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grammes des sages de la terre; -philosophie complète qui ne laisse sans réponse aucune des questions qui intéressent l'humanité; — philosophie vraiment universelle et populaire, qui met ses solutions à la portée des moindres intelligences, qui produit chaque jour dans un de nos hameaux chrétiens plus de sages que n'en posséda jamais la Grèce antique, et des sages qui, à l'âge de dix ans, résolvent sans efforts les formidables problèmes qu'agitèrent en vain les Pythagore, les Platon, les Aristote; -philosophie éminemment croyable, puisque l'univers civilisé l'a crue et ne s'est civilisé qu'en la croyant; philosophie éternellement inébranlable, assise qu'elle est, non sur les axiomes et les raisonnements d'une métaphysique nébuleuse, mais sur des faits aussi éclatants que le soleil; -philosophie resplendissante de lumière, qui, par les douze articles du Symbole, a dissipé les affreuses ténèbres de l'ancien monde; — philosophie souverainement sociale, qui, par les seize courtes lignes du Décalogue et des Commandements de l'Église, a donné à la vraie civilisation son fondement irremplaçable, à tous les problèmes sociaux la meilleure des solutions, et n'a besoin que d'être observée pour faire de la société terrestre une image et un avant-goût de la société des cieux; -philosophie enfin indestructible, dont la tempête d'objections qui n'a cessé de l'assaillir n'a fait que mettre en lumière la divine solidité, et dont les triomphes momentanés de ses ennemis ne font que préparer les victoires.

Ces admirables caractères de là philosophie du catéchisme catholique, vous les développez, Monsieur l'abbé, d'une manière aussi neuve que frappante, dans tout le cours de votre ouvrage. Si vous n'aviez pas habitué vos lecteurs à trouver dans vos productions plus de choses que de mots, on se demanderait comment vous avez pu renfermer tant de matières dans quatre livres assez courts, et cependant les ranger dans un ordre si naturel, si logique, et leur donner une forme tellement simple, qu'elles se trouvent à la portée de tous les esprits doués de quelque culture. Toutefois, il y a telle partie dans votre travail qui n'eût riên perdu, qui eût gagné même à recevoir plus de développement.

La seule chose qui me paraisse superflue, c'est le soin que vous prenez, dans votre Avertissement, de réfuter les accusations iniques et absurdes que vous ont attirées quelques-unes de vos dernières publications, entre autres, la Science sociale et vos brochures populaires. Vous deviez vous attendre, Monsieur l'abbé, à ces clameurs de l'ignorance, des préjugés et des erreurs, que vous avez si peu ménagés dans vos écrits. Détruire le mur de division élevé par l'esprit moderne entre la science divine et la science sociale, entre l'ordre religieux et l'ordre politique; mettre en lumière l'étroite connexité, ou mieux, l'identité des questions religieuses et des questions sociales;

à la maxime absurde qui déclare la religion étrangère à la politique, substituer cette autre maxime: Hors de la religion catholique, point de salut pour la société : telle est la pensée fondamentale qui a inspiré toutes vos productions, pensée qu'on retrouve partout, même dans l'Emmanuel. Or, il n'en fallait pas davantage pour scandaliser certains esprits et vous faire accuser, par les uns, de compromettre la religion en la mêlant à la politique, et, par les autres, d'asservir, d'annuler leur politique légère et superficielle en la soumettant au joug de la loi divine.

Ce n'est pas tout au lieu de vous renfermer dans la discussion métaphysique des principes, vous vous êtes placé sur le terrain des faits, et vos livres abondent en appréciations historiques, consciencieuses, mais blessantes pour certains partis religieux et politiques. Nos révolutions, dans lesquelles tant d'esprits ne voient que des accidents fortuits ou l'œuvre seulement de quelques conspirateurs, vous avez voulu les étudier à fond, remonter à leur source réelle, en suivre les progrès, en signaler les premiers auteurs et la longue chaîne de leurs complices. Le socialisme, dont vous annonciez l'explosion comme imminente à une époque où l'on soupçonnait à peine son existence; cette jacquerie communiste que vous présentiez déjà alors, au point de vue humain, comme la conséquence logique et fatale des erreurs et des passions encensées depuis trois siècles, et au point de vue providentiel, comme le fléau destiné à placer l'Europe entre le catholicisme et la mort (1); le socialisme, dis-je, vous a fourni l'occasion de faire entendre de rudes vérités. Vous n'avez pas craint de dire aux monarchies protestantes : « C'est vous qui, en brisant l'unité religieuse, avez créé le monstre et n'avez depuis cessé de le choyer! » Vous avez dit aux vieilles monarchies catholiques : « C'est vous qui, << en voulant vous affranchir de tout contrôle et en mettant le pied <«< sur les libertés de l'Église et de vos peuples, avez ouvert l'abîme « des révolutions et préparé de loin l'avénement du socialisme! » Vous avez dit aux gouvernements constitutionnels : « C'est vous qui, « en confisquant tous les droits, toutes les libertés légitimes au profit « de l'omnipotence parlementaire et du despotisme bureaucratique, << livrez les peuples sans défense anx exploitations du socialisme; car, << celui-ci n'est pas autre chose que la statolâtrie, la centralisation << arrivée à son comble (2). »

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Or, pour certains esprits irréfléchis et incapables de vous suivre dans ces études et de se placer à votre point de vue, quoi de plus

(1) V. la Solution de grands problèmes, t. I, préface; t. III et IV. (2) V. la Statolâtrie ou le Communisme légal. Des Affaires de l'Italie, etc.

scandaleux que cette thèse! Dire aux monarchies comment elles se sont perdues par leurs excès ou leurs faiblesses, et comment elles se perdraient encore en rentrant dans les mêmes voies, n'est-ce pas s'en déclarer l'ennemi? Dire comment les révolutions s'engendrent, n'est-ce pas les justifier? Montrer comment le socialisme princier et bourgeois aboutit au socialisme populaire, et prendre la défense des libertés individuelles, domestiques, communales, etc., contre l'abrutissant système de la statolâtrie, n'est-ce pas prêcher la haine des gouvernements et pousser au socialisme?

En vous plaçant comme vous l'avez fait, Monsieur l'abbé, en dehors et au-dessus des divers partis, vous deviez naturellement encourir leur animadversion et rester en butte aux reproches les plus contradictoires. Ainsi, tandis que les uns ont fait de vous un regrettant du moyen âge, un absolutiste, un théocrate, d'autres vous ont travesti en ennemi des gouvernements, en prêcheur de doctrines révolutionnaires, anarchiques, etc... En somme, on vous a imputé les erreurs que vous avez dévoilées et combattues avec le plus d'énergie; et en détachant du contexte qui en modifiait le sens certains passages de vos livres, vos détracteurs ont pu donner une apparence de raison aux accusations les plus déraisonnables.

Au reste, Monsieur l'abbé, ces accusations et ces censures n'ont rien qui puisse compromettre votre réputation d'orthodoxie religieuse et politique. Elles sont l'œuvre de plumes inconnues ou notoirement incompétentes, et restent ensevelies dans des journaux ou des recueils dont le crédit n'est pas grand. Ne leur donnez donc pas, par une réfutation inutile, un retentissement qu'elles ne peuvent avoir. Vos ouvrages ont obtenu un succès et des suffrages qui doivent vous consoler de ces misérables attaques. Des vingt à vingt-cinq volumes ou brochures sortis de votre plume, il en est bien peu qui n'aient mérité le double honneur de la contrefaçon et de la traduction. Les journaux et les revues catholiques les plus recommandables de l'Italie, entre autres, la Civittà cattolica de Rome, ont annoncé avec éloge des traductions de vos œuvres qu'on publie en même temps dans plusieurs villes, les unes séparément, les autres dans des collections de bons livres placés sous le patronage des évêques. Le Réveil du peuple lui-même, dans lequel un de vos critiques a prétendu voir un brandon du socialisme, vient d'être traduit par une plume catholique, et, en annonçant la Sveglia del popolo per Platone-Pulcinella, la Civittà cattolica a consacré à l'ouvrage et à l'auteur l'article le plus bienveillant (1). Et, pendant que l'Italie cherche dans la lecture de vos livres des armes contre l'invasion de l'hérésie et du

(1) La Civiltà cattolica, t. XI, p. 455-457.

socialisme, l'Amérique du Nord vous lit dans une traduction anglaise faite sous les auspices et la direction d'un illustre et savant métropolitain des États-Unis (1).

A ces faits qui sont notoires, je pourrais ajouter une foule de témoignages de sympathie, d'estime et de considération qui vous arrivent de très-loin, de très-haut, et parmi lesquels il en est que j'ai été chargé de vous transmettre de la part d'excellents juges en matière de doctrine. Enfin, je n'ai pas besoin de dire que, par votre conduite sacerdotale autant que par vos écrits, vous n'avez cessé d'acquérir de nouveaux droits à l'amitié et à la confiance des évêques et de tout le clergé de votre pays, et que, si elles pénètrent en Savoie, les diatribes de vos censeurs n'y recueilleront que le mépris du public, qui sait que chez vous l'homme et le prêtre est encore au-dessus de l'écrivain.

En voilà assez, Monsieur l'abbé, pour mettre votre orthodoxie in tuto. Si vous voulez m'en croire, vous supprimerez votre Avertissement, consacré tout entier à une réfutation superflue; et, en corrigeant dans de nouvelles éditions de vos ouvrages, non des erreurs qui ne s'y trouvent pas, mais les âpretés de style qui y sont, et que vous êtes le premier à reconnaître, vous ne perdrez pas le temps à écarter des mouches qui, incapables d'aller par elles-mêmes au bout de la carrière, veulent s'y faire porter par le coursier vigoureux qu'elles piquent.

Croyez aux sentiments affectueux de

Votre dévoué,

+ LOUIS, évêque d'Annecy.

Annecy, 1 mars 1853,

(1) Monseigneur Hughes, archevêque de New-York.

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