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those étoit possible, mais il trouva qu'elles étoient aussi bien gardées que celles de devant. Cependant les libérateurs en étoient déjà à la seconde porte que les archers avoient pris soin de bien barricader, mais qui ne pouvoit pas plus longtems résister aux coups qu'on lui portoit. Alors le sieur Dumas, plus mort que vif, vouloit se porter à un coup de désespoir, et s'avança pour tuer son prisonnier.

• Ah! Monsieur, qu'allez-vous faire? lui dit celui-ci, la moindre violence que vous entrepreniez sur moi, va vous coûter la vie. Voilà mes libérateurs, ils vont entrer et vous passer au fil de l'épée. Croyez-moi, cédez à leurs instances, ne leur résistez plus, rendez-leur ce qu'ils vous demandent; c'est le seul moyen de salut qui vous soit offert. » — . Et quand nous le ferions, reprit le tremblant Dumas, en serions-nous plus avancez ? » Oui, répliqua Mr. Roman, et ce n'est point dans notre Communion que l'on apprend à violer la foi promise. Accordez ce qu'on vous demande et vous éprouverez cette nuit que nous sommes autant agneaux que vous êtes lions. Je vous le promets, en foi d'homme d'honneur et de Chrétien qui adore le Dieu de vérité, il ne vous sera fait aucun mal. »

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Alors les archers se mirent à couper les cordes

dont le prisonnier était garrotté; et lui aydant à marcher, ils le menèrent vers la porte où étoient les libérateurs qui redoubloient leurs menaces contre les archers s'ils différoient encore un instant de remettre entre leurs mains leur pasteur. « Le voici, leur dit Mr. Roman, mais c'est à condition que vous ne ferez aucun mal à ces Messieurs. Je leur ai promis, et je mourrois plutôt que de souffrir que vous leur fissiez aucun tort. » Tous répondirent d'une voix : « Nous sommes prêts à faire tout ce qu'il vous plaira, pourvu que vous soyez à nous. Nous ne demandons le sang de personne, c'est la conservation de notre cher pasteur qui fait tous nos souhaits. »

On ne laissa pas de désarmer les archers et leur officier, qui se retirèrent dans une chambre voisine, désolés et transis de frayeur.

Un ange n'eut pas été reçu avec plus d'acclamations, de transports de joye et de ravissement que le fut M. Roman de ses libérateurs ; ils se le disputoient à l'envi les uns les autres et sans lui donner le tems de se reconnoître, ni lui laisser toucher de ses pieds la terre; ils l'emportèrent entre leurs bras fort loin du bourg. Ici les acclamations redoublèrent, et les airs retentirent de louanges et d'actions de grâces. Les libérateurs entonnèrent un saint cantique à l'honneur de

Dieu qui leur avoit inspiré le dessein d'enlever son serviteur, et qui les avoit si puissamment aidés dans l'exécution.

Cependant cet enlèvement irrita extrêmement les Puissances. M. le comte de Broglie se rendit en personne à Boucoiran. Il y mit chez les habitans plusieurs compagnies de grenadiers à discrétion. Il fit rouler les troupes de tous côtez pour déterrer le lieu où se seroit retiré le ministre enlevé. Il fit arrêter sur des simples soupçons plus de quatre vingts personnes qu'il prétendoit avoir été complices de l'enlèvement, et qu'il envoya dans les prisons de Nîmes et ensuite dans celles de Toulouse, à qui le Parlement fit le procès. Deux furent condamnez à la roue et exécutez l'un étoit de Marvejols les Gardons (1), nommé Bernard, et l'autre de Cardet (2), nommé Bonnefous; plusieurs furent condamnez aux galères. Les véritables auteurs de l'enlèvement, voyant par là ce qu'ils avoient à attendre, sortirent presque tous du Royaume et se mirent en sûreté.

M. Roman, poursuivi et relancé de tous côtez, et les divers maux qu'il avoit soufferts en son corps et qu'il a portés jusqu'à sa mort comme

(1) Lozère. (2) Gard.

des flétrissures honorables, ne lui permettant plus d'agir, il sortit aussi du Royaume.

On lui rendit en divers lieux des témoignages fort honorables. Il prêcha en plusieurs Eglises, même à celles d'Offenbach et d'Isenbourg près Francfort sur le Mein, en présence de la Cour, à la satisfaction du comte et de Mme la princesse du lieu. Il prêcha aussi à Rotterdam; mais pour ne pas contrevenir aux règlements des Synodes du païs, ce fut dans un jour et dans un lieu extraordinaires, mais d'une manière qui édifia extrêmement l'auditeur. C'est le témoignage que luy rendirent, le 23 Janvier 1701, Mrs Jurieu, Barnage, de Superville et le Page, tous les quatre pasteurs de l'Eglise Française de Rotterdam. M. Roman retourna de là en Allemagne où il fut fait pasteur de l'Eglise Française de Waldenbourg, dans le comté d'Isenbourg-Budingue, au service de laquelle il finit sa glorieuse carrière.

Transcription du manuscrit par

ED. GOTY, pasteur.

LES DOLÉANCES

D'UN HOMME DE BIEN

SECONDE PARTIE (1)

En classant les pièces du portefeuille de Jacques André, je fis, s'il vous en souvient, cher lecteur, deux parts de ses Doléances.

Dans la première, ses remarques critiques sur les mœurs, et dans la seconde, ses observations sur la religion et sur l'Eglise.

Ce sont quelques-unes de ces dernières que je vais maintenant placer sous vos yeux. Mais je vous dois quelques mots d'avertissement.

D'abord sur l'auteur : Qu'était-il, me demanderez-vous peut-être, au point de vue religieux? C'est une question qu'il n'est pas facile de décider pour les autres, quand ils n'ont pas marqué dans le combat, et surtout quand ils ne

(1) La première partie a paru dans les Etrennes religieuses de 1880.

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