que l'industrie. Une jurisprudence uniforme est inutile; des arbitres, en tout, sont les meilleurs juges les règles de l'équité naturelle sont, dans certains cas, plus justes que celles de la législation, et pourraient servir de règle aux tribunaux. Les actes de l'administration sont des occasions de dépense pour les administrés; un administrateur est quelquefois utile sans rien faire. En France la conscription et le recrutement militaire, et la presse des matelots en Angleterre, sont la violation la plus scandaleuse de la propriété et de tous les droits naturels. Les prêtres cherchent à multiplier la population pour remplir leurs mosquées, les potentats pour grossir leurs bataillons. La morale considère les actions sous un autre point de vue que l'économie politique. La sagesse des siècles proverbialement citée n'est que l'ignorance des siècles. Les ambassadeurs et la diplomatie sont une sottise antique et une source de guerres. - Les propriétés foncières sont les moins sacrées de toutes les propriétés, etc., etc.

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Il est évident que dans ces différentes propositions M. Say n'a envisagé le côte économique, et a négligé totalement les considérations politiques et morales; mais dans ce cas n'est-on pas en droit de penser que l'économie politique, ainsi considérée et appliquée, conduisait directement au boule versement de la société? *

* Nous apprenons aujourd'hui, en traçant ces lignes, la mort de J.-B. Say (novembre 1832.)

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Vingt ans après, et dans son Cours d'économie politique, s'efforçant d'excuser l'esprit d'égoïsme de l'école anglaise, qu'il ne veut pourtant pas abandonner, il s'exprime ainsi : « L'objet de l'économie politique semble avoir été restreint jusqu'ici à la connaissance des lois qui président à la formation et à la distribution des richesses: c'est ainsi que moi-même je l'ai considéré dans mon Traité d'économie politique, publié en 1803. Cependant on peut voir dans cet ouvrage même que cette science tient à tout dans la société. Depuis qu'il a été prouvé que les propriétés immatérielles, telles que les talens et les facultés personnelles acquises, forment une partie intégrante des richesses sociales, et que les services rendus dans les plus hautes fonctions ont une analogie avec les plus humbles; depuis que les rapports de l'individu avec le corps social et leurs intérêts réciproques ont été clairement établis, l'économie politique, qui semblait n'avoir pour objet que les biens matériels, s'est trouvée embrasser le système social tout entier. Cependant si nous ne voulons pas nous lancer dans une carrière infinie, il convient de circonscrire l'objet de nos recherches. >>

Ces aveux démontrent parfaitement pourquoi l'économie politique anglaise n'a pu réaliser ses séduisantes promesses. En envisageant toutes les questions de l'ordre social sous un rapport purement économique, elle devait nécessairement aboutir à une civilisation fondée sur les intérêts et les besoins matériels, et confondre ainsi toutes les idées reçues en morale et en politique.

M. Storch avait remarqué que les modernes, en s'occupant exclusivement des causes de la richesse nationale, avaient entièrement négligé celle de la civilisation. Il a cherché à rétablir la science de l'économie politique en y ajoutant, d'une part, la théorie de la civilisation, et en retranchant, de l'autre, ses principes administratifs. Il définit l'économie politique « la science des lois naturelles qui

déterminent la prospérité des nations, c'est-à-dire leur richesse et leur civilisation. » C'eût été un grand pas de fait pour l'amélioration et l'utilité de la science, s'il avait considéré la civilisation sous un point de vue moral. Mais, d'accord malheureusement sur ce point avec Smith et M. Say, il ne voit dans la civilisation que l'accroissement progressif des besoins matériels et des moyens de les satisfaire, définition aussi fausse dans son principe que funeste dans ses conséquences (1).

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M. Mac Culloch, disciple de Smith et émule de M. Say,

(1) « Les peuples anciens avaient pour maxime que la vertu consiste dans le peu de besoins matériels de l'homme, et c'est pour la suivre que les législateurs et les philosophes cherchèrent ensemble à réduire l'homme au plus petit nombre de besoins. Ce système, qui peut être compatible avec la vertu et peut-être même avec le bonheur des individus, n'est pas apte à provoquer la production. Les Anglais, au contraire, ne voient d'autre moyen de rendre les peuples actifs, industrieux et plus vertueux, que celui du besoin. Le besoin est le stimulant et la cause de la production, comme la curiosité, qui est aussi un besoin, est la créatrice des sciences. >> (Le comte Pecchio, Histoire de l'écon. polit. en Italie.) Telle est en effet la théorie de la civilisation adoptée par l'école anglaise. Il nous semble qu'indépendamment de toutes les considérations religieuses et morales qui la repoussent, elle a été combattue avec avantage, sous les rapports purement économiques, par le célèbre auteur de l'Essai sur le principe de la population. Voici les paroles de Malthus:

« Si le simple besoin que peuvent avoir les classes ouvrières de posséder les choses nécessaires à la vie était un stimulant suffisant pour engager à produire, aucun état en Europe, ni même dans le monde, n'aurait pu rencontrer d'autre limite pratique à sa richesse que ses facultés productives, et la terre aurait, il y a long-temps, contenu, pour le moins, deux fois autant d'habitans qu'elle en nourrit aujourd'hui sur sa surface. Mais toutes les personnes qui connaissent la nature de la demande effective, comprendront parfaitement que partout où le droit de propriété est établi, et où les besoins de la société sont établis au moyen de l'industrie et des échanges, l'envie qu'un individu peut avoir de posséder les choses d'une grande utilité et d'agrément, quelque forte qu'elle soit, ne contribuera en rien à la faire produire, s'il n'y a pas ailleurs une demande réciproque pour quelquesunes des choses que cet individu possède. - Un homme qui ne possède que son travail, ne fait de demande de produits qu'autant que ceux qui en ont besoin de son travail, et aucun travail productif ne sera jamais demandé, à moins que le produit qui doit en résulter n'ait une valeur plus forte que

reconnaît la prééminence des jouissances nobles, des passions héroïques (comme dit Bacon) sur toutes les autres : mais il les regarde comme le partage exclusif d'un petit nombre d'âmes fortes et d'un ordre supérieur. Les besoins physiques et les plaisirs qui en dérivent étant le mobile et le but du plus grand nombre des hommes, le but et la première fonction de l'économie politique doit être, selon lui, d'assurer, d'étendre et de multiplier les jouissances du second ordre. Il confirme ainsi implicitement les théories de la civilisation matérielle, sans leur opposer aucun contre-poids.

Toutefois, dès que l'expérience a pu faire apprécier les conséquences de ces théories, on a vu des écrivains mieux inspirés par l'humanité et la philosophie, chercher à donner à la science un autre but et un caractère plus philantropique.

M. Sismonde de Sismondi, que la France peut revendiquer à plus d'un titre, et qui appuie ses nouveaux principes d'économie politique sur la grave autorité des faits, définit ainsi cette science : « la recherche des moyens par lesquels le plus grand nombre d'hommes, dans un état donné, peut participer au plus haut degré de bien-être physique qui dépende du gouvernement. »

«< Deux élémens, dit cet écrivain, doivent toujours être considérés ensemble par le législateur : l'accroissement du bonheur en intensité et sa diffusion dans toutes les classes. Il cherche la richesse, parce qu'elle profite à la populacelle du travail qui a été employé à cette production. M. Ricardo est forcé d'avouer que si l'on cessait de consommer, on cesserait de produire.

<< Une autre erreur fondamentale, dans laquelle les auteurs déjà cités et leurs partisans paraissent être tombés, c'est de n'avoir aucun égard à l'influence d'un principe aussi général et aussi important pour l'homme que celui de l'indolence ou de l'amour du repos. Tout ce que nous savons sur les nations, aux différentes époques de leur civilisation, nous porte à croire que la préférence donnée à l'oisiveté sur toutes les jouissances que l'ouvrier pourrait se procurer par un surcroît de travail est très générale dans l'enfance des sociétés, et qu'elle n'est pas du tout rare dans les pays avancés en civilisation. (Malthus, Principes d'économie politique. )

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