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d'État, ou grand juge, sont tous élus par l'universalité des justiciables.

Ce qui fait la garantie de ceux-ci constitue l'indépendance de ceux-là.

Le juge de paix, qui remplit les fonctions de juge de première instance et de juge d'instruction, est toujours élu dans l'étendue du ressort d'appel où il est né, marié ou domicilié, tandis que le juge d'appel ne siége jamais au chef-lieu du ressort dans lequel il est né, domicilié ou marié. Ainsi sont conciliées les deux garanties opposées.

Le jury de trente-six membres, tel qu'il est composé, n'ayant plus de raison d'être par suite de l'élection des juges, cesse d'exister.

Effectivement, à quoi bon des jurés lorsqu'il n'y a plus en instance et en appel que des juges du fait?

Ainsi, le jury universel et élu remplace le jury partiel et tiré au sort.

En réalité, le grand juge, c'est le chef du grand jury, et le grand jury, c'est l'unité de justice.

Le juge d'État est l'unité du pouvoir judiciaire, comme le maire d'État est l'unité du pouvoir administratif.

Le juge d'État et le maire d'État étant réciproquement indépendants l'un de l'autre, de cette indépendance, on l'aperçoit tout de suite, naît un monde nouveau.

Qui plus que toute chose a contribué à perpétuer le vieux monde, le monde de l'intolérance, de la guerre, de la conquête, de l'esclavage, de l'ignorance, de l'inégalité et de l'iniquité? La dépendance de la justice, instrumentum regni.

La justice frappe les peuples, elle ne frappe pas les rois. Les rois commandent à la justice, la justice ne leur commande pas.

La justice a donc au-dessus d'elle la politique?

La justice a donc deux poids et deux mesures?

La justice qui a deux poids et deux mesures, est-elle la justice?

J'ai voulu qu'enfin elle existât sur la terre, et je n'ai cessé de chercher qu'après avoir trouvé une organisation judiciaire qui fût un niveau au-dessous duquel pussent et dussent passer toutes les têtes, les plus humbles, mais aussi les plus hautes. Le juge d'État, le grand juge, présidant la cour nationale

de justice, connaît de toutes les forfaitures qui lui sont juridiquement dénoncées, et casse tous les règlements d'administration publique, centrale ou locale, qui lui sont juridiquement déférés comme portant atteinte aux libertés déclarées inviolables.

C'est là ce qui constitue sa suprématie.

Mais, à son tour, il a besoin, pour que ses arrêts soient exécutés, de l'appui de la force, dont le dépôt réside exclusivement dans les mains du maire d'État; cette division des pouvoirs, division réelle et non factice, est ce qui rétablit l'égalité, l'équilibre entre les deux suprématies : l'une, celle du juge d'État, toute morale; l'autre, celle du maire d'État, toute matérielle.

Il se peut que du premier coup je n'aie pas atteint le but, mais du moins, j'en ai la conviction, j'ai marqué le chemin. Ce que la méditation a commencé, la discussion l'achèvera.

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L'INSCRIPTION DE VIE, OU POLICE D'ASSURANCE GÉNÉRALE ET SPÉCIALE, qui est à l'impôt, converti en assurance, ce que l'essieu est à la roue, ce que le gond est à la porte, l'INSCRIPTION DE VIE est l'axe sur lequel tourne la société.

L'INSCRIPTION DE VIE, l'inscription individuelle et universelle, n'a pas seulement pour objet la perception de l'impôt forcé transformé en prime volontaire; l'INSCRIPTION DE VIE a encore un autre effet, c'est de donner le moyen d'abolir toutes les peines afflictives:

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La pénalité est d'origine servile. A Rome, le citoyen libre

qui avait encouru la sévérité de la loi était déclaré ESCLAVE DE LA PEINE, servum pœnæ.

Cet esclavage mérité avait pour but et pour effet de le dépouiller de son inviolabilité.

L'esclave pouvait être condamné aux pénalités les plus sévères et aux supplices les plus cruels.

Déclarer le citoyen libre esclave de la peine fut le moyen de lui appliquer les peines serviles.

En France, pendant longtemps, on dégrada le noble afin de pouvoir le punir.

Plus tard, on ennoblit plusieurs peines, de manière à les rendre applicables au noble.

« La peine est infamante ou non infamante. Ce n'est pas le crime, pas même la condamnation : c'est le genre de peine ou le mode de son exécution qui comportent l'infamie... Le fouet donné par le bourreau est infamant; par le geôlier, sous la custode, il ne l'est pas... En France, le fouet sous la custode est seul applicable aux nobles. » (1)

L'assimilation du noble au serf, dans la pénalité, s'opère ainsi progressivement.

Le noble et le serf reproduisent les mêmes phénomènes dont le citoyen romain et l'esclave ont donné le spectacle.

« Sera puni selon la qualité des personnes... Cette formule est de style dans les lois criminelles de tous les États européens. Selon que le coupable est de vile ou de noble condition, la condamnation varie.» (2)

Après la révolution de 1789, l'une des premières réformes entreprises fut celle de la législation pénale.

«Chaque révolution politique amène ordinairement sa législation pénale. »> (3)

Montesquieu a dit :

(1) ORTOLAN. Introduction historique au droit pénal.

(2) Ibid.

(3) Ibid.

«Il serait aisé de prouver que dans tous ou presque dans tous les États de l'Europe, les peines ont diminué ou augmenté à mesure qu'on s'est plus rapproché ou plus éloigné de la liberté. »

En effet, lorsque l'on remonte assez haut dans l'antiquité, nulle trace de pénalité autre que la satisfaction volontaire n'y apparaît.

་ L'âge primitif est un âge de simplicité et d'ignorance sous le rapport de la civilisation matérielle; mais c'est en même temps un âge d'innocence et de connaissance des vérités religieuses transmises par la tradition.

Le droit de punir n'est pas encore une institution sociale, c'est une vengeance particulière. » (1)

A la vengeance se substitue la composition (dommages-intérêts). Le coupable veut racheter son crime : l'offensé y consent. La coutume intervient, sanctionne et fait de l'usage une règle obligatoire : telle est la justice criminelle des temps primitifs.

« A cette époque, sur toutes les parties de l'Europe où s'étend cette barbarie, on trouve pour point de départ de la pénalité la vengeance privée... Plus tard, le caractère cupide du barbare fait naître une habitude nouvelle, celle du rachat de la vengeance... La coutume la change en règle... C'est là ce qu'on nomme COMPOSITION. » (2)

« Des hommes d'une science et d'un esprit rares ont été très-frappés non-seulement du respect pour la personne et la liberté de l'homme qui paraît dans ce genre de peine (la composition), mais de plusieurs autres caractères qu'ils ont cru y reconnaître... Quel est, dès qu'on considère les choses sous un point de vue élevé et moral, quel est le vice radical des législations pénales modernes? Elles frappent, elles punissent sans s'inquiéter de savoir si le coupable accède ou non à la volonté de la loi; elles agissent uniquement par voie de contrainte...

» La loi salique semble porter à la personne et à la liberté des hom- . mes un singulier respect... L'unique peine écrite, à vrai dire, dans la loi salique, est la COMPOSITION (wehrgeld, wedrigeld) (argent de défense,

(1) ALBERT DU BOYS. Histoire du droit criminel.

(2) ORTOLAN. Introduction historique au droit pénal.

garantie)... La composition est le premier pas de la législation criminelle hors du régime de la vengeance personnelle; le droit caché sous cette peine, le droit qui subsiste au fond de la loi salique et de toutes les lois barbares, c'est le droit de chaque homme de se faire justice soi-même, de se venger par la force, c'est la guerre entre l'offenseur et l'offensé. La composition est une tentative pour substituer un régime légal à la guerre. C'est la faculté donnée à l'offenseur de se mettre, en payant une certaine somme, à l'abri de la vengeance de l'offensé. Elle impose à l'offensé l'obligation de renoncer à l'emploi de la force...

» L'offensé a eu longtemps le droit de choisir entre la composition et la guerre, de repousser le wehrgeld et de recourir à la vengeance... La composition ne fut d'abord qu'un essai assez peu efficace pour mettre fin à la lutte désordonnée des forces individuelles .. Au début, il n'existe entre les hommes que des inégalités peu variées et peu puissantes... Il n'y a point non plus ou presque point de puissance publique. Les hommes ne sont donc fortement gouvernés ni par d'autres hommes, ni par la société; leur liberté est réelle; chacun fait à peu près ce qu'il veut, selon sa force, à ses risques et périls... L'inégalité se prononce entre les hommes... Une force collective s'élève... Naissent, d'un côté, l'aristocratie; de l'autre, le gouvernement, c'est-à-dire deux modes de répression des volontés individuelles, deux moyens de soumettre beaucoup d'hommes à une autre volonté que la leur.

» A leur tour, les remèdes deviennent des maux l'aristocratie opprime, la puissance publique opprime, l'oppression amène un désordre différent du premier, mais profond et intolérable. Cependant, au sein de la vie sociale, par le seul effet de sa durée, par le concours d'une multitude d'influences, les individus, sculs étres réels, se sont développés, éclairés, perfectionnés.

» Alors, de même qu'il y avait eu effort pour la création de la défense publique et au profit de l'inégalité entre les hommes, de même un effort commence vers un but contraire, vers la réduction de l'aristocratie et du gouvernement, c'est-à-dire que la société tend vers un état qui, extérieurement du moins, et à n'en juger que sous ce rapport, ressemble à ce qu'elle était dans son premier, à un libre développement des volontés individuelles, à cette situation où chaque homme fait ce qu'il veut, à ses risques et périls.

» La composition pécuniaire suppose, entraîne l'aveu du tort par l'offenseur; elle est de sa part un acte de liberté; il peut s'y refuser et courir les chances de la vengeance de l'offensé; quand il s'y soumet, il se reconnait coupable et offre la réparation du crime. De son côté, l'offensé, en acceptant la composition, se réconcilie avec l'offenseur : il promet solennellement l'oubli, l'abandon de la vengeance; en sorte que la composition a, comme peine, des caractères beaucoup plus moraux que les châtiments de législations plus savantes.

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