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puis rentrant en lui-même, il médite, dans un recueillement sublime, sur l'origine et la fin de son être, et sur la nature de ses devoirs (1).

Quelle est donc cette ame dont les facultés sont si merveilleuses? Est-ce un effet des combinaisons de la matière ? Est-ce un souffle immortel, ou une vapeur qui doit s'exhaler un jour? Si l'on ne considère dans l'union de l'ame et du corps, que les résultats de l'influence réciproque que ces deux substances exercent l'une sur l'autre, sans faire la distinction des propriétés essentielles à chacune d'elles, peut-être pourra-t-on les confondre? Mais en y réfléchissant, on découvrira aisément leurs attributs particuliers, et l'on sera forcé de reconnoître qu'un même sujet ne sauroit renfermer des qualités si dissemblables. La matière est étendue, palpable et divisible, susceptible d'une infinité de configurations, propre à être transportée, à changer de situation; elle a des accidens qui frappent les sens, tels que la couleur, la forme, la saveur, le son, les odeurs. Mais toutes ces choses sont étrangères à la substance invisible qui considère, qui compare, qui

(1) Voyez ce que dit Bossuet, sur les connoissances humaines, au ch. v du Traité de la connoiss. de Dieu et de soi-même, et dans le Sermon sur la mort.

fait des abstractions et réfléchit sur elle-même : celle-ci est simple, unique, sans parties et par conséquent indissoluble (1). On ne trouve rien dans le monde physique qui ait la moindre analogie avec aucune des facultés de l'ame, rien qui puisse rappeler l'idée de son inconcevable mobilité, de sa pénétration, de son aptitude à apprendre, à connoître, à se ressouvenir, à prévoir. Le corps de l'homme est dans l'inaction, et, plus prompte que l'éclair, sa pensée s'élance en un clin d'œil jusqu'aux extrémités des cieux, elle

(1) Locke prétend, dans son Essai sur l'Entendement humain, liv. Ir, ch. 3, « que nous ne serons peut-être jamais en état de » connoître si un être purement matériel pense ou non, par la » raison qu'il nous est impossible de découvrir par la contem» plation de nos propres idées, sans révélation, que Dieu n'a » point donné à quelques amas de matière, disposés comme » il le trouve à propos, la puissance d'apercevoir et de penser, » ou s'il a joint et uni à la matière, ainsi disposée, une substance » immatérielle qui pense ». Cette opinion, déjà combattue par le docteur Stillingfleet, me semble avoir été victorieusement réfutée par Condillac. Voy. l'Essai sur l'orig. des Connoiss. hum. 1. partie, ch. 1. Les adversaires de Locke, en niant sa proposition, n'entendent pas borner la puissance divine; ils reconnoissent seulement que Dieu a fait les choses d'une essence différente, selon leur destination diverse, et qu'ainsi il a voulu que l'ame, à cause de la nature de ses opérations, fût un sujet simple, indivisible et tout autre par conséquent que la matière qui est un composé de parties.

parcourt des distances prodigieuses, et, si j'ose ainsi parler, fait en quelques instans le tour de l'univers. Les temps qui ne sont plus renaissent pour elle; devant elle, et, pour ainsi dire, à son commandement, viennent se retracer dans un même tableau (1) toutes les découvertes de l'esprit humain, tous les travaux du génie, toutes les histoires des nations. Elle anticipe sur ce qui n'est point encore, et par ce qui se passe actuellement, juge ce qui doit arriver un jour, capable ainsi d'embrasser à la fois le passé, le présent et l'avenir. Ah! si notre ame n'étoit que matière, posséderoit-elle des attributs si différens de tout ce qui tient à la nature matérielle? Comment concevroit-elle les idées d'esprit, d'infini et d'éternité, comment les auroit-elle soupçonnées, eût-elle pu seulement inventer ces noms?

Mais, disent les matérialistes, et c'est là leur grand argument, l'ame ne s'exerçant que sur les sensations, ce n'est que par elles qu'elle acquiert ses idées, qu'elle réfléchit, qu'elle compare et qu'elle juge; or, lorsque les organes, destinés à lui transmettre l'impression des objets, sont détruits, elle reste nécessairement dans une entière

(1) La mémoire. Voy. ce que Cicéron dit sur cette belle faculté de l'ame, dans la première Tusculane.

inaction, ou, pour mieux dire, elle n'est plus rien elle-même, à moins de la supposer douée de cinq nouveaux sens (1). L'erreur de ceux qui raisonnent ainsi provient de ce qu'ils ne veulent pas concevoir la substance pensante, séparée et indépendante des perceptions sur lesquelles agit la pensée. C'est par les sens, il est vrai, que nous sommes affectés, et que notre esprit reçoit les idées des qualités sensibles; mais autre chose est le sujet qui fixe l'attention et sur lequel s'exerce le jugement, et autre est la faculté qui examine et qui juge; et d'ailleurs l'esprit luimême ne fournit-il pas à l'entendement les idées de ses propres opérations, qui sont la connoissance, la comparaison, le doute, le raisonnement et la détermination, etc., tous actes entièrement étrangers aux sens (2)? L'ame enfin étant de nature à apercevoir, à réfléchir et à juger, on doit croire que, dégagée à la mort des entraves qui l'embarrassent, elle se

(1) Præterà si immortalis natura animai est,

Et sentire potest secreta à corpore nostro,

Quinque (ut opinor) eam faciendum est sensibus auctam.

Lucret. de Nat. rer. lib. ui.

Voy. aussi Galien, de Usu part. cap. 1, 2, 3, etc.

(2) Voy. Locke, Ess. sur l'Entend. hum. liv. 11, ch. 1.

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trouvera dans une situation toute différente , et qu'appelée à considérer d'autres objets , elle aura nécessairement d'autres voies de perception, d'autres sentimens, d'autres pensées. Comme elle n'a à contempler ici-bas que des figures et des ombres , elle est plongée dans un corps qui n'est lui-même qu'une ombre en figure; elle ne peut, elle ne doit acquérir que des idées conformes à l'état présent des choses, c'est-à-dire, aux élémens grossiers d'un monde périssable. Mais lorsqu'elle sera sortie de l'empire des changemens, lorsque les ténèbres qui l'environnent seront dissipées, libre alors de tout préjugé, exempte de toute passion , désormais inaccessible à l'erreur , elle verra, elle connoîtra la vérité, comprendra l'infini, et saura apprécier les vains argumens et les frivoles recherches de cette raison si aveugle et si curieuse, si ignorante et si superbe, que nous décorons des titres de sagesse et de philosophie.

C'est à tort également que les matérialistes allèguent à l'appui de leur systême, les affections du cerveau qui produisent la démence. L'ame, disent-ils, ne peut être que d'une nature corporelle, puisque souvent le moindre dérangement dans la constitution physique aliène entièrement

l'esprit.

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