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l'esprit. Mais n'est-ce pas une chose toute simple que cette action immédiate qu'exercent l'une sur l'autre deux substances si intimement unies? Et si les chagrins, les langueurs et le désespoir de l'ame influent quelquefois sur le corps, au point d'en causer la destruction; doit-on s'étonner que les infirmités du corps, à leur tour, troublent les voies de l'entendement, surtout lorsqu'elles attaquent l'organe qui en est le siége? Au surplus on a remarqué que l'homme, dans les maladies où il perd l'usage de la raison, aperçoit de vains fantômes, de fausses images, mais qu'il raisonne toujours juste sur ces objets. Ainsi , par exemple, un malade agité d'un violent transport croit voir tourner le ciel de son lit, et veut faire cesser ce mouvement qui l'importune; ou s'imaginant qu’un spectre est devant ses yeux, il prie instamment qu'on l'écarte; ce qui prouve que l'ame , quand les sens sont altérés et affoiblis, peut recevoir des impressions qui ne soient pas

l'effet.de la réalité, mais que libre et indépendante par sa nature, elle ne laisse pas de juger sainement.

Les songes attestent encore la spiritualité de l'ame. Il faut bien que la faculté pensante soit immatérielle, puisqu'elle a de la mémoire et de l'imagination, puisqu'elle réfléchit et qu'elle rai

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MOR. DE LA BIB. I.

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sonne, lors même que l'assoupissement des sens l'empêche de recevoir aucune impression du dehors. Il est vrai que le plus souvent elle se représente des objets déjà connus d'elle, c'est-à-dire, des images qui, pendant la veille, lui ont été transmises par les perceptions de ces mêmes sens ; mais si elle n'étoit pas toute autre chose que

le corps, agiroit-elle lorsque celui-ci est dans un état de repos parfait; et les organes pourroientils, n'étant point affectés, causer aucun ébranlement dans le cerveau, et produire les sensations? On ne sauroit le supposer. Il n'y a pas lieu de croire non plus que les songes soient toujours l'effet ou la continuation immédiate des impressions vives que reçoivent les sens, puisqu'on rêve souvent de personnes et de choses auxquelles on

n'avoit pas pensé depuis plusieurs années. Ame des Poussés par cette intempérance de curiosité bêtes.

qui leur est naturelle, les liommes s'appliquent souvent à de vaines recherches, et agitent des questions qu'ils ne parviendront jamais à résoudre. Telle est celle de l'ame des bêtes. Les uns remarquant dans les animaux des organes semblables aux nôtres, et leur voyant faire des mouvemens qui annoncent un certain degré d'intelligence, leur accordent une ame spirituelle.

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D'autres, observant l'uniformité qui règne dans leurs ouvrages et même dans leurs actions, ne les croient pas susceptibles de se perfectionner , et concluent qu'ils sont mus par un principe purement sensitif, c'est-à-dire, capable de recevoir des impressions, mais privé de la faculté de réfléchir. Enfin un troisième parti en a fait de simples automates (1). Je ne chercherai point à déci

(1) Depuis Aristote jusqu'à nos jours, on a beaucoup disserté sur cette matière. Plusieurs, comme saint Basile ( 8. hom. sur l'Exameron ), prétendent que l'ame des bétes n'est autre chose que leur

sang, et par conséquent qu'elle est matérielle, fondant leur sentiment sur ce passage du Deuteronome : Hoc solum cave ne sanguinem ( pecorum ) comedas; sanguis enim eorum pro' animá est, et idcircò non debes animam comedere cum carnibus. ch. XI. v. 23. Gomés Pereira, médecin espagnol, est le premier moderne qui ait avancé ( dans un ouvrage intitulé Antoniana Margarita ) que les bêtes étoient de pures machines. Descartes, quatre-vingts ans après, reproduisit ce systéme, lequel, malgré sa bizarrerie, trouva pourtant de nombreux partisans.

Bossuet, au ch. v du Traité de la connoissance de Dieu et de soi-même, où il discute admirablement la question de la différence enire l'homme et la bête, conclut par accorder à celleci des sensations produites par les impressions physiques.

Le père Bougeant, jésuite, dans son Amusement philosophique sur le langage des bêtes, livre où il a beaucoup trop prodigué le badinage, soutient que Dieu a logé les démons dans le corps des animaux, et que leurs opérations intellec

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der de quel côté est la raison, pensant avec Abbadie (1) qu'il est absurde, en discutant sur la nature de notre ame, de prendre pour principe la chose du monde la plus obscure et la plus généralement ignorée qui est l'état intérieur des bêtes. J'observerai toutefois que la seule connoissance de Dieu nous place à l'infini au-dessus des brutes (2), et qu'envisagé sous le rapport moral, l'animal le plus intelligent n'est pas comparable au plus stupide des hommes. Pourquoi élever la bête jusqu'à nous? ou plutôt, pourquoi nous

tuelles sont moins parfaites que les nôtres, parce qu'elles sont assujetties aux organes matériels.

Au reste, j'engage ceux qui désireroient approfondir la question, à lire le, Disc. de la connoissance des bétes, par Gaston Pardies; l'Essai philosophique, de Boullier, sur l'ame des bêtes; Condillac, Ess. sur l'orig. des connoiss. hum. 1.re part. sect. 11, ch. 4, et Traité des animaux, 2.o part. ch. 7, 8, 9 et 10. Et enfin l'art. de l'Encyclopédie, ame des bêtes, dont l'auteur est le célèbre abbé Yvon; ils trouveront exposées dans ces ouvrages les diverses opinions des philosophes sur l'instinct des

animaux.

(1) Traité de la vérité de la relig. chret. sect. 1, ch. v.

(2) Personne, sans doute, ne croira, sur la foi de quelques auteurs, qu'il y ait eu des éléphans capables de connoître la Divinité et de lui rendre un culte. Voy. Plin. Hist. nat. liv. run, ch.1; Hist. du christ. des Indes, par Delacroze, liv. vi, et Dherbelot, Bibliot. orient. etc.

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abaisser jusqu'à elle? Ce rapprochement bizarre, ce parallèle monstrueux n'est-il pas une injure faite à la dignité humaine ? Les animaux dont nous admirons le plus l'instinct et l'adresse naturelle, arrivent en peu de temps, sans application, sans étude, à un point de perfection qu'ils ne peuvent jamais dépasser, et qu'ils ne dépasseroient jamais, quand même ils vivroient plusieurs siècles. Chez eux les individus de la même espèce ont les mêmes penchans, les mêmes dispositions, la même industrie, et dans un degré à peu près égal. On admire dans quelques-uns des effets surprenans de la puissance mécanique; mais leurs mouvemens n'offrent jamais cet ordre d'actions, et cette correspondance de moyens qui ne peuvent être que le résultat de l'association des idées. Quant aux hommes, il n'en est pas ainsi ; ils diffèrent autant et plus encore par le caractère, les inclinations, les facultés de l'esprit et les talens, que par les qualités physiques. Leur ame, quelques progrès qu'elle fasse dans la vertu , ne parvient jamais à un point qu'on puisse juger en être le dernier terme; elle a toujours quelque imperfection, toujours elle tend à devenir meilleure. Un auteur du siècle dernier

regardoit avec raison cette progression continuelle de l'ame vers un état plus parfait, comme une des

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