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tion: il cherche la population pour qu'elle participe à la richesse. Il ne veut de l'une et de l'autre que celle qui augmente le bonheur de ceux qui lui sont soumis. C'est ainsi que l'économie politique devient en grand la théorie de la bienfaisance, et que tout ce qui ne se rapporte pas en dernier résultat au bonheur des hommes n'appartient point à cette science (1). »

Enfin, M. Droz, qui a écrit après M. de Sismondi, voit dans l'économie politique une science dont le but est de rendre l'aisance aussi générale qu'il est possible.

«<Lorsqu'on étudie, dit-il, la science des richesses, il est essentiel de ne jamais perdre de vue ses rapports avec l'amélio ration et le bonheur des hommes. On dénature cette science si l'on ne considère les richesses qu'en elles-mêmes et pour elles-mêmes. A force d'attacher ses regards sur leur formation et sur leur consommation, on finit par ne plus voir dans ce monde que des objets mercantiles. Les esprits faux peuvent abuser à ce point de l'économie politique. »

« Cette science, bien conçue, sera toujours l'auxiliaire de la morale. Ne prenons pas les richesses pour but: elles ne sont que le moyen. Leur importance résulte du pouvoir d'apaiser les souffrances, et les plus précieuses sont celles qui servent au bien-être d'un plus grand nombre d'hommes. Le bonheur des états dépend moins de la quantité de produits qu'il possède que de la manière dont ils sont répartis. Aucun pays n'est aussi remarquable que l'Angleterre sous le rapport de la formation des richesses. En France, leur distribution est meilleure. J'en conclus qu'il y a plus de bonheur en France qu'en Angleterre. En lisant certains économistes on croirait que les produits ne sont pas faits pour les hommes, mais que les hommes sont faits pour les produits (2). »

Les opinions de ces deux écrivains indiquent un progrès

(1) Nouveaux principes d'économie politique.

(2) Droz, Economic politique.

moral dans la direction de la science. Il y a bien loin, déjà, de cette manière de définir et d'envisager l'économie politique, aux principes de l'école froide et égoïste de Smith. Les écrivains italiens de l'époque actuelle ne tendent pas moins à s'éloigner des doctrines de l'école anglaise. On en jugera par le parallèle remarquable que fait des écrivains des deux nations, le comte Pecchio dans son Histoire de l'économie politique en Italie (1).

<«< Les Anglais, attentifs seulement à tout ce qui tend à la richesse, approuvent la grande propriété sans s'inquiéter des nombreux et tristes effets moraux qui en résultent. Ils vantent la population manufacturière, parce qu'elle augmente la richesse d'un pays, sans s'inquiéter de la détérioration de la santé et de la vigueur de la population, laquelle, à la longue, s'affaiblit et s'effémine par un travail assidu aux métiers. Les Anglais provoquent l'usage des machines, parce qu'elles produisent en abondance et à moins de frais, sans faire attention qu'en augmentant très rapidement la production, ils occasionent tout à coup des engagemens funestes, et privent de travail des milliers d'ouvriers. L'Anglais ne voit dans l'ouvrier qu'une machine productive. Il le condamne à un travail exhubérant, l'em

(1) Le comte Pecchio ne s'est pas borné à l'histoire de l'économie politique en Italie, il a examiné plusieurs points de la science elle-même, à laquelle il donne pour base la liberté. Voici le résumé de ses doctrines :

1o La liberté, par elle-même, sans l'aide de la science de l'économie politique, et malgré beaucoup d'erreurs, suffit pour faire prospérer un état.

2o La science n'est point l'équivalent de la liberté, mais un supplément nécessaire à la liberté.

3o La science est plus nécessaire aux monarchies absolues qu'aux états libres.

4° La liberté est tellement essentielle au bien-être des peuples, que la science elle-même n'est, en dernière analyse, qu'une liberté plus circonscrite.

6° Sans la liberté et sans la science, les Etats ne peuvent prospérer que par intervalles et par élancemens, grâce au caprice passager de quelque prince ou de quelque ministre bien intentionné.

prisonne dans les suffoquantes filatures de coton et l'ensevelit dans des minières de charbon, d'étain ou de fer; et s'il recommande de le bien nourrir, il semble que ce n'est dans d'autres vues que d'en retirer un plus grand produit: philantropie pareille à celle du voiturier qui nourrit bien son cheval afin qu'il puisse tirer sa voiture avec plus de vigueur. Les Anglais voudraient convertir tous les agriculteurs en artisans, et labourer la terre avec des machines, s'il était possible, sans réfléchir qu'ils substituent une population faible, pâle et décharnée à une population bien constituée et vigoureuse, dont la vie a toujours plus de durée. Ne règne-t-il pas, dans cette manière d'envisager une science, trop de calcul, trop d'esprit mercantile? Et ne conduirait-il pas à des conséquences funestes, tant à la morale qu'au bonheur général, si la prudence du législateur ne tempérait et ne corrigeait pas cette inhumaine manière de calculer? Le seul objet de la science est-il donc la richesse? Et quand même cela serait, que l'on réfléchisse que la richesse ne se distribue pas parmi les classes qui travaillent qu'il ne leur en échoit en partage que ce qui leur est nécessaire pour se nourrir et pour réparer ses forces, et que tout le reste s'accumule en peu de mains. La science, ainsi envisagée, n'est plus qu'une arithmétique politique ; et, réduite à cette seule fin, elle ressemble à un insensible machiavélisme. La science de l'économie politique, déjà aride en elle-même, dessèche trop le cœur lorsqu'on la réduit à une simple arithmétique et qu'elle augmente cet égoïsme, cet esprit de calcul déjà trop répandu en Europe, et qui remplace ces sentimens chevaleresques qui naissent de l'impression du cœur et non de la supputation du bilan de doit et avoir (1). »

(1) On est heureux de fortifier ce jugement par ces belles paroles de madame de Staël :

« La supreme loi, c'est la justice! Quand il serait prouvé qu'on servi rait les intérêts terrestres d'un peuple par la bassesse et l'injustice, on se

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« Les écrivains italiens, ajoute le comte Pecchio, diffèrent totalement des Anglais, parce qu'ils traitent la science sous tous les rapports. Non seulement ils cherchent la richesse, mais encore le bien-être du plus grand nombre possible, et ce second objet est pour les écrivains de cette nation aussi important que le premier. Chaque principe, chaque loi, est discuté sous plusieurs points de vue importans et jugé dans ses conséquences. Discute-t-on sur le principe du produit des terres, ils préfèrent à celui qui dépeuple les campagnes en enrichissant davantage la population, celui qui produit moins de richesses, mais qui subdivise la terre entre plusieurs propriétaires, et alimente ainsi une population plus apte à la guerre, ayant de bonnes mœurs et vivant tranquillement. L'économie politique est pour l'économiste italien la science la plus compliquée, parce qu'elle doit réunir la morale, la justice, le bien-être de la population, en même-temps que la richesse et la puissance de l'état. Quelle différence n'y a-t-il pas entre considérer un fait et une loi sous le double rapport économique et politique, et ne le considérer que sous le seul rapport économique? Ainsi les questions d'économie politique sont, pour l'écrivain italien, toujours compliquées et d'une solution difficile. Aussi cette science est demeurée, en Italie, le partage des philosophes les plus instruits et des auteurs les plus distingués. >>

« Une autre différence essentielle entre les écrivains

rait légalement vil ou criminel en la commettant. Car l'intégrité des principes de la morale importe plus que tous les intérêts des peuples. L'individu et la société sont responsables avant tout de l'héritage céleste qui doit être transmis aux générations successives de la race humaine. Il faut que la fierté, la générosité, l'équité soient sauvées, à nos dépens d'abord, et même aux dépens des autres, parce que les autres, comme nous, doivent s'immoler à ces sentimens. La morale, fondée sur l'intérêt, si fortement prêchée par les écrivains français du dernier siècle, est dans une connexion intime avec la métaphysique qui attribue toutes nos idées à des sensations. Les conséquences de l'une sont aussi mauvaises dans la pratique, que celles de l'autre dans la théorie. ( De l'Allemagne. )

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anglais et italiens, consiste dans les moyens d'obtenir la quantité de la production. »

<< La production est l'objet des recherches des uns ainsi que des autres; mais les Anglais en ont fait un but plus direct que les Italiens. Aussi emploient-ils des moyens divers pour y parvenir, et je dirai même qu'ils ne l'obtiennent que par des sacrifices considérables. C'est à ce but qu'ils sacrifient la vigueur et la santé des populations, la tranquillité et l'ordre public, en créant une population immense sur divers points de la superficie de l'état, toujours prête à s'ameuter au moindre mécontentement, et souvent sujette à souffrir de la faim et à devenir menaçante par les vicissitudes inévitables du commerce, d'où il résulte spontanément la cessation du travail. Les deux systèmes différens ont aussi des conséquences différentes. Celui des Italiens a pour base la modération, la tranquillité, la santé, plus que les commodités de la vie; la vigueur, plus que l'instruction: il tend à l'immobilité ou tout au plus à un mouvement très lent vers la perfection. Celui des Anglais est basé sur un mouvement perpétuel et progressif qui pousse rapidement la société jusqu'au dernier degré de la civilisation (1). »

Suivant le comte Pecchio, il existe peu de différence entre les écrivains économistes français et ceux d'Italie, dont les peuples se rapprochent si fort par le goût, la langue et la littérature. Cet auteur, examinant les ouvrages des uns et des autres, sous le point de vue purement littéraire, reproche aux écrivains anglais leur aridité et aux Italiens leur prolixe surabondance. A ce sujet, il se demande s'il n'y aurait pas un moyen qui pût réunir la concision à l'élégance? Il me semble ( ajoute-t-il avec beaucoup de grâce et de vérité pour notre nation), en

(1) Histoire de l'économie politique en Italie.-Le comte Pecchio entend ici la civilisation suivant les théories anglaises auxquelles il paraît loin de donner un assentiment absolu.

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