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sens de table à manger. Les anciens textes sont concordants: un dais y est toujours la table du repas, et particulièrement du repas d'apparat, de celui des princes et des seigneurs. Puis, comme le repas d'apparat occupait un endroit élevé au-dessus du sol, dais passe au sens d'estrade; enfin, comme l'estrade est souvent recouverte de draperies qui la décorent, le sens actuel de dais s'établit, et les autres qui ont servi d'intermédiaire tombent en désuétude.

Les mots, comme les familles, sont exposés à perdre leur noblesse et à descendre des significations élevées aux basses significations. L'historique, qui est leur arbre généalogique, en fait foi. Voyez donzelle; c'est un terme du langage familier, d'un sens très-dédaigneux et appliqué à des femmes dont on parle légèrement. Tel n'était point l'usage originel : donzelle, ou doncele, ou dancele (ces formes sont équivalentes) n'avait pas d'autre emploi que demoiselle ou damoiselle, dont il est la contraction : c'était la jeune dame, la jeune maîtresse, la fille de la maison, du manoir féodal; et cette signification prenait sa source dans le latin; car demoiselle est la représentation française de dominicella, diminutif de domina. C'est encore au sein de la hiérarchie domestique que valet, après avoir été dans le haut, descend dans le bas. D'abord, il fut bien loin d'appartenir aux serviteurs de la maison et de jamais prendre l'acception défavorable qui lui vient quand il sert à caractériser une complaisance servile et blåmable. Valet, et, selon l'orthographe véritable, vaslet, est le diminutif de vassal, proprement le petit vassal; or, dans le langage du moyen âge, ce petit vassal est le jeune homme des familles nobles qui en est à son apprentissage dans les fonctions domestiques et militaires. Le sens propre est resté dans varlet, qui ne se dit plus qu'en parlant des temps féodaux et qui est le même mot, l'r se substituant quelquefois à l's. Vassal avait deux sens très-distincts dans le vieux français : il signifiait et celui qui était subordonné à un autre dans la hiérarchie féodale, et celui qui se distinguait à la guerre par sa vaillance et sa prouesse. On peut croire que l'idée de vassal, perdant sa dignité, à mesure que la société féodale dépérissait, est descendue jusqu'à celle de valet; mais l'on voit par l'exemple de donzelle, que l'usage n'a pas même besoin de ces prétextes pour faire passer un mot des rangs élevés dans les humbles positions.

Il en est de certaines locutions comme des sens détournés; si elles sont difficiles, il n'y a guère que l'historique qui en fournisse l'explication; s'il manque à la fournir, les conjectures ne mènent d'ordinaire qu'à des incertitudes. Qui, par exemple, sans l'historique, peut deviner ce qu'est chape chute? Une chape et une chute, que veut dire cela? Et si, dans l'impuissance d'expliquer ces deux mots, on cherche à les interpréter en attachant à chape et à chute un autre sens que celui qui leur est propre, quelle confiance avoir en d'aveugles tâtonnements? Rien n'est à changer sens de ces mots; c'est bien de chape qu'il s'agit; chute est le participe chu ou chut, devenu substantif dans notre mot chute, conservé dans la seule locution chape chute, qui dès lors signifie chape tombée. Or cette chape chute ou chape tombée

au

DICT. DE LA LANGUE FRANÇAISE.

I.

figure dans un vieux récit du trouvère Wace sur la justice rigoureuse du duc Rollon ou Rou en Normandie. Une femme s'empare d'une chape chute et est punie; de là vient la locution de chape chute pour chose de quelque valeur que l'on trouve, et dont on s'empare; et c'est ainsi que, dans la Fontaine, le loup, rôdant autour de la maison où l'enfant pleurait, attendait chape chute, c'est-à-dire quelque aubaine.

Par une efficacité de même genre, l'historique ramène parfois à des origines distinctes des mots qui sont allés se confondant par une vicieuse assimilation. Le dé à jouer et le dé à coudre est-ce étymologiquement la même chose? Et, s'ils sont différents, quelle est la forme primitive de chacun? Du premier coup d'œil, la lecture des textes successifs tranche la question, montrant que le dé à jouer est toujours dé, et ne change pas en remontant vers les anciens temps, au lieu que le dé à coudre quitte une apparence trompeuse, cesse d'être assimilé à l'autre et devient deel, lequel indique le latin digitale.

Chaque époque a son genre de néologisme. L'historique en donne la preuve : tels mots n'apparaissent qu'au quatorzième siècle, tels autres datent du quinzième ou du seizième. Ce sont des additions continuelles; il est vrai que des pertes non moins continuelles agissent en sens inverse; tous les siècles font entrer dans la désuétude et dans l'oubli un certain nombre de mots; tous les siècles font entrer un certain nombre de mots dans l'habitude et l'usage. Entre ces acquisitions et ces déperditions, la langue varie tout en durant. Un fonds reste qui n'a pas changé depuis le onzième et le douzième siècle; des parties vont et viennent, les unes périssant, les autres naissant. C'est cette combinaison entre la permanence et la variation qui constitue l'histoire de la langue.

VIII. PATOIS; LANGUES ROMANES.

Les patois, dans l'opinion vulgaire, sont en décri, et on les tient généralement pour du français qui s'est altéré dans la bouche du peuple des provinces. C'est une erreur. Je montrerai plus loin, à l'article Dialectes, que les patois sont les héritiers des dialectes qui ont occupé l'ancienne France avant la centralisation monarchique commencée au quatorzième siècle, et que dès lors le français qu'ils nous conservent est aussi authentique que celui qui nous est conservé par la langue littéraire. Cela étant, un dictionnaire comme celui-ci ne pouvait pas les négliger; car ils complètent des séries, des formes, des significations.

En fait de langue et de grammaire, des exemples mettent les choses bien plus nettement sous les yeux que ne font les raisonnements. Je prends de nouveau notre mot danger, pour en faire l'étude par les patois comme j'en ai fait l'étude par l'historique, et pour y montrer comment les patois et l'historique se donnent

souvent la main. De quelque manière qu'il soit devenu synonyme de péril, qui est le terme propre, le terme d'origine latine (periculum), le français littéraire ne donne rien au delà de cette acception présente. Mais allons aux patois; aussitôt la signification s'étend et ouvre des aperçus dont il faut tenir compte. Dangier, en normand, signifie domination, puissance; et dangi, en wallon, nécessité, péril. Sont-ce des sens arbitraires et nés de caprices locaux? Pas le moins du monde; la série des textes écarte une aussi fausse interprétation. Dans l'ancien français, danger signifie autorité, contrainte, résistance, et le sens de péril n'y paraît qu'assez tard. L'historique, les patois, le sens d'aujourd'hui, voilà donc les éléments de toute discussion sur le classement des significations du mot danger et sur son étymologie.

Certaines formes pures qui ont disparu du français sont demeurées dans les patois. Si l'on doutait que lierre fût une production fautive née de l'agglutination de l'article avec le mot (l'-ierre), les patois suffiraient à en fournir la preuve; tous n'ont pas suivi la langue littéraire dans la corruption où elle est tombée; et hierre, du latin hedera, se trouve dans la bouche des paysans de plusieurs provinces, tandis que les lettrés sont obligés de dire et d'écrire ce barbarisme, le lierre. Non pas que je veuille, grammairien ou lexicographe rigoureux, conseiller en aucune façon de revenir sur ce qui est accompli et d'essayer, par exemple, de restaurer hierre à la place du vicieux usurpateur lierre; y réussir serait un mal. En effet, qu'arriverait-il? L'oreille s'accoutumant à hierre, lierre deviendrait un barbarisme insupportable, et tous les vers de notre âge classique, où lierre figure honorablement, seraient déparés. On n'a que trop fait cela au dix-septième siècle, quand, déclarant entre autres dedans, dessus, dessous, adverbes au lieu de prépositions qu'ils avaient été jusque-là, on a rendu désagréables pour nous tant de beaux vers de Malherbe et de Corneille. Il est des barbarismes et des solécismes qu'il est moins fâcheux de conserver, qu'il ne le serait de les effacer. D'autres fois les patois offrent un secours particulier à l'étymologie. Dans notre mot ornière, si l'on prend en considération le commencement or... et le sens, on sera très-porté à y trouver un dérivé du latin orbita, roue (l'ornière étant la trace d'une roue), par l'intermédiaire d'une forme non latine orbitaria, mais qu'on peut supposer. Cependant des scrupules étymologiques persistent, et la présence de l'n au lieu du b entretient les doutes; car orbita, par l'intermédiaire d'orbitaria, aurait dû donner orbière, non ornière. Si orbière était quelque part, il éclaircirait ornière, qui ne pourrait pas en être séparé. Il est en effet quelque part; le wallon a ourbîre, qui signifie ornière, et de la sorte le chaînon nécessaire est trouvé.

Un fait qui est certain, bien qu'il n'ait pas été très-remarqué, c'est que de temps en temps il s'introduit dans la langue littéraire des mots venus des patois, particulièrement des patois qui, avoisinant le centre, ont avec lui moins de dissemblance pour le parler. Cela n'est point à regretter; car ce sont toujours des mots trèsfrançais et souvent des mots très-heureux, surtout quand il s'agit d'objets ruraux et

d'impressions de la nature. Cette introduction se fait principalement par les récits de comices agricoles et de congres provinciaux, par les journaux, par les livres. Il est possible que, grâce à une plume célèbre, le mot champi (enfant trouvé), qui est usité dans tout l'Ouest, prenne pied dans la langue littéraire.

Pour ces raisons, j'ai fait usage des patois. Malheureusement toutes ces sources de langue qui coulent dans les patois sont loin d'être à la portée du lexicographe. Il s'en faut beaucoup que le domaine des parlers provinciaux ait été suffisamment exploré. Il y reste encore de très-considérables lacunes. C'est aux savants de province à y pourvoir; et c'est à l'Académie des inscriptions et belles-lettres à encourager les savants de province.

La place que j'ai accordée aux patois est petite et ne dépasse pas la rubrique que j'ai intitulée ÉTYMOLOGIE. Là je recueille toutes les formes qu'ils fournissent, autant du moins que les glossaires qui ont été publiés me l'ont permis; je les mets les unes à côté des autres, et souvent elles me servent à la discussion étymologique, quelquefois à la détermination des sens et à leur classification; dans tous les cas elles complètent l'idée totale de la langue française, en rappelant qu'elle a eu des dialectes, et qu'avant d'être une elle a été nécessairement multiple, suivant la province et la localité. Je dirai des langues romanes ce que je viens de dire des patois je leur donne une petite place à l'ÉTYMOLOGIE, citant avec soin les mots qu'elles m'offrent en correspondance avec le mot français; et là elles me servent à la discussion étymologique et à la détermination du sens.

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A l'article langues romanes, dans le Complément de cette préface, j'exposerai avec quelques développements les rapports des langues romanes entre elles et la position que le français y occupe. Pour le moment, je veux seulement expliquer l'usage de ce dictionnaire, c'est-à-dire indiquer quelles sont les parties qui le composent, quelle place ces parties y occupent et à quel office elles sont employées.

Dans la plupart des cas, un mot français n'est point un mot isolé dans l'Occident, mais il est également provençal, espagnol, italien, soit qu'il provienne du latin, ce qui est l'ordinaire, soit qu'il provienne du germanique ou d'autres sources. Cette simultanéité ne peut pas ne pas être consultée pour l'étymologie; l'étymologie, à son tour, réagit sur la connaissance des acceptions primitives et sur leur filiation. Et dès lors il devient nécessaire de faire une place, petite sans doute, mais déterminée, à la comparaison des langues romanes, pour chaque mot qu'elles ont en commun.

IX. ETYMOLOGIE.

L'étymologie a pour office de résoudre un mot en ses radicaux ou parties composantes, et, reconnaissant le sens de chacune de ces parties, elle nous permet de

concevoir comment l'esprit humain a procédé pour passer des significations simples et primitives aux significations dérivées et complexes.

L'étymologie est primaire ou secondaire : primaire, quand il s'agit d'une langue a laquelle, historiquement, on ne connaît point de mère; secondaire, quand il s'agit d'une langue historiquement dérivée d'une autre. Ainsi l'étymologie romane, et, en particulier, française, est secondaire, remontant pour la plupart des mots au latin, à l'allemand, au grec, etc. Puis l'étymologie latine, ou grecque, ou allemande, est primaire; ces idiomes n'ont pas d'ascendants que nous leur connaissions, mais ils ont des frères, le sanscrit, le zend, le slave, le celtique; ce sont autant de termes de comparaison pour l'étymologie primaire, qui s'efforce d'isoler les radicaux irréductibles, de déterminer quel en fut le sens et d'en faire la nomenclature.

Dans ce dictionnaire, il n'est question que de l'étymologie secondaire et seulement de la langue française. Le problème à résoudre est de trouver pour chaque mot français le mot ancien dont il procède et l'origine de la signification que prend le mot ancien en devenant le mot moderne. Il s'en faut, certes, que le problème soit résolu pour tous les mots; mais il l'est pour beaucoup; et sur ce terrain de l'étymologie secondaire, qui est plus rapproché de nous et plus historique, on a d'amples et précieux documents qui enseignent comment l'esprit d'un peuple, à l'aide d'un fonds préexistant, fait des mots et des significations: ce qui jette du jour sur le terrain plus éloigné et moins historique de l'étymologie primaire.

Mais l'étymologie est-elle une science à laquelle on puisse se fier, et dépasse-t-elle Jamais le caractère de conjectures plus ou moins ingénieuses et plausibles? Cette appréhension subsiste encore chez de bons esprits, restés sous l'impression des aberrations étymologiques et des moqueries qu'elles suscitèrent. L'étymologie fut, débuts, dans la condition de toutes les recherches scientifiques, c'est-à-dire sans règle, sans méthode, sans expérience. La règle, la méthode, l'expérience ne naissent que par la comparaison des langues, et la comparaison des langues est une application toute nouvelle de l'esprit de recherche et d'observation. Les savants qui les premiers s'occupèrent d'étymologie, ne pouvant consulter que la signification et la forme apparente des mots, ne réussissaient que dans les cas simples: ils n'avaient aucun moyen de traiter les cas complexes et difficiles sinon par la conjecture et l'imagination; et dès lors les aberrations étaient sans limites, puisqu'il ne s'agissait que de satisfairetellement quellement au sens et à la forme.

Désormais les recherches étymologiques sont sorties de cette période rudimentaire; et l'ancien tâtonnement a disparu. L'étude comparative a établi un certain nombre de conditions qu'il faut remplir; le mot que l'on considère est soumis à l'épreuve de ces conditions; s'il la subit, l'étymologie est bonne; s'il la subit incomplétement, elle est douteuse; s'il ne peut la subir, elle est mauvaise et à rejeter. De la sorte tout arbitraire est éliminé; ce sont les conditions qui décident de la valeur d'une éty

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