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timens; la commisération due au malheur; ils sont appuyés par de jolies solliciteuses, fort utiles pour calmer les plus récalcitrans. Ebranlés par ces menées, les trois quarts des créanciers arrivent à la séance tout émus et désorientés. Le notaire, en leur proposant une perte de 70 p. 010, leur dépeint ce rabais comme effort d'une famille vertueuse qui se dépouille, se saigne pour satisfaire aux devoirs sacrés de l'honneur. On représente aux créanciers, qu'en conscience ils devraient, au lieu de 70 010 en accorder 80, pour rendre hommage aux nobles qualités d'une famille si digne d'estime, si zélée pour les intérêts de ses créanciers.

Là dessus quelques barbares veulent résister; mais les affidés répandus dans la salle, prouvent en a parte, que ces opposans sont des gens IMMORAUX, que tel ne fréquente pas les offices de paroisse, que tel autre a une maîtresse entretenue, que celui-ci est connu pour un harpagon, un usurier; que celui-là a déjà fait une faillite; c'est un cœur de roche, sans indulgence pour ses compagnons d'infortune. Enfin la majorité des titulaires abonne et signe le contrat; après quoi le notaire déclare que c'est une affaire très-avantageuse pour les créanciers, en ce qu'elle prévient l'intervention de la justice qui aurait tout consumé, et qu'elle fournit l'occasion de faire une bonne œuvre, en aidant une famille vertueuse. Chacun (ou du moins chacun des sots qui forment la majorité,) s'en va rempli d'admiration pour la vertu et les beaux sentimens dont cette digne famille est le modèle.

Ainsi se conduit et se termine une banqueroute sentimentale, où on raffle au moins les deux tiers de la créance; car la banqueroute ne serait qu'honnête, et non pas sentimentale, si elle se limitait à un escompte de 50 070, tarif si habituel, qu'un failli en se bornant à ce taux modéré, n'a pas besoin de mettre en jeu les ressorts de l'art; à moins d'imbécillité du banqueroutier une af faire est sûre quand on ne veut gruger que 50 010.

Si l'on eût publié un ouvrage décrivant une centaine

d'espèces de banqueroute, avec plus de détails que je n'en donne ici sur la sentimentale, ce livre aurait fait connaître l'une des gentillesses du commerce, l'un de ses caractères. Quelques écrits sur d'autres caractères, comme l'agiotage, l'accaparement, auraient fait ouvrir les yeux, et provoqué les soupçons sur le mécanisme commercial nommé libre concurrence, mode le plus anarchique et le plus pervers qui puisse exister.

Un scandale bien honteux pour notre siècle, est que le monde savant, surtout les moralistes, n'aient pas mis au concours la recherche du correctif naturel de la banqueroute. C'est à leur silence officieux sur les dépravations les plus révoltantes, qu'on peut juger des vues secrètes de la science. Elle ne veut que vendre des livres, les composer en l'honneur du vice, parce que c'est un ton plus marchand que celui d'attaque du vice.

Un seul homme a bien jugé le tripot commercial, c'est Bonaparte qui en a dit: On ne connaît rien au commerce. Il brûlait de s'en emparer, et ne savait comment s'y prendre; déjà il avait envahi indirectement une belle branche, celle des denrées coloniales qu'il tenait en monopole, au moyen des licences d'entrée; il méditait d'autres empiétemens, celui du roulage, etc.; ainsi l'esprit fiscal tend fortement à s'emparer du commerce; il ne lui reste qu'à connaître la méthode à suivre pour saisir la proie sans secousse et au grand contentement des peuples. En France le gouvernement gagnerait deux cents millions à la métamorphose du système commercial, et l'agriculture un milliard.

L'un des caractères commerciaux qui intimidaient Bonaparte, était la répercussion ou faculté qu'a le commerce de reporter sur la masse industrieuse toute lésion qu'il éprouve de la part du gouvernement. Dès que le commerce est menacé, il resserre les capitaux, il sème la défiance, entrave la circulation; il est l'image du hérisson' que le chien ne peut saisir par aucun point; c'est ce qui désole en secret tous les gouvernemens, et les réduit

à fléchir devant le veau d'or. Un jour le ministre Wallis voulut à Vienne regimber contre les menées de la bourse, y introduire une police contre l'agiotage; il fut déconfit et obligé de céder honteusement. Il faut des inventions pour lutter contre l'hydre commercial, c'est le sphinx qui dévore ceux qui ne devinent pas son énigme, du reste, il n'est rien de plus facile à attaquer que ce colosse de mensonge; quand on connaîtra les batteries à employer, il ne pourra pas même essayer de résistance.

Les manufactures qu'il faut se garder de confondre avec le commerce', y touchent en divers points, surtout par la faculté de tromperie, accaparement, banqueroute, etc.; elles doivent subir une réorganisation, être assujéties à double solidarité, contre les fraudes et banqueroutes, et contre l'abandon des ouvriers. Tel fabricant possède une fortune de vingt millions, quoiqu'ayant débuté sans le sou; si les solidarités existaient, il n'aurait gagné que cinq millions; cinq autres auraient été affectés aux garanties solidaires, et dix auraient passé au fisc. Tel est le régime distributif d'ou naîtrait le bon ordre ; mais tant que les sciences aduleront cet état monstrueux qui fait passer vingt millions dans les mains d'un seul fabricant, et tant que les gouvernemens ne suspecteront pas cette anarchie, ne provoqueront pas quelqu'invention de correctifs, peuples et gouvernemens seront les jouets de ce colosse mercantile qui grandit chaque jour, et dont l'influence croissante est un sujet d'alarme secrète pour les castes supérieures.

On a créé en France 300 académies d'agriculture : quelle devait être leur première fonction? s'occuper des moyens de ramener les capitaux dans la campagne, ouvrir des concours sur ce sujet: aucune d'elles n'y a songé. Cependant quel essor peut prendre l'agriculture, tant qu'elle ne trouve pas le moyen d'obtenir des capitaux au même cours que le commerce? les sociétés agricoles qui ne donnent aucune attention à ce problème, ne seraient

elles pas, selon l'Evangile, trois cents cohortes d'aveugles, conduisant trente millions d'aveugles?

Il règne sur ces questions de réforme commerciale tant de cécité et de prévention, qu'on n'a pas même le pouvoir de dénoncer le vice. Un jour le fameux critique Geoffroy voulut hasarder dans son feuilleton quelques plaisanteries fort justes sur les vices du commerce; il fut assailli, criblé par les autres journaux ; il se radoucit et se tint pour battu; c'était lui qui avait raison et qui capitula; tant il est vrai, comme l'a dit un trop fameux défunt, qu'on ne connaît rien au commerce.

La philosophie n'a pas voulu qu'on acquît sur ce point des notions exactes; elle connaissait fort bien la route à suivre; elle nous dit sans cesse qu'il faut procéder par analyse et synthèse pour atteindre aux lumières; elle devait donc en études commerciales, commencer par l'analyse des ordres, genres et espèces de caractères, selon le plan que je viens de tracer, et que chacun eût pu tracer avant moi. Ce travail une fois fait, aurait fourni les moyens de passer à la synthèse du mode véridique ou régime des garanties.

Mais sur le commerce, comme sur les autres branches du système civilisé, la philosophie, tout en posant de bons principes d'études, n'en a jamais voulu pratiquer aucun; faut-il s'étonner après cela que le génie moderne soit noueux et stérile, que le mouvement soit stationnaire et souvent rétrograde, en dépit des jactances de vol sublime; et qu'on ne sache atteindre à aucune amélioration du sort des peuples, quand il reste à faire tant de découvertes faciles qui conduiraient au but? (Voyez l'article des issues de civilisation.)

Le monde social est trahi par ses beaux esprits : telle sera ma conclusion quand j'aurai achevé cette analyse, qui les convainc de refus d'étude, et collusion d'obscurantisme. Toutefois si le monde est leur dupe, ils sont doublement dupes d'eux-mêmes, en cherchant la fortune par des spéculations abjectes, par l'apologie de cette civi

lisation qui est l'objet de leurs mépris secrets, et qui les accable de toutes les servitudes sans les enrichir. Quel rôle honteux que d'opter pour encenser une vieille furie qui les baillonne, tandis qu'en la démasquant, en la livrant à la risée, ils deviendraient les libérateurs de l'humanité; ils s'élèveraient tout à coup au faîte de la fortune et de la gloire, et au libre essor de la pensée qu'ils n'obtiendront jamais en civilisation!

J'ai défini, en caractères civilisés, 2 ordres de base, les successifs et les permanens, et 2 de lien ou négoce. Passons à 4 autres ordres qui complettent l'analyse.

DOUZIÈME NOTICE.

CARACTÈRES DE FANAL Et d'écart.

CH. XLV. Caractères de répercussion harmonique..

IL est aisé de comprimer les passions par violence; la philosophie les supprime d'un trait de plume; les verroux et le sabre viennent à l'appui de la douce morale : mais la nature appelle de ces jugemens, elle reprend en secret ses droits; la passion étouffée sur un point se fait jour sur un autre, comme les eaux barrées par une digue; elle se répercute comme l'humeur de l'ulcère fermé trop tôt.

Naturam expellas furca tamen usque recurrel. Cette récurrence ou retour des passions vers leurs buts, 57, vers le luxe, les groupes, le mécanisme, et l'unitéisme, produit des effets comparables à celui qu'on appelle en physique DIFFRACTION, ou réflexion des couleurs à la surface des corps noirs et opaques, la civilisation est, au figuré, un corps opaque; tout noir de fourberie et de crime; cependant elle présente quelques reflets d'harmonie. Une description va expliquer cet effet, apprendre à discerner un ordre de caractères bien précieux et bien inconnus.

Je choisis 2 exemples tirés du jeu et du bon ton; ce sont deux effets de passions répercutées, deux récurrences de la cabaliste et de l'unitéisme.

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