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éloignées mais en attendant un parfait éclaircissement, je veux avec ces célèbres auteurs que la satisfaction pour le péché soit indispensable; s'ensuit-il que pour cette satisfaction il nous faille indispensablement un médiateur? Ne pouvons-nous pas satisfaire nous-mêmes? et n'est-il pas aussi beaucoup plus à propos de satisfaire soi-même que de satisfaire, pour ainsi dire, par procureur?

Timandre. Je conviens que l'ordre semble le demander. Mais le pouvons-nous? Sommes-nous en pouvoir de faire une satisfaction suffisante pour le péché?

Arsile. Pourquoi non?

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IV. COMME L'ÉNORMITÉ D'UNE OFFENSE DE DIEU DEMANDE UNE SATISFACTION, EN UN SENS, INFINIE, CETTE SATISFACTION DEMANDE UN MÉDIATEUR D'UN MÉRITE INFINI.

Timandre. Prenez garde, Arsile; j'appelle satisfaction suffisante une satisfaction qui ait proportion avec la faute.

Arsile. D'accord: mais une peine de quelques jours, ou même de quelques années, n'a-t-elle pas une proportion suffisante avec une faute de quelques moments?

Timandre. Doucement, Arsile; pour mettre proportion entre une peine et une faute, ce n'est pas à la seule durée de fa faute qu'il faut avoir égard. C'est une illusion qui mènerait trop loin; c'est particulièrement à l'énormité de la faute qu'on doit faire attention. Or je vous ai dit ailleurs que l'énormité d'une injure se prend surtout de la dignité de la personne offensée.

Arsile. Si cela était ainsi, Timandre, vous pousseriez aussi bien loin l'énormité et le démérite de nos péchés : où cela irait-il?

Timandre. N'en doutez pas, Arsile; dès que nos péchés regardent Dieu, leur énormité est infinie puisque Dieu est l'être infiniment parfait, et que l'énormité du péché se mesure par la dignité de la personne offensée.

Arsile. Encore une fois, Timandre, cela va bien loin; car enfin où trouver donc ce médiateur qui fasse cette satisfaction infinie? Où trouver une victime d'un prix infini, pour l'offrir à Dieu ? Sera-ce parmi les hommes? Mais ce sont eux qui sont coupables, que Dieu hait, que Dieu rejette, que Dieu punit. Sera-ce parmi les esprits purs? Mais purs esprits tant que l'on voudra, ce sont toujours des créatures or toutes les créatures jointes ensemble n'ont rien que de fini; et par conséquent, elles n'ont rien qui puisse faire une satisfaction infinie. Et ainsi, Timandre, je crains fort qu'à force de vouloir prouver la nécessité d'un médiateur d'un mérite infini, vous ne nous réduisiez à l'impossibilité d'en trouver.

Timandre. Comment cela?

Arsile. En voici la preuve. La créature, quelque excellente qu'elle soit, n'a rien que de borné et de fini. Elle ne peut donc faire à Dieu une satisfaction suffisante, puisque celte satisfaction doit être infinie: or entre

Dicu et la créature il n'y a point de milieu: il n'est donc pas possible de trouver un médiateur.

Timandre. Etrange extremité, Arsile, que celle où nous voilà réduits! Que faire done? Sera-t-il dit que nous demeurerons éternellement dans la disgrâce de Dieu ? car enfin, quand vous ne voudriez pas convenir du besoin que nous avons d'un médiateur pour faire une juste satisfaction à Dieu, il faudrait au moins convenir que nous en avons besoin pour nous donner quelque accès auprès de lui, et pour lui faire agréer nos misérables satisfactions. N'imaginez-vous donc point au moins quelque voie par laquelle Dieu, dans le dessein de nous faire grâce, pût nous former un médiateur ?

Arsile. Je m'y perds, Timandre. Je ne vois que de pures impossibilités. Véritablement si Dieu pouvait communiquer à la créature son infinité, comme il lui communique quelqu'une de ses perfections, je ne douterais point alors que cette créature ne pût lui faire satisfaction, en rigueur de justice. Mais c'est une idée toute pure et une supposition impossible ni Dieu ne peut communiquer son infinité, ni la créature n'est susceptible d'une telle communication.

V.- LA DÉCOUVERTE DE CE MÉDIATEUR, VRAI MOYEN D'ALLIER LA JUSTICE AVEC LA MISÉRICORDE; ET CARACTÈRE DE LA VRAIE RE

LIGION.

Timandre. Mais que diriez-vous, Arsile, s'il se trouvait une religion qui vous fit voir la réalité de ce que vous ne regardez que comme une chimère, et qui vous enseignât que Dieu a vraiment donné aux hommes un médiateur d'un mérite infini, et que par là il a trouvé le moyen d'allier sa justice avec sa miséricorde, qui est précisément ce que vous souhaitiez; qu'il a pleinement satisfait sa miséricorde, en donnant par pure bouté un tel médiateur; et parfaitement contenté sa justice par l'infinie satisfaction de ce même médiateur.

Arsile. Je n'hésite pas, Timandre, un moment à vous répondre. S'il se trouvait une religion qui nous apprît des choses si surprenantes, je ne balancerais pas à la reconnaitre pour la véritable, n'y ayant que Dieu qui ait pu les lui révéler.

Timandre. Eh bien, Arsile, souvenez-vousen donc, et mettons ce caractère au nombre de ceux de la vraie religion. Je ne désespère pas de vous la faire découvrir à cette marque signalée. Mais en attendant, examinons un peu, je vous prie, ce que la raison vous dicte qu'il faudrait faire pour réparer les désordres de notre nature, et puis nous verrons quelle est la religion qui porte ces caractères. Dites-moi donc, Arsile, que vous en semble? que vous répond sur cela votre raison?

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nous font perdre Dieu de vue et nous entraînent à l'amour et à la jouissance de ces corps, je n'imagine point de meilleure voie de réparer ce désordre, que d'arrêter ces impressions dès qu'elles se forment, ou d'empêcher même leur naissance. Mais le moyen? Il faudrait pour cela que Dieu nous rendit le pouvoir qu'il nous avait autrefois donné sur nos corps. Il faudrait que nous pussions empécher la communication des mouvements jusqu'à la principale partie du cerveau; ou du moins les arrêter dès qu'ils y sont arrivés; et c'est ce qui n'est nullement en notre pouvoir.

Timandre. Mais, dites-moi, Arsile, quand une trop vive lumière vous blesse la vue, que faites-vous?

Arsile. Je m'en éloigne, ou je ferme les yeux.

Timandre. Et quand les ardeurs du soleil vous incommodent, entreprenez-vous de les arrêter ou de les modérer ?

Arsile. Non, mais je m'en éloigne, je cherche le frais.

Timandre. Il n'est donc pas absolument nécessaire que Dieu nous rende le pouvoir que nous avions d'arrêter la communication des mouvements dans notre corps, ou d'empêcher que ceux dont il est environné le choquent et l'agitent. Il nous est libre de nous éloigner et d'éviter par la fuite et par la retraite ceux au moins dont les impressions nous sont plus funestes.

Arsile. D'après cela, Timandre, il faudrait donc se condamner à la solitude; vivre dans la privation des plaisirs, dans le renoncement à la plupart des objets sensibles, dans une continuelle mortification?

Timandre. N'en doutez pas, Arsile, la connaissance de la nature de l'homme et de son dérangement devrait suffire pour nous le marquer, et pour nous apprendre que si nous voulons réussir à réparer nos ruines et lever la plupart des obstacles qui s'opposent à notre rétablissement, il faut fermer, autant qu'on le peut, les portes de ses sens, veiller á la pureté de son imagination, s'opposer au soulèvement des passions, en se retranchant leurs objets ou s'en éloignant, et enfin s'interdire au moins les plaisirs dangereux.

Arsile. Quelle morale, Timandre ! et qu'elle est opposée à nos penchants naturels Î

Timandre. Très-opposée, Arsile, j'en conviens; mais c'est aux penchants d'une nature corrompue et dérangée et non pas aux penchants d'une nature droite et juste, telle que la nôtre le fut dans sa première institution. Encore une fois donc, cette morale est sévère, cette médecine est amère mais c'est que la violence de nos maux la demande de ce caractère, afin qu'il y ait quelque proportion entre le remède et le mal.

:

Arsile. Tout cela, Timandre, me paraît trop conforme à la raison pour vous le disputer; mais vous savez que nous ne suivons pas touJours notre raison, surtout lorsqu'elle s'oppose à nos penchants naturels. Pour s'assuettir à une telle morale, il faudrait se faire

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une violence continuelle, et être sans cesse
aux prises avec soi-même. Chose que je ne
crois pas possible, à moins que Dieu ne s'en
mélât extraordinairement et qu'il ne nous
soutînt dans cette violence par de très-forts
motifs et par de puissants secours.

VII.

LA DÉCOUVERTE DE CES MOYENS CARACTÈRE DE LA VRAIE RELIGION. Timandre. Eh bien, Arsile, s'il se trouvait donc une religion qui nous enseignât cette morale, qui se fit un capital de porter les hommes à se faire cette violence pour se rapprocher de Dieu, et qui en outre leur proposât de la part de Dieu les plus engageants motifs et leur fournit les plus puissants diriez-vous?

secours, que

Arsile. Si avec cela, elle me découvrait des moyens sûrs de faire notre paix avec Dieu, je ne douterais point qu'elle ne fût la vraie religion et quelque sévères que me parussent ses lois, je n'hésiterais pas un moment à m'y attacher.

Timandre. Vous pouvez donc, Arsile, vous livrer sûrement à la religion chrétienne? Heureusement vous y êtes né: mais vous n'y avez peut-être jamais fait de réflexion : elle a ce caractère et tous les autres dont nous avons parlé et que vous souhaitez le plus; elle est l'unique à qui ces caractères conviennent.

VIII.

--

IMPORTANCE D'EXAMINER SI CES CARACTÈRES CONVIENNENT A LA RELIGION CHRÉ TIENNE.

Arsile. Je vous l'avoue, Timandre, à ma confusion je ne suis jamais entré dans cette discussion ni dans ce détail. Comme je suis né dans la religion chrétienne, je ne me suis point mis en peine de chercher d'autres motifs pour y demeurer: je la crois la meilleure, sans autre examen.

Timandre. Que me dites-vous là, Arsile ? Quoi! vous n'êtes chrétien que parce que vous êtes né dans le christianisme? Vous n'êtes chrétien, que comme vous êtes Français, aussi naturellement et aussi peu librement l'un que l'autre? Quoi! ce n'est que la naissance qui en a décidé? Et si vous l'eussiez prise à la Chine ou en Turquie, vous seriez aussi bon Chinois et aussi bon Turc que bon chrétien? De telles dispositions dans un sujet de cette importance, et où il ne s'agit de rien moins que d'un bonheur ou d'un malheur éternel, se peuvent-elles souffrir dans un homme qui a autant d'esprit que vous en avez, Arsile, et qui doit instruire les autres? Peut-on passer les trente et quarante années, et voir la diversité des religions et des sectes qui partagent le monde, sans réfléchir sur la route que l'on tient et sur le parti qu'on a pris, ou dans lequel on se trouve engagé, sans se demander sérieusement une seule fois, suis-je bien ? C'est, je vous l'avoue à mon tour, ce que je ne comprends pas et ce qui me paraît une espèce d'assoupissement prodigieux.

Arsile. Que voulez-vous, Timandre ? On m'a toujours dit qu'il fallait croire avec sim

plicité, et que les examens en fait de religion étaient dangereux.

Timandre. Oui, Arsile, il faut croire avec simplicité mais la simplicité de la foi n'est point opposée à un examen raisonnable; surtout lorsque, loin de douter, on ne le fait que pour se fortifier dans la foi et se mettre plus en état de repousser tous les doutes. Notre religion est bien différente de celle de Mahomet. Elle est d'une solidité à ne pas craindre qu'on examine ses preuves; et l'on ne saurait faire un meilleur usage de sa raison que de s'en servir pour les découvrir et pour les défendre des attaques et des insultes des libertins. Ii me souvient même que ce dernier usage a été un des principaux motifs qui vous a fait souhaiter que nos entretiens roulassent sur la religion.

Arsile. Il est vrai que je me suis trouvé bien des fois en ma vie dans la nécessité de me défendre des attaques de ces sortes de gens, et je vous avoue que je m'en suis fort mal acquitté. Je n'ai eu que ma foi à leur opposer, et j'ai décliné, tant que j'ai pu, le tribunal de la raison.

Timandre. C'est bien votre faute, Arsile, il vous eût été très-aisé, avec autant d'esprit que vous en avez, de vous mettre en état de leur faire voir que notre religion, loin d'être opposée à la raison, n'a rien qui ne s'allie par faitement avec elle. Au moins donc, aujourd'hui ne craignez point d'entrer dans ce détail, ne redoutez point comme dangereux

un examen où le tribunal de la raison ne peut qu'être favorable à votre religion. En un mot, disposez-vous à rechercher avec soin si ce que la raison vous a découvert jusqu'ici des caractères de la vraie religion convient à la religion où vous êtes né, je veux dire à la religion chrétienne. Nous en ferons le sujet de notre premier entretien ; mais en attendant faites-en l'essai en votre particulier, Arsile. Très-volontiers, Timandr

ENTRETIEN VII.

Arsile. Me voici, Timandre, avec un extrême empressement d'examiner si tout ce que la raison nous a jusqu'ici découvert des caractères de la vraie religion convient à celle où je suis né. On ne peut souhaiter plus que je ne le fais de les trouver dans la religioL chrétienne; afin que la foi, qui m'y attache, soit accompagnée de lumière, de raison et de discernement, et que vous ne puissiez pas me reprocher à l'avenir que je ne suis chrétien que par le sort de la naissance et par les préjugés de l'éducation.

Timandre. Votre disposition, Arsile, me fait un vrai plaisir. L'ardeur pour la recherche de la vérité est un grand préjugé pour sa découverte. Elle n'a pas accoutumé de se refuser à ceux qui la cherchent ainsi. D'ailleurs, la vérité que nous recherchons ici ne consiste guère que dans des faits, et rien n'est plus à la portée de tout le monde.

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vraie religion (si je m'en souviens bien), Timandre sont, qu'elle nous découvre : 1' la faute qui nous a fait tomber dans la disgrace de Dieu; 2° les moyens de rentrer en grâce avec lui; 3° un médiateur d'un mérite infini pour ménager notre paix par une satisfaction infinie pour notre faute; 4° qu'elle nous prescrive une morale propre à s'opposer à nos mauvais penchants et à les redresser; 5° qu'elle nous donne des motifs assez forts et d'assez puissants secours pour nous soutenir dans la violence qu'il faut se faire pour pratiquer cette morale. Voyons donc si cela se trouvera dans la religion chrétienne.

Timandre. Vous n'oubliez rien, Arsile; et, a suivre le plan que vous me tracez, je vois bien que je ne puis me dispenser de vous donner une idée abrégée de la religion chrétienne. La voici donc sans fard, sans ornement, dans toute sa simplicité, et telle enfin que ses pasteurs l'enseignent depuis plus de dix-sept siècles qu'elle est fondée.

II. -

IDÉE DE LA Religion chrétieNNE, POUR Justifier que ces CARACTÈRES LUI CONVIENNENT.

Le premier des hommes fut créé dans la justice, dans la connaissance et l'amour de son auteur. Il aimait Dieu et en était aimé. lui parler que par son corps; maître de ce Les créatures qui l'environnaient ne pouvant corps, il les faisait taire, quand bon lui sem

ait; et nul ne le pouvait détourner de son application à Dieu, qu'il ne le voulût bien. Dans cette heureuse situation, Dieu, pour éprouver sa fidélité, lui avait fait une seule défense très-facile à garder. Le malheureux la viola; et, dès lors, tombé dans la disgrace de son Créateur, il fut dépouillé de presque tous ses dons, de sa lumière, de sa force, du pouvoir qu'il avait sur son corps, et il devint ainsi le blanc inévitable des impressions de toutes les créatures; et, qui pis est, l entraîna dans son malheur et dans ses suites funestes toute sa postérité. II. Qu'elle enseigne et doNNE LES MOYENS DE RENTRER EN GRACE AVEC DIEU.

Dieu, qui n'avait pas fait son ouvrage dès lors un médiateur et un réparateur. pour le laisser périr sans ressource, promit Comme il voulait le faire attendre et désirer, il n'a cessé de le faire prédire, dans la suite les siècles, et même de le faire annoncer comme un Dieu, qui devait converser avec nous. Il l'a enfin donné dans la personne

de

Jésus-Christ, par la merveilleuse union de la nature divine avec la nature humaine.

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QU'ELLE TROUVE EN JÉSUS-CHRIST UN MÉDIATEUR, UN RÉDEMPTEUR, UN RÉPARA

TEUR ET TOUS LES MOYENS DE RENTRER EN

GRACE AVEC DIEU.

C'est dans ce Jésus-Christ que nous trouvons toutes les qualités requises à un véritable médiateur et à un puissant reparateur; etinsi tous les véritables moyens de rentrer En grâce avec Dieu. Comme c'était un homme qui avait offensé Dieu, il était convenable et juste que ce fût un homme qui fit satisfac

tion: et c'est, Arsile, ce que vous avez désiré dès le commencement. Or Jésus-Christ est vraiment honime. Mais comme cette satisfaction, pour être proportionnée à la faute devait étre d'un mérite infini, il fallait (Dieu voulant ainsi cette juste proportion) que ce fât un Dieu qui la fit, puisqu'il n'y a que Dieu d'infini. Or Jésus-Christ est vraiment Dieu.

Jésus-Christ est donc vraiment notre médiateur, puisqu'il tient comme le milieu entre Dieu et les hommes: milieu, dis-je, non pas en ce sens qu'il exclue les deux termes; mais plutôt, parce qu'il les renferme tous deux.

Il est notre Rédempteur, parce que nous étious vendus sous la loi du péché, et qu'il nous a rachetés par son sang.

Il est vrai réparateur, parce qu'il a réparé l'outrage fait à Dieu par le péché, en satisfaisant à sa justice.

Voilà, Arsile, ce que la religion chrétienne nous enseigne touchant les qualités et les fonctions de notre Médiateur ; et c'est en cela que consistent les véritables moyens de nous réconcilier avec Dieu, qu'elle nous découvre.

Arsile. Je ne vois pas assez bien comment il est notre réparateur, car je voudrais pour cela qu'il réparât les désordres de notre nature, ou qu'il nous en donnât les moyens.

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Timandre. C'est ce qu'il fait aussi, non pas véritablement en nous rendant tout à fait le pouvoir que nous avions sur notre corps, ou en détruisant absolument la concupiscence, parce que Dieu a voulu que, quelque rachetés que nous soyons par un si grand prix, notre retour à Dieu nous coûtât quelque chose, mais en nous prescrivant la morale la plus propre à remédier à nos maux, c'est-à-dire une morale toute de privations, de mortifications et de sacrifices.

Jésus-Christ veut qu'on porte sa croix tous les jours, qu'on s'arrache les yeux, qu'on se coupe les mains et les pieds, s'ils nous sont un sujet de chute et de scandale. Il veut qu'on se haïsse, qu'on renonce à soi-même, qu'on aime ses ennemis, qu'on prie pour ceux dont on est maltraité.

Cette morale est le vrai tombeau de l'orgueil, de la volupté et de l'amour-propre ; et par là elle réveille notre premier penchant our le souverain bien, el fait enfin revivre lans nos cœurs l'amour de Dieu qui y était steint. C'est là proprement la vraie fin où end toute la sévérité de ses règles. JésusChrist ne nous recommande les gémissements et les farmes que pour nous ramener aux plaisirs ineffables de l'amour. Il ne nous prescrit la violence et les voies dures que pour nous faire entrer dans la voie spacieuse et aplanie de la charité.

N'est-ce pas lâ, Arsile, la même morale dont la raison nous avait fait approcher de si PONST ÉVANG. IV.

près, et dont vous aviez fait un caractère si essentiel de la vraie religion?

Arsile. Il n'y a pas moyen, Timandre, de la méconnaître, ni de la désavouer; mais il faudrait donc aussi que la même religion qui nous la prescrit nous donnât d'assez forts motifs pour nous exciter à entrer dans ces voies dures, et d'assez puissants secours pour nous y soutenir contre nos mauvais penchants.

V.

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C'EST PAR DE

PUISSANTS MOTIFS ET PAR LA FORCE DF SA GRACE, QU'IL NOUS SOUTIENT DANS CES VOIES DURES.

Timandre. C'est aussi ce que la religion chrétienne fait admirablement. Quels plus vifs et plus excellents motifs peut-on proposer à un esprit orgueilleux, ambitieux et voluptueux, que les grands objets de l'éternité, que la faveur ou la disgrâce d'un Dieu, que son amour, sa haine; que ses récompenses ineffables ou ses châtiments effroyables; en un mot, qu'une vie éternellement heureuse ou éternellement malheureuse ?

Voilà pourtant, Arsile, ce que la religion chrétienne propose à ses sectateurs. Une éternité de gloire, de joies et de plaisirs est le digne sujet de ses promesses; une éternité d'ignominies et de ténèbres, de tortures et de flammes, de rage et de désespoir est le terrible objet de ses menaces. Est-t-il rien de plus propre à nous faire entreprendre de grands travaux et à nous soutenir dans les plus violentes situations de la morale chrétienne? Qui peut mieux balancer le poids des objets sensibles dans notre cœur? Quelle comparaison de ces motifs avec la fumée de réputation et de gloire humaine que les philosophes païens proposaient à leurs disciples dans la pratique de leurs vertus morales? Quelle comparaison même avec les motifs que l'ancienne loi proposait à ses sectateurs? motifs, dis-je, qui ne regardaient que des promesses charnelles et temporelles?

Arsile. Je vous l'avoue, Timandre, il faudrait être d'une étrange stupidité pour n'être pas sensible à ces motifs; car que désire-ton avec plus d'ardeur, que d'être éternellement heureux? Et que craint-on plus fortement que la souveraine misère ? Le cœur de l'homme, fait comme il est, je veux dire, pétri d'orgueil, d'ambition et de sensualité, ne peut être remué par de plus puissants motifs.

Timandre. Si les motifs sont puissants, Arsile, les secours ne le sont pas moins. Ce sont des grâces propres à élever l'homme au-dessus de lui-même, et capables de lui rendre agréable et aimable tout ce que la morale a de plus dur et de plus mortifiant pour la nature. C'est enfin une participation de l'esprit même de Jésus-Christ, qui ne s'est fait notre chef que pour répandre sans cesse cet esprit dans tous ses membres. Ce sont ces grâces, Arsile, qui nous restituent en quelque manière le pouvoir sur notre corps, dont le péché nous avait privés.

Voilà donc, ce me semble, Arsile, les plus considérables caractères d'une vraie religion, que vous ayez désiré de rencontrer: les voilà, (Dix-neuf.)

dis-je, dans le plan de doctrine de la religion chrétienne. En faut-il davantage pour vous obliger, vous et tout homme de bon sens, à lui donner la préférence et à vous y attacher, comme à la seule véritable, vraiment divine et d'établissement divin? Et à vous y attacher, non plus par le sort de la naissance ou par une aveugle crédulité, mais par lumière, par raison, et par choix?

Arsile. Tout cela est spécieux, Timandre; mais permettez-moi, s'il vous plaît, de m'abandonner ici à mes doutes. Qui m'assurera que ce plan de religion soit réel, et que toutes ces doctrines soient des vérités, et non pas des visions ou des inventions de l'esprit humain faites à plaisir?

Timandre. Il n'est pas possible, Arsile, que vous étendiez ce doute jusqu'à la morale, puisque la lumière de la raison vous a conduit jusqu'à découvrir la nécessité d'une morale toute semblable à celle que nous venons de voir dans le système de la religion chré

tienne.

Votre doute, Arsile, ne peut donc regarder que le péché originel; sa transmission dans les enfants d'Adam, les qualités et la conduite du médiateur, sa satisfaction, les secours et les motifs nécessaires pour nous soutenir dans la pratique de la morale. Mais qu'il faudrait avoir l'esprit bouché, pour ne pas voir et ne pas même sentir combien ce plan de religion est lié et élevé, suivi et conforme même à ce que la raison nous a découvert de ces choses en général!

VI. QUE CE PLAN DE LA RELIGION CHRÉTIENNE A QUELQUE CHOSE DE DIVIN.

Mais enfin, Arsile, pour lever absolument votre doute sur ce système, je veux mettre en usage un moyen plus à la portée de l'esprit humain, que celui du raisonnement et de la délicatesse du sentiment.

Je n'entreprendrai point de vous prouver la possibilité des mystères de la religion. Je me retranche à vous faire voir en peu de mots que ces vérités, tout inconcevables qu'elles vous paraissent, sont nécessairement liées à d'autres vérités les plus proportionnées qu'il se puisse à l'esprit humain, et dont il peut s'assurer par les voies les plus cominunes; je veux dire à des vérités de fait sensible.

Arsile. Assurément, Timandre, si vous me fai 1es voir que ces vérités et ces mystères sont nécessairement attachés à des faits sensibles, dont Ja vérité ne puisse être contestée de bonne foi, je n'aurai nulle peine à les recevoir et à reconnaître pour véritable la religion qui les enseigne. Mais y a-t-il quelques faits sensibles qui ne puissent être contestés? La certitude de ces faits ne dépend-elle pas du témoignage de nos sens, et ce témoignage ne produisant point l'évidence, n'est-il pas sujet à erreur?

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ger) ne peut être que très-incertain et trèssujet à erreur. Mais à l'égard de ce qui leur est propre dans les objets, à l'égard de la plupart des rapports que les corps ont avec le nôtre et par là avec notre âme, leur témoignage est infaillible, lorsqu'il est accompagné de quelques conditions et de quelques circonstances. Et ainsi, par exemple, lorsque pour s'assurer du fait de la prédication du père Massillon à Saint-Leu, un homme ne se contente pas d'y aller une et deux fois; mais qu'il le suit pendant tout un carême, qu'il le voit de ses yeux, qu'il l'entend de ses oreilles, qu'il s'en approche même jusqu'à le toucher, qu'il se confirme sur ce fait par le témoignage d'un million d'hommes, qui voientet qui entendent ce père, comme il le voit et l'entend, et qui lui répètent la substance de ses sermons, conformément à ce qu'il en a retenu : on peut s'assurer alors que le témoignage des sens, surtout lorsqu'il est arrivé à ce degré d'étendue et d'universalité, est aussi incontestable que les démonstrations géométriques. Et il se peut dire que cette certitude est la base et le fondement de presque tout ce que nous avons de certain dans le commerce de la vie et dans les choses humaines.

Arsile. Vous me surprenez, Timandre: car je ne pensais pas que nous pussions avoir une certitude naturelle qui fût parfaite, sans le secours du raisonnement et des idées de métaphysique.

VIII. — que la CERTITUDE DE CE TÉMOIGNAGE EST TOUJOURS dépendante de quelque rai

SONNEMENT.

Timandre. Vous ne vous trompez pas en cela, Arsile; mais je ne prétends pas aussi que cette certitude des sens soit indépendante de tout raisonnement et de toute idée métaphysique; par exemple, n'est-ce pas ici un excellent principe métaphysique que Dieu ayant voulu faire entrer les hommes en société par les liens sensibles de la religion, a du rendre infaillible le témoignage de leurs sens, lorsqu'ils en font un bon usage et que ce témoignage est bien circonstancié? Or il n'y a personne qui, sans le dire formellement, ne soit intérieurement convaincu de ce principe, et qui n'en fasse le fondement de sa certitude.

N'est-ce pas encore un raisonnement juste, solide, et fondé sur de semblables idées, que celui-ci qui entre sourdement dans le témoignage des sens lorsqu'il est tel que je représente ?

Il n'est pas possible que tous mes divers sens, incapables de dessein et d'artifice, convinssent ainsi à me rendre témoignage de la présence d'un même objet s'il n'était vraiment présent. Ou bien encore: il serait impossible qu'un million d'hommes de diverses nations et de divers intérêts, sans s'être parlé, sans avoir eu ensemble aucun commerce, sans avoir aucun intérêt à me tromper, convinssent ainsi à me rendre un témoignage uniforme d'un tel fait, par exemple, de la prédication du père Massillon, si elle n'était pus réelle.

Or, et mes divers sens et des millions d'hommes me rendent constamment et d'une ma

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