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uniforme; qu'ils indiquent ce qui a pu donner occasion à un préjugé aussi universel. L'attribueront-ils à la politique des rois, à la prudence des législateurs? Mais alors quel siècle l'a vu naître ? Où en est l'auteur? Comment s'est-il propagé? A quelqu'époque qu'on remonte dans l'histoire, en quelques lieux qu'on pénètre, on trouve toujours cette croyance établie, partout on voit l'homme se prosterner devant une puissance surnaturelle. Il est des peuples, à la vérité, qui se trompent dans le choix des objets auxquels ils attribuent cette puissance. Mais si leur intelligence, trop grossière pour concevoir ce qui ne sauroit être représenté par aucune image sensible, est incapable d'attacher à Dieu l'idée d'une substance purement immatérielle, et possédant par essence les attributs les plus parfaits ; s'ils rendent à des créatures le culte qui n'est dû qu'au Créateur; toujours est-il certain qu'ils reconnoissent une cause supérieure, principe de tout, et à laquelle tout est subordonné; d'où je conclus, quoi qu'en dise Hume (1), qu'il n'est

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(1) David Hume, dans son Histoire naturelle de la Religion, soutient que la contemplation de la nature n'a jamais pu faire naitre l'idée de Dieu chez les premiers hommes. C'est, je crois, une erreur; non pas que je prétende que le premier homme se

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pas d'être susceptible de réfléchir qui ne se sente ému à la vue des merveilles de la nature, et que les impressions, que.ce spectacle laisse dans son ame, y produisent nécessairement les premières notions de l'existence de Dieu (1).

En vain chercheroit-on à affoiblir l'autorité du consentement unanime des peuples, en alléguant l'ignorance stupide de quelques hordes sauvages qui, dit-on, n'ont aucune idée de la divinité. L'existence de ces sociétés d'athées n'est point encore avérée; mais supposons pour un moment ce qui est en question ; est-ce donc en consultant la nature dégradée, qu'il faut déter

soit élevé de lui – même à cette sublime connoissance; mais je pense que dans le cas même où Dieu ne se seroit

pas

immédiatement révélé à la créature raisonnable , celle-ci ne pouvoit manquer de conclure du spectacle de l'univers, l'existence d'un être suprême. Voy. plus loin, ce que nous disons, en parlant de l'idolatrie.

(1) ..Ut porrò firmissimum hoc afferri videtur cur Deos esse credamus, quod nulla gens tam fera, nemo omnium tam sit immanis, cujus mentem non imbuerit Deorum opinio : multi de diis prava sentiunt : id enim vitioso more effici solet : omnes tamen esse vim et naturam divinam arbitrantur. Nec verò id collocutio hominum, aut consensus esficit : non institutis opinio est confirmata, non legibus. Omni autem in re consensio omnium gentium, lex naturæ reputanda est. Cic. Tuscul. 1,

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cap. 13.

miner notre croyance sur les objets qui nous inté. ressent le plus; et devons-nous, parce qu'il existe dans quelques cantons détournés de la terre, des hommes chez lesquels un état permanent de barbarie paralyse l'exercice des facultés intellectuelles , devons-nous regarder comme des illusions et des fantômes, les plus nobles connoissances que nous puissions acquérir par les lumières de l'esprit et la contemplation de l'univers ? Etrange manière de combattre la vérité, que d'opposer des exceptions particulières et des faits isolés à l'exemple et à l'expérience de tous les siècles, une nuit sombre à l'éclat d'un beau jour, et à la raison la plus sublime l'instinct le plus grossier!

Le cour est plein lui-même de cette divinité que la raison proclame. « Je sens qu'il y a un » Dieu , disoit un philosophe (1), et je ne sens pas » qu'il n'y en ait point; cela me suffit, tout le » raisonnement du monde m'est inutile, je con» clus

que

Dieu existe ». En effet si l'idée de Dieu n'est point innée dans notre ame (2), du moins

(1) La Bruyère, Caract. ch. des Esprits forts.

(®) Voy. sur les idées innées, Locke, Ess. sur l'Entendem, hum. liv. I, ch. 1, 11 et ur, et liv. 17, ch. x. Et Condillac, Ess. sur l'orig. des Conn. hum. 1.5part. sect. et Traité des Animaux, 2.° partie, ch. vi.

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ch.

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savons-nous que c'est un sentiment que tout concourt à y faire naître, et qui, comme une semence féconde, y germe et s'y développe naturellement. Les préjugés, les passions et les vices, les exemples et les sophismes des esprits forts peuvent quelquefois l'affoiblir, mais ils ne sauroient l'étouffer. Une grande infortune, de longues souffrances ne manquent presque jamais de le ranimer dans le caur même où il paroissoit éteint, et tel a long-temps fait parade d'athéisme , qui, jeté dans un cachot, ou étendu sur le lit de douleur, perd toute son intrépidité et invoque en tremblant un Dieu consolateur et père des miséricordes (1). Que s'il en est qui soutiennent jusqu'au bout leur personnage, on ne doit attribuer cette déplorable per

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c'est là que

(1) « Je ne sais, dit Bossuet, quelle inspiration, dont nous ne » connoissons pas l'origine, nous apprend à réclamer Dieu » dans toutes les nécessités de la vie. Dans toutes nos affections, » dans tous nos besoins, un secret instinct élèvc nos yeux au » ciel, comme si nous sentions en nous-mêmes

que » réside l'arbitre des choses humaines. Et ce sentiment se re» marque dans tous les peuples du monde, dans lesquels il est » resté quelques traces d'humanité, à cause qu'il n'est pas tant » étudié qu'il est naturel, et qu'il naît en nos ames, non tant » par doctrine que par instinct. C'est une adoration que les » Païens mêmes rendent, sans y penser, au vrai Dieu ; c'est le » Christianisme de la nature..., etc. . 1. . Sermon sur la circoncision.

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sévérance qu'à un orgueil en délire, ou tout au plus à une opiniâtreté d'amour-propre, fondée sur l'indifférence du scepticisme ; car il est encore douteux aujourd'hui qu'il ait jamais existé d'athée véritable. Comment, en effet, acquérir la conviction que Dieu n'est pas ? Où en chercher, où en trouver les preuves? En nous, hors de nous, tout l'annonce (1):

De sa puissance immortelle,
Tout parle, tout nous instruit,
Le jour au jour la révèle ,
La nuit l'annonce à la nuit.

J. B. ROUSSEAU.

de l'ame.

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Dignité Quel attrait d'ailleurs peut offrir cette doctrine de l'homme, de l'athéisme qui couvre d'un voile mystérieux

, puissances

la nature entière, qui désenchante et flétrit la vie, qui brise l'appui des malheureux, arrache à la vertu sa récompense, étouffe les remords du crime, et livre ensin l'homme au trépas, consumé de regrets, et vide d'espérances. Car ce n'est qu'après avoir acquis la connoissance de Dieu , ce n'est qu'à l'éclat de cette vive lumière « que

s'apparoît à l'ame la belle et véritable idée d'une » vie hors de cette vie, d'une vie qui se passe

»

(1) Voy. dans Massillon, les Paraphrases des pseaumes S

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