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Parlerons-nous de la chasteté des anciens? On sait que ce n'étoit point là leur vertu favorite. Non-seulement ils regardoient comme licite, le commerce des courtisanes, mais tel encore pouvoit prétendre au titre de sage, qui tous les jours se plongeoit dans les plus sales débauches. Ce crime

que la pudeur défend de nommer, étoit autorisé par la coutume, et chez plusieurs nations les lois mêmes l'encourageoient(1).Omours!ô vertus antiques ! L'inimitié qui règne entre Thémistocle et Aristide, a pour cause l'amour infâme dont ils brûlent l'un et l'autre pour le beau Stésilée (2); Agesilas est réputé chaste parce qu'il ne veut qu'admirer un jeune barbare qu'il aime (3); et parce que Socrate a respecté l'innocence d'Alcibiade, le grave Epictète exalte pompeusement sa continence. « Venez, s'écrie-t-il avec enthou» siasme, venez voir Socrate étendu auprès d'Al

(1) Aristote rapporte, Polit. liv. 11, ch. x, que les Crétois, pour prévenir les inconvéniens d'une trop grande population, autoriserent, par une loi expresse , l'amour contre nature. Platon, Lois, liv. 8, cite le même fait, et assure que cet infâme commerce étoit commun à Sparte. La loi de Solon qui l'interdisoit aux esclaves, le permettoit aux hommes libres. Plut. Vie de Solon. Il s'introduisit aussi chez les Romains. Voy. Cic. de Nat. Deor. lib. 1, cap. 28; et Senec. epist. 95.

(2) Plut. Vie d'Aristide. (3) Max. de Tyr, dissert. x.

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» cibiade, et dédaignant sa jeunesse et sa beauté. » Quelle victoire il étoit sûr de remporter! quelle

palme plus glorieuse que celle des jeux olym» piques! et qu'il mérite bien d'être proclamé le

grand vainqueur, le vainqueur universel (1)'» !

Les anciens en général n'estimoient que ces vertus de théâtre, dont le faux éclat attire les regards et les applaudissemens de la multitude ;' mais si l'on examine de près les hommes mêmes dont ils ont le plus vanté la sagesse ,

le

prestige qui les environne se dissipe, et ce qui reste en eux d'estimable est presque toujours défiguré pár d'étranges foiblesses, et souvent même par des vices honteux. Les uns débitent les maximes les plus affligeantes pour le coeur humain : les autres commettent les crimes les plus atroces: Puisque le monde est plein de perfidie et de malice, dit celui-ci (2), aimez les hommes comme si vous deviez les haïr un jour. Il ne faut, dit celui-là (3), estimer ses amis qu'en raison de leur utilité, car il en est d'eux à peu près comme des membres, qu'on ne soigne qu'autant qu'ils sont unis au corps. O mes chers amis! s'écrie Aristote (4), il n'y a pas de vrais amis. Diogène se fait chasser

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Il,

ch.8.

(1) Epict. dissert. liv.
(2) Bias, Diog. Laer.

(3) Aristippe, ibid.
(4) Diog. Laer. Vie d'Aristote.

de Synope, pour crime de fausse monnoie (1). Periandre, l'un des sept sages est à la fois amant incestueux de sa mère et assassin de sa femme (2). Caton le censeur se dégrade par son avarice et ses usures. L'homme vraiment admirable à son gré, est celui qui peut prouver, en mourant, qu'il possède plus de biens que ne lui en a laissé son père. Ce vertueux romain fait de sa maison un lieu de débauche, en favorisant le libertinage de ses esclaves. Personne ne fut plus vain, ni plus orgueilleux; il avoit coutume de dire à ceux qui blâmoient devant lui un citoyen : On doit bien l'excuser, car il n'est pas un Caton (3). Horace a signalé son intempérance dans ces vers si

connus:

Narratur et prisci Catonis
Sæpe mero caluisse virtus. Od. 15, lib. 111.

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Il appartenoit au lâche apologiste du parricide Néron (4) de démentir, par une conduite déshonorante, les maximes et les préceptes de sa philosophie. Sénèque tonne contre la tyrannie, et, sans cesse attaché aux pas des tyrans, il est leur

(4) Tacit. Annal. lib. XIP,

(1) Diog. Laer. Vie de Diogène.
(2) Ibid. Vie de Periandre.
(3) Plut. Vie de Caton.

cap. xi.

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courtisan le plus assidu. Ennemi de la flatterie, il adule non pas seulement les princes, mais encore de vils affranchis. Il déclame contre les richesses, et vit dans un luxe scandaleux. Enfin il affecte un profond mépris pour les grossières superstitions du paganisme, et s'oppose cependant à ce que le philosophe ait une autre religion que le peuple (1). Mais cette dernière inconséquence doit-elle étonner, lorsqu'on voit les héros mêmes de la sagesse antique sacrifier aux plus honteux préjugés, sans qu'on puisse alléguer pour leur excuse la nécessité des circonstances. Socrate expirant recommande à Criton d'immoler un coq à Esculape (2); et le plus grand des philoso

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(1) Voy. S. Aug. Cite de Dieu , liv. vi, ch. 10.

(2) Plat. in Phæd. On a prétendu que Socrate avoit voulu cacher sous une allégorie le véritable sens de ses dernières paroles, et que le coq doit être ici considéré comme le symbole de la vie, et Esculape comme l'emblême du médecin. Le savant traducteur de Platon partage celle opinion, qui a été aussi défendue par

Théodoret. ( Voy. le 6.° disc. sur la guérison des opi. nions des Païens. ) Racine, dans une lettre à son fils, où il le blâme d'avoir pu croire que la dernière parole d'un homme tel que Socrate, ait été une sottise ( Voy. les notes du 2. chant du poême de la Religion ), en donne une explication très-ingénieuse à la vérité, mais qui pourtant ne me paroît pas péremptoire, et je persiste à regarder la volonté que ce philosophe

à exprime, au moment de sa mort, comme un dernier hom

phes de Rome veut placer sa fille au rang des dieux (1).

Si telle a été l'influence des erreurs de l'idolâtrie parmi les peuples civilisés, qu'on se figure ce que ce doit être chez les nations sauvages! Le Canadien et le Caraïbe assassinent et dévorent leurs prisonniers. Les Mexicains qui pourtant avoient une forme de gouvernement régulière, regardoient les victimes humaines comme les offrandes les plus propres à appaiser la colère des dieux. Chez eux aussi, à la mort d'un empereur ou d'un grand, on choisissoit plusieurs de ses domestiques qui, destinés à le servir dans l'autre monde, étoient impitoyablement égorgés et ensevelis dans le même tombeau (2). Voilà les effets

mage rendu aux superstitions populaires. Tertullien ( Apolog. §. 47.) et Fénélon pensoient ainsi : Socrate, dit ce dernier, est mort lâchement, en adorant les dieux qu'il ne croyoit pas. Lett. sur la Relig.

(1) Quòd si ullum unquam animal consecrandum fuit, illud (Tulliola) profectò fuit; si Cadmi progenies, si Amphitryonis aut Tyndari in cœlum tollenda fuit, huic idem honos certè dicandus est, quod quidem faciam; teque omnium optimam doctissimam que, approbantibus diis immortalibus ipsis, in eorum cœtu locatam, ad opinionem omnium mortalium, consecrabo. Cic. apud Lact. de fals. relig. lib. 1, cap. 15.

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