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lois douces interprétées par des juges esclaves, et suspects d'ignorance ou de méchanceté, des lois rigoureuses dans les mains d'hommes équitables!

Cette pensée, de tempérer la sévérité des principes par la difficulté de l'application, est l'âme de la jurisprudence hébraïque. Dom Calmet, qui a souvent très-mauvaise grâce à tourner en raillerie les docteurs, leur fournit sur ce point son témoignage d'autant plus direct qu'il leur en fait un grave reproche. « Les jurisconsultes hébreux, dit-il, au sujet de la peine prononcée contre le fils rebelle, ont défiguré cette loi, comme toutes les autres qui leur sont odieuses : ils y ont apporté tant de tempéramens et de restrictions, tant d'exceptions et de subterfuges, qu'il est presque impossible de tomber jamais dans le cas marqué par la loi (3).

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Bien plus, ces mêmes jurisconsultes ont en quelque sorte pressenti les belles vérités que la philosophie a si savamment développées dans les temps modernes sur la peine de mort. « Un tribunal qui condamne à mort une fois en sept ans peut être appelé sanguinaire. Il mérite cette qualification, dit le docteur Éliéser fils d'Asarias, quand il prononce une pareille sentence une seule fois dans soixante-dix ans. Si nous eussions été membres de la haute cour, ajoutent

les docteurs Tyrphon et Akiba, nous n'eussions jamais condamné un homme à mort. Siméon, fils de Gamaliel, leur répond: « Ne serait-ce pas un abus; n'auriez-vous pas craint de multiplier les crimes en Israël (4)? »

Non, sans doute. Loin d'en affaiblir le nombre, la rigueur de cette peine les accroît, en donnant un caractère plus résolu aux hommes capables de la braver et que de bons esprits se rangent anjourd'hui de l'avis d'Akiba et de Tyrphon! que de consciences se refusent à participer de quelque manière que ce soit à la mort d'un homme ! Ce sang qui coule; cette multitude agitée par une curiosité indécente; cette victime qu'on traîne comme en triomphe sur l'autel le plus horrible : l'impossibilité de réparer une erreur dont n'est jamais exempte la sagesse humaine; l'effroi de voir un jour une ombre douloureuse s'élever de la terre et dire : « J'étais innocent »; la facilité qu'ont les peuples modernes de rejeter hors de leur sol l'homme qui l'a souillé; l'influence des iniquités générales sur la production des crimes; enfin le contraste absurde d'une société tout entière, forte, intelligente, armée, qui, pour s'opposer à un malheureux entraîné par le besoin, par les passions ou par l'ignorance, ne trouve d'autres moyens que de le surpasser en cruauté : toutes ces choses et beaucoup d'autres encore

ont déjà si profondément pénétré dans tous les rangs, qu'il en sortira bientôt le plus admirable exemple de la puissance des mœurs sur les lois : car la loi sera changée, par cela même qu'on ne rencontrera plus personne qui consente à l'appliquer. « J'avais deux enfans, disait au roi David la veuve de Tekoah qui semble ici représenter la société tout entière : dans une querelle, l'un a tué son frère. Toute la parenté s'assemble pour le faire mourir. Hélas! moi qui suis innocente, je serai donc la seule à supporter la pei ne; j'aurai perdu mes deux enfans!..... (5) »

Il n'est pas possible de se méprendre sur les expressions figurées, vengeance des lois, vengeance divine, qui remontent à des temps où la pauvreté des langues faisait employer les mêmes mots pour des choses différentes, et qui marquent la réaction inévitable de l'ordre social et de l'ordre universel à la suite de tout fait nuisible. Mais pourquoi recourir à ces expressions anciennes qui ne réveillent plus aujourd'hui que l'idée des passions humaines? La loi s'occuperait-elle à satisfaire le ressentiment des individus lésés? Réparer le mal, corriger le coupable; voilà sa seule vengeance, qui doit être un bienfait, même pour celui sur qui elle s'exerce.

L'homicide volontaire est le crime contre lequel le législateur s'élève avec le plus de force.

L'Éternel ne signale, comme absolument digne de mort, que l'homme qui a versé le sang de son prochain. C'est pourquoi la loi dit « qu'on ne fera jamais de concession pour sauver la vie du meurtrier (6).» Elle semble indiquer par là qu'il y avait un tempérament à prendre quand il s'agissait de tout autre crime. Le Décalogue n'a tracé pour principe fondamental, immuable, que ces mots, tu ne tueras point; laissant à l'intelligence des hommes à déterminer, suivant les temps et les circonstances, les peines qui doivent atteindre les infractions à ce principe sacré.

On conçoit la sévérité des législations anciennes: il fallait combattre des mœurs qui inspiraient à chaque individu la volonté de recourir au moyen le plus prompt de venger une injure et de se défaire d'un ennemi. On conçoit que cette sévérité trouvât un écho dans toutes les ames: le danger était pressant; le cas de légitime défense existait. Mais lorsque les mœurs ont changé, la position respective a subi des modifications infinies. Le meurtre n'est plus une coutume, mais une exception: on se demande quelles en sont les causes? si la mort du coupable les prévient? si elle répare le mal accompli? et surtout si, loin d'inspirer des sentimens louables, l'aspect du sang humain, quoique versé légalement, ne dispose pas certains hommes, à le faire couler d'une manière illégale?

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Sans doute, chaque citoyen, en réfléchissant sur les peines infligées au criminel, doit y puiser le besoin de ne pas s'écarter de la justice. Mais appartient-il à la loi de faire des exemples? et cette expression fatale, autour de laquelle se groupent des souvenirs si effrayans, ne sera-t-elle pas proscrite à jamais? Que la loi traite l'accusé comme s'il était innocent, jusqu'à l'heure où la preuve se découvre; qu'elle réserve tout son appareil pour proclamer l'innocence; qu'elle punisse l'action coupable, avec le regret de ne pouvoir la détacher, pour ainsi dire, de l'homme qui l'a commise: tels sont ses droits, ses limites et les seuls exemples qu'il lui soit permis de donner: au-delà, ce n'est plus la loi qui commande, mais des circonstances passagères, une force aveugle, la barbarie *.

Combien ces observations s'appliquent plus directement aux crimes différens de l'homicide, et surtout à ces accusations concernant l'ordre pu

* Tout le monde juge en effet que la société qui, dans la crainte bien ou mal fondée d'un danger futur, spéculerait sur le sang et sur les angoisses actuelles d'un malheureux, pour les faire servir comme d'épouvantail, commettrait une profonde injustice. L'ordre judiciaire punit les crimes; c'est aux bonnes dispositions de l'ordre politique et à la puissance de l'ordre moral qu'il faut demander de les prévenir.

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