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poration à Jésus-Christ, opérée par le baptême, augmentée par la confirmation, rétablie ou sauvegardée par la pénitence, nourrie et perfectionnée par notre transsubstantiation au Christ dans le banquet eucharistique. Que les hommes s'éloignent de cette source de vie chrétienne, aussitôt ils retombent dans leur vie naturelle et leur vie naturelle, c'est l'égoïsme; et le fruit de l'égoïsme, c'est la division; et le fruit de la division, c'est la barbarie et la mort.

CINQUIÈME ET SIXIÈME COMMANDEMENT.

"QUATRE TEMPS, VIGILES, JEUNERAS, ET LE CARÊME ENTIÈREMENT. »

« VENDREDI CHAIR NE MANGERAS, NI LE SAMEDI MÊMEMENT. »

D. Quant aux lois du jeûne et de l'abstinence, vous conviendrez, j'espère, qu'elles sont purement ecclésiastiques, et que l'Église pourrait les supprimer sans préjudice de la loi évangélique.

R. En y réfléchissant un peu mieux, vous conviendrez, je pense, que vous êtes dans l'erreur. Prises selon la lettre, les deux dernières lois de l'Église sont, il est vrai, d'institution ecclésiastique; mais, envisagées dans leur portée et leur résultat, elles sont manifestement une inspiration de l'Évangile. Qu'est-ce en effet que l'Évangile, sinon une incessante exhortation à élever notre âme par la foi et à dompter notre corps par la pénitence, à le réduire en servitude, à crucifier ses convoitises, à lui faire porter la mortification de Jesus, afin que la vie de Jésus resplendisse dans nos corps (1)? Or quoi de plus propre à cela que les privations, le jeûne, l'abstinence? Et parmi les divers moyens d'affliger le corps, l'Église pouvait-elle faire un choix plus doux? Au lieu de diminuer le nombre de nos

(1) Saint Paul, Deux. ép. aux Corinth., IV, 10.

repas à certaines époques, d'en retrancher quelques mets, auriez-vous mieux aimé qu'elle nous eût prescrit le cilice, les flagellations, des oraisons prolongées durant la nuit, le sommeil pris sur la terre nue ou le carreau?

D. Je ne voudrais pas me charger de faire goûter cette commutation aux ennemis du jeûne et du maigre.

R. Cependant il faut mortifier notre chair, combattre cette gastrolâtrie, dont la fin, dit saint Paul, est la confusion et la mort (1), à moins que nous ne voulions fouler aux pieds la lettre et l'esprit de l'Évangile et lutter contre la conscience du genre humain, qui n'a jamais séparé l'idée de pénitence de celle de religion. Comment! voilà dans l'Asie plus de cent millions de sectateurs de Brahma qui se condamnent à un carême éternel, se privent par religion de la viande des animaux quelconques, terrestres, aériens, aquatiques, de l'usage des dépouilles animales, cuir, laine, etc.;-voilà les croyants de Mahomet qui renoncent toute leur vie au vin, aux boissons spiritueuses, et dont le jeûne du Ramadan surpasse en rigueur celui de nos trappistes (2); et les adorateurs du vrai Dieu, qui ont vu le Saint des saints se condamner à un martyre de plus de trente ans, et expirer dans d'horribles tortures pour effacer les péchés du monde, croiront pouvoir se moquer de toute abstinence! ils repousseront, comme un joug intolérable, le jeûne consacré par l'exemple du Fils de Dieu, et dont il a dit : Il y a une espèce de démons qu'on ne peut vaincre que par la prière et le jeûne (3)! La religion de la Croix exemptant ses sujets de toute pratique pénitentiaire, quelle absurdité! Cela ne peut entrer dans l'esprit que des philosophes de cabaret ou d'imbéciles biblistes qui, pour l'intelligence de l'Évangile, en seraient toujours aux édifiants sermons de table du glorieux réformateur Luther.

(1) Ép. aux Philipp., III, 18, 19.

(2) J'entends durant le jour naturel, car rien n'empèche le religieux musulman de donner à la débauche le temps compris entre le coucher du soleil et son lever.

(3) Saint Matthieu, XVII, 20.

Le devoir religieux de mortifier nos convoitises sensuelles une fois reconnu, il en résultait, pour l'Église, l'obligation de le réglementer. En s'en référant à la dévotion de chacun sur cette matière, que serait-il arrivé? Les làches, c'est-à-dire le très-grand nombre, n'eussent jamais trouvé ni le temps ni les moyens de faire pénitence; les fervents, toujours inquiets, n'eussent jamais cru en avoir fait assez. Rien de plus sage donc qu'une loi générale, excitant la paresse des uns, modérant la ferveur des autres.

Et croyez que l'observation de cette loi, nécessaire au point de vue du salut éternel, importe plus qu'on ne pense au salut dans le temps, sous le rapport de la moralité, de l'hygiène, du commerce, de l'industrie agricole, etc.

D. Cette assertion trouvera beaucoup d'incrédules.

R. Oui, dans le grand peuple des myopes. Comme vous n'appartenez pas à cette espèce, voici les sujets de méditation que je vous recommande.

I. L'homme qui ne sait pas refuser à son corps la transgression des lois de l'Église, ne lui refusera pas davantage la transgression des lois de Dieu. La petitesse d'esprit qu'il trouve à s'abstenir le vendredi de ce qu'il a mangé le jeudi, il la trouvera aussi, parfois, à s'abstenir des excès qui portent la honte, le déshonneur, la mort dans les familles. Si vous rencontrez un contempteur des deux dernières lois de l'Église, qui soit irréprochable à l'endroit des sixième et neuvième commandement de Dieu, hors le cas d'un tempérament exceptionnel, vous aurez fait une belle découverte. La prière, augmentant la vie de l'âme, et le jeûne, modérant celle du corps: telles sont les armes irremplaçables que le Maître des vertus nous a données contre le démon de la luxure.

II. Laissez se généraliser le mépris des lois du jeune et de l'abstinence, les septième et dixième commandements : Bien d'autrui ne prendras, ni convoiteras, seront d'abord mis en oubli, puis systématiquement combattus comme consacrant une grande iniquité sociale. Remontez à la cause

générale des crimes contre la propriété, et du succès prodigieux des belles doctrines du communisme : vous verrez que cette cause est toute dans l'horreur des privations, des abstinences, et dans le dogme sensualiste : l'homme ne vit que pour consommer et jouir.

III. Lisez sur cette matière les médecins qui se sont le plus distingués par la hauteur et l'étendue de la pensée, vous y trouverez d'excellentes raisons hygiéniques de l'institution du jeûne et de l'abstinence quadragésimale.

IV. Élevez-vous encore plus haut. Jetez un coup d'œil sur cet océan immense qui occupe une si grande portion de notre globe, pénètre dans l'intérieur des terres et les divise en continents. Là vivent une infinité d'espèces animales, dont la fécondité surpasse celle des animaux terrestres au delà de tout calcul (1), et dont la chair serait plus que suffisante à l'alimentation de la famille humaine. Voyez comment, pour nous épargner la peine d'aller les chercher au loin, les meilleures espèces de ces poissons se détachent chaque printemps des mers glacées du pôle, longent en colonnes serrées les côtes de l'Europe, de l'Amérique, de l'Asie, et s'offrent d'eux-mêmes aux filets du pêcheur.

Maintenant, avec le perfectionnement de nos moyens de transport par mer et par terre, calculez les avantages qui résulteraient d'une plus grande consommation des animaux marins: 1° pour la nourriture des masses, qui ne vivent presque plus que de céréales d'une qualité inférieure, de légumes et de racines; 2° pour l'industrie de la pêche et le commerce; 3° pour la conservation et la multiplication de notre bétail, toujours plus insuffisant pour les besoins de l'agriculture et de la consommation; 4° enfin pour la prospérité du sol, qui souffre également de la diminution du bétail, de l'affaiblissement des bras qui le remuent et de la disparition rapide des principes fertilisants. Vous n'avez pas oublié ce que je vous ai dit, dans un chapitre, de la

(1) Il y a telle morue qui contient dix millions d'œufs.

nécessité des substances animales pour la fertilisation des terres (1); eh bien, il est probable qu'en augmentant le riche tribut que nous offre la mer, on pourvoirait mieux à la conservation de l'équilibre universel, on restituerait à nos campagnes une partie des sels précieux, des huiles végétales, des éléments connus et inconnus dont l'absence se fait sentir et pourrait expliquer plus d'un fléau.

En voilà assez, je pense, pour vous mettre sur la voie de cette conclusion:

Il se pourrait que le même Esprit qui a assisté l'Église catholique dans l'établissement de ses lois eût aussi établi les lois de l'ordre moral et de l'ordre physique; de sorte qu'en vivant dans la transgression habituelle des premières, les peuples chrétiens pourraient bien travailler à leur ruine morale et physique.

CONCLUSION

DU TROISIÈME LIVRE.

Craindre Dieu, garder ses commandements, c'est là tout l'homme, nous dit l'Écriture (2).

Oui, c'est là tout l'homme

l'homme individuel et

l'homme collectif; l'homme considéré dans l'universalité de ses rapports avec le monde des esprits et avec le monde matériel, avec la famille domestique, nationale, et avec la grande famille du genre humain.

Le Décalogue, promulgué et appliqué par l'Église catholique, est la seule législation qui puisse réunir et diriger dans le chemin de la vie temporelle et éternelle les individus, les familles, les nations, l'humanité entière. Toute législation qui ne la prend pas pour base est une législation de mort.

(1) Liv. I, premier fait, ch. 5. (2) Ecclésiaste, XII, 13.

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