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l'égarement, car les méchans ne lui sont pas nécessaires, et il ne prend point plaisir à avoir un grand nombre d'enfans infidèles (1). Pourquoi excuser tes vices en flétrissant la vertu? Si tu n'étois pas libre, si tu n'agissois que par d'irrésistibles impulsions, serois-tu autre chose qu'un vil esclave ou qu'une machine ? Hors d'état de commettre le mal, quel mérite aurois-tu à bien faire ? Qui ne combat point, ne sauroit remporter la victoire, et n'a aucun droit à la récompense. Lors donc que tu succombes, n'en accuse que ta lâcheté, et ne te dépouille pas du plus noble de tes attributs, de celui qui doit faire tout ton orgueil, puisque par lui tu peux jouir du glorieux privilége d'être bon par ton choix.

La conscience au surplus dépose contre notre Conscience. malice; elle nous crie qu'on n'est jamais méchant par ignorance ou par contrainte. Si toutes nos actions ne pouvoient être attribuées qu'à la fatalité, si nous n'avions point une volonté indépendante, éprouverions-nous, après une bonne æuvre, cette douce satisfaction qui en est le premier salaire, et qui tient au sentiment même de notre liberté, c'est-à-dire, à la certitude que nous avons d'avoir fait le bien de notre propre mouvement

(1) Voy. le chap. xv de l' Ecclésiastique, vers. 11 et suivans.

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accusa

res.

et par inclination. Et ces remords qui s'attachent au crime, comme le vautour à sa proie, qui empoisonn

onnent tous ses plaisirs, et lui font , jusque dans les bras du sommeil , éprouver d'affreux tourmens, sont-ils autre chose

que

des tions du coupable contre lui-même, et des reproches secrets qu'il se fait d'avoir violé la loi écrite

au fond de son cour. Jugement L'abus que nous faisons de notre liberté est la dernier; peines et récom- source de tous les maux qui règnent sur la terre. penses futu- De là le triomphe des méchans, et les tribulations

de la vertu. Mais ce spectacle qui provoque les blasphêmes de l'impie, loin d'être pour l'honnête lomme un sujet de découragement et de désespoir, soutient au contraire et affermit son espérance (1). Car il sait que si les choses humaines ont un cours vague et incertain , les yeux du Tout-puissant n'en sont pas moins ouverts sur les voies des enfans des hommes ; il sait que si le juste est traité ici-bas comme le pécheur, et le parjure comme celui qui jure dans la vérité, c'est que tout est réservé pour l'avenir (2). Saint Gré

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(1) Voy. S. Aug. Cité de Dieu, liv. 1, ch. 8, 9, 10 et 11; et Bossuet, dans ses admirables Sermons sur la Providence, et sur le melange des bons avec les mechans.

(2) Sed omnia in futurum servantur incerta, cò quòd universa

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goire le Grand explique d'une manière admirable les motifs de cet abandon apparent, dans lequel la Providence semble quelquefois laisser les affaires de ce monde. « C'est , dit-il, par un conseil » de miséricorde que Dieu trouble ainsi ses élus,

pendant leur pélerinage sur la terre. Car la » vie présente n'est qu'un chemin qui conduit à » la véritable patrie; et Dieu, pour accomplir » les desseins cachés de sa sagesse, nous exerce » par des épreuves continuelles, de peur que » nous ne placions tout notre amour dans la » voie, sans songer à cette patrie céleste qui en » est le terme (1)».N'outrageons donc pas la justice divine, en supposant que l'homme , après s'être montré quelques instans sur la terre, doit retomber dans le néant d'où il est sorti. Dieu ne fait rien par caprice et sans but, et puisqu'il nous a rendus propres à la vertu, il a nécessairement

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æquè eveniant justo et impio, bono et malo, mundo et immundo, immolanti victimas, et sacrificia contemnenti. Sicut bonus et peccator , ut perjurus ità et ille qui verum dejerat. Eccle. ix. 2,

(1) ....Quòd pio quidem Dei consilio agitur ut hujus peregrinationis tempore electorum vita turbetur. Via quippè est vila præsens quâ ad patriam tendimus, et idcircò hic, occulto judicio, frequenti perturbatione conterimur, ne viam pro patria diligamus. Mor. lib. xxii, cap. 15.

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attaché aux sacrifices qu'elle impose, des récompenses qui , n'étant pas dispensées dans cette vie, doivent l'être dans une vie à venir. Quel bonheur en effet, quelle satisfaction véritable peut-on goûter dans ce monde, séjour de trouble et de confusion, où le méchant est si souvent comblé de biens, et le juste accablé de misères? Quoi de plus vain que les grandeurs, de plus fragile que la puissance ? Des princes ont été humiliés jusqu'à l'opprobre, et l'on a vu des rois devenir la fable et les jouets des nations. Mais un temps viendra où seront réparés tous les désordres, et où la racine du mal sera détruite à jamais. Alors se levera le soleil de la justice; alors les habitans de la poussière sortiront de leurs demeures, et toute la race humaine comparoîtra dans le champ de la vérité, pour y entendre le jugement. Quand cette heure redoutable aura sonné, les paroles les plus secrètes seront publiquement révélées ; les cuvres de ténèbres paroîtront au grand jour; tous les masques tomberont, et le crime se montrera dans son affreuse nudité. La vertu ne sera plus humble et ignorée , mais pleine d'assurance , comme parle l'Ecriture (1), et brillante déjà de l'immortalité qui lui fut promise.

(1) Tunc stabunt justi in magnâ constantiâ, etc.... Sap. V, 1.

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Enfin la voix du Dieu vengeur, éclatant comme un tonnerre , prononcera l'irrévocable sentence; et après que chacun aura été jugé selon le mérite de sa vie, le règne des illusions et des changemens s'évanouira ; les temps seront engloutis dans les abîmes de l'éternité.

Tel sera le dénouement de la scène qui se passe sous le soleil. Songeons maintenant à nous réjouir! « Marchons comme nos yeux nous gui» dent, et selon les désirs de notre cour(s); cou» ronnons-nous de roses, avant qu'elles ne se » fanent; plongeons-nous dans les voluptés ; lais» sons partout des monumens de nos plaisirs (2) » ? Tandis

que,
séduits

par

les vanités du monde nous en goûtons les fruits avec délice, le dernier jour arrive, il se hâte , il approche, il nous presse, et personne de nous, peut-être, n'est prêt à rendre le compte qui va lui être demandé (3),

8,9

(1) .... Ambula in viis cordis tui et in intuitu oculorum tuon rum.... Eccle. XI, 9.

(2) Coronemus nos rosis antequàm marcescant.... ubique re: linquamus signa lætitiæ !.... Sap. 11, 8, 9.

(3) Voy. dans Bossuet, Serm. pour le jour de Páques, le passage tant de fois cité, qui commence par ces mots : La vie humaine est semblable à un chemin dont l'issue est un précipice affreux, etc.

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