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pour elle proportionné à cette action même, peut-on dire que le désir de vengeance ait dominé dans sa conception? ne doit-on pas plutôt y reconnaître le pendant de ce fameux principe moral de l'antiquité. « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fit? » rendu en ces termes « Crains qu'on ne te fasse ce que tu ferais de mal à autrui. » La vengeance est déréglée de sa nature; elle va toujours au-delà du coup qui l'a excitée : aussi, quels que soient les mots qui la déguisent, y a-t-il dans une foule de nos lois pénales modernes plus de vengeance que dans la peine du talion. Celle-ci admet une égalité rigoureuse entre l'acte coupable et la peine, tandis que celles-là offrent une disproportion excessive, et accumulent souvent un grand nombre de peines différentes, physiques ou morales, contre le même délit.

Mais la peine du talion est un principe plutôt qu'une loi. Comme loi, elle ne peut pas, elle ne veut pas, en général, être exécutée; et je dis qu'elle ne veut pas, parce que l'égalité parfaite, qu'il est de son essence d'exiger entre la punition et le dommage, est aussi impossible à produire qu'elle serait inutile et funeste. Comment faire à un homme, une fracture, une blessure, une contusion ressemblant en tout point à celle qu'il a causée à un autre? Et quel avantage pour la répu

blique, qui a perdu un œil, une jambe ou un bras dans la personne d'un de ses citoyens, de s'en priver dans un second?

Alors les compensations pécuniaires furent imaginées pour suppléer à ce qu'il y avait d'inexécutable dans la loi. Moïse, en même temps qu'il consacra le principe du talion, le modifia dans la pratique. On a vu sa défense spéciale, de tolérer une réparation quelconque de la part de l'homicide volontaire il admet donc qu'elle pourrait être acceptée en toute autre circonstance, et il prouve que cette peine, usitée très-antérieurement à lui, fut dès l'origine accompagnée de transactions pécuniaires qu'on avait étendues jusqu'à l'homicide. « Un homme, ajoute-t-il, qui aura frappé son adversaire de manière à le forcer à s'aliter, le fera guérir, et le dédommagera du temps que le malade aura perdu (36). » De là vient que tous les docteurs hébreux reconnaissent aux juges le droit de transformer en amendes proportionnées au délit, la peine qui nous occupe. «Si quelqu'un te coupe la main, dit Juda Hallevy, né en Espagne vers l'an 1090, nous n'entendons pas que la main lui soit coupée. Quel bien en résulterait-il pour toi? De même, est-il besoin de te faire remarquer combien cela serait contraire à la justice et à la saine raison, de rendre fracture pour fracture, blessure pour blessure!

Quel moyen aurions-nous pour les mesurer exactement, pour fixer le plus ou le moins? Arracherons-nous l'œil à celui qui n'en possède qu'un seul, comme à celui qui a ses deux yeux; et rendrons-nous le premier aveugle, tandis que l'autre ne serait que borgue? » Mais à quoi bon m'étendre sur ces choses qui prouvent la sagesse et la sagacité de ceux dont nous tenons la tradition (37)? Malgré cela, le principe restait dans son intégrité; et le coupable devait s'estimer heureux de ne pas subir tout le mal qu'il avait osé faire à son prochain, à son frère *.

Reste donc à parler des compensations pécuniaires, qui demandent à être considérées sous un aspect très-différent, suivant l'ordre de la société où on les met en usage. Supposez que les biens et l'argent devinssent un jour dans les mains de ceux qui les possèderaient le signe représentatif de leur propre travail; une peine en argent produirait ce double effet, de leur imposer des privations plus ou moins nombreuses, et de les

* La réparation simple du dommage ne doit pas être considérée comme peine; elle était sans préjudice de la peine correctionnelle. La loi dit : « Dans les différends on justifiera le juste et on condamnera le méchant. Si le méchant a mérité d'être battu, le juge ordonnera qu'il le soit de sorte qu'elle laissait le droit d'ajouter la correction à la réparation exigée de l'offenseur en faveur de l'offensé.

forcer à un surcroît de travail pour séparer l'échec porté à leurs moyens d'existence. La législation, dirigée dans cet esprit; viserait en conséquence à ce que chaque membre de la société possédât toujours quelque chose, enfin de trouver dans cette chose même et dans les conditions requises pour l'obtenir, des garanties aussi sûres que celles que lui offrent les personnes. Mais là où les biens seraient le prix de la force, où leur répartition reposerait en grande partie sur des abus, et sur un concours de circonstances fortuites, on juge que les peines pécuniaires changent de caractère, qu'il serait trop dangereux de mettre l'impunité à prix d'argent, et qu'il faut plus directement atteindre le corps des individus eux-mêmes.

Les jurisconsultes hébreux distinguent cinq élémens dans toute violence envers les personnes le dommage qu'elle porte à leur valeur intrinsèque, ainsi, un bras cassé enlève pour jamais à l'homme une partie de sa force; la douleur qui lui a été causée; les soins qu'exige la guérison; la suspension de travail; enfin l'espèce d'ignominie à laquelle on l'a exposé. C'est en raison de ces choses que doit être évaluée la peine (38).

* Parmi toutes les insultes, le soufflet donné du revers de la main est la plus grande, l'amende est double de

Le savant Merlin se trompe, quand il dit que la loi de Moïse frappe le vol de la peine capitale (39). « Si un individu ayant dérobé un bœuf, un chevreau ou un agneau, le tue ou le vend, il restitue cinq boeufs pour un bœuf, et quatre agneaux ou chevreaux », qui sont de moindre utilité. «Si l'animal est trouvé vivant entre ses mains, il ne rend que le double; par la raison qu'il avait peut-être le dessein de le restituer. » C'est pourquoi la jurisprudence libérait de l'amende l'homme qui, entraîné par sa conscience, avouait son délit avant que les témoins ne se fussent présentés (40). La loi des Douze Tables offre une disposition tout opposée : « Le voleur surpris avec l'objet volé est condamné à payer le quadruple; s'il n'est découvert qu'après l'avoir caché, il paie seulement le double.» Montesquieu trouve cette disposition bizarre (41); celle des Hébreux lui aurait paru naturelle.

« Celui qui vole des meubles ou de l'argent ne rend que le double (42). ». Ils ne sont pas d'une si grande importance, dans un pays agricole, que les animaux domestiques. On abandonne ces derniers avec confiance dans les champs, tandis que le maître de l'argent ou des ustensiles volés a cu

celle qu'on impose pour le coup porté avec la main plate. (De Damnis, lib. I, cap. vin, §6).

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