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porté dans ce lieu fort sagement, dans une modestie et retraite continuelle, étudiant toujours, y ayant composé de beaux ouvrages, et particulièrement une pièce latine aux évêques, fort ample, et une en françois sur le sujet de sa première lettre (du 14 décembre 1654), qui fut brûlée et qu'il avoit adressée au clergé. Il n'a point donné au jour ces deux ouvrages, ajoute l'anonyme, la patience ayant vaincu ses ressentiments. >>

Mazarin, non content d'avoir fait brûler par la main du bourreau la lettre de son confrère, la fit attaquer avec la dernière violence dans plusieurs pamphlets, dont voici les titres et l'analyse :

1o Remarques sur la conduite du Cardinal de Retz et sur ses trois lettres au Roi, à la Reine et aux Évêques de France (in-4° de 33 pages, sans date, sans nom de lieu, d'auteur et d'imprimeur, titre à part. Un exemplaire dans la Réserve, à la Bibliothèque nationale, recueil Thoisy, Lb37, n° 3249). Moreau constate avec raison que cette pièce est rare. (Bibliographie des Mazarinades, tome III, p. 86.)

Les Remarques sont sous forme d'une lettre écrite à M.... Ce pamphlet, malgré l'extrême grossièreté des expressions et malgré son style détestable, n'en est pas moins fort curieux à consulter, car il est hors de doute qu'il n'a pu être écrit que sur des notes fournies par Mazarin lui-même. Comme il y est question de la sentence du Châtelet, du 29 janvier 1655, qui condamne au feu la lettre de Retz, le pamphlet doit être postérieur de peu de temps à cette date. L'auteur anonyme rappelle que le cardinal de Retz, ayant été nommé coadjuteur par la Régente, s'est reconnu de ce bienfait en diffamant dans des libelles la vertu de cette princesse. Il l'accuse d'avoir prêché séditieusement dans l'église de Saint-Paul, le jour de la conversion de ce saint (en 1649); d'avoir fait la proposition sacrilége de faire la

4. Dans cette même Relation, il est question du beau rôle que joua le cardinal de Retz dans le Conclave en défendant, avec hauteur, contre les Espagnols, les prérogatives de la couronne de France.

RETZ. VI

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guerre au Roi en jetant à la fonte l'or et l'argent des vases sacrés; d'avoir conseillé l'assassinat d'un lieutenant général (lisez du gouverneur d'Orléans, Charles d'Escoubleau, marquis de Sourdis); conseillé la détention de Mazarin; conseillé les barricades (de 1648) devant le Palais-Royal; conseillé l'enlèvement des sceaux à main armée. Il l'accuse d'avoir fait délivrer Condé après l'avoir fait arrêter; d'avoir arraché le chapeau par ses intrigues; d'avoir voulu se rendre indépendant en détruisant Mazarin par M. le Prince et M. le Prince par Mazarin; d'avoir aspiré au ministère, et, pour y arriver, d'avoir fait des dettes immenses; il l'accuse enfin d'avoir opiné dans le Parlement pour la mise à prix de la tête du premier ministre à 150000 livres. Et à ce propos, le pamphlétaire, non sans une grande force de logique, oppose au cardinal de Retz la conduite qu'il a tenue à l'égard de Mazarin, à celle qu'il veut qu'on tienne aujourd'hui envers lui : « Quelle contradiction, s'écrie-t-il, de vouloir maintenant que le Pape soit son juge contre son Roi qui le réclame, et que le cardinal (Mazarin) protégé du Roi, ait été justiciable du Parlement, et avec quel front peut-il inviter les évêques à la défense d'un droit commun, qu'il a violé solennellement contre un de ses confrères dans cette cruelle délibération du 29 décembre 1651? »

Des accusations portées jusque-là contre Retz, la plupart étaient évidemment indiscutables. Mais il n'en est pas de même de celles que l'anonyme accumule à la fin de son pamphlet. Elles sont, presque toutes, de la dernière fausseté. C'est ainsi qu'il prétend, sans la moindre preuve, qu'après le voyage de Retz à Compiègne pour y demander la paix au Roi, il s'est allié avec Condé; que l'on saisit des lettres de lui adressées au Prince, lettres qui servirent de << conviction » au Roi pour le faire arrêter; que pendant sa prison à Vincennes et à Nantes, il noua des intrigues avec ce même Condé, notamment à l'époque du siége d'Arras. Toutes ces imputations n'ont pas le moindre fondement et l'on n'en trouve aucune trace dans les documents contemporains. Retz prisonnier était trop prudent pour se compromettre et pour aggraver sa situation. Si le pamphlétaire se désole de la fuite du Cardinal, il se félicite en revanche

de ce qu'il s'est cassé le bras, ce qui l'a empêché de marcher sur Paris. Les accusations qui terminent le libelle ne sont pas moins fausses. Retz, qui dans sa fuite a passé par l'Espagne, parce que pour lui c'était le plus court chemin, Retz est accusé de n'être allé en Espagne que pour y former « dans Saint-Sébastien la conjuration de Bordeaux, qui a été découverte, avec les agents d'Espagne, du prince de Condé et du nommé Trancar, chef des rebelles de Bordeaux ». Ce n'est qu'à la nouvelle de la victoire des Dunes par Turenne, qu'il se décide à partir pour Rome; il reçoit mille pistoles de l'Espagne pour son voyage, et à Rome il n'est soutenu que par l'argent de l'Espagne. Le pamplet se termine par une bordée d'outrages et d'injures.

2o Lettre d'un bon François sur le sujet de celles du Cardinal de Retz à Leurs Majestés. M.DC.LV. (Petit in-folio de 16 pages, sans date de jour et de mois, sans nom de lieu, d'auteur et d'imprimeur, titre à part. La lettre, à la fin, est signée des deux initiales N. N. Bibliothèque nationale, Lb37 3246, un exemplaire dans la réserve.)

C'est un pamphlet violent contre le cardinal de Retz et une réponse à ses lettres au Roi et à la Reine, du 14 décembre 1654, lettres que Louis XIV et sa mère avaient refusé de recevoir. De l'aveu du pamphlétaire, ces lettres de Retz étaient lues partout dans Paris, dans les assemblées, dans les académies, dans les ruelles, dans les marchés, dans les boutiques des artisans. L'auteur entasse citations grecques sur citations latines; il évoque le Godefroy de Bouillon du Tasse, etc. Au milieu de ce fatras, il articule contre Retz des accusations très précises et qui ne peuvent lui avoir été fournies que par Mazarin. Il passe en revue tout son rôle pendant la Fronde. Une particularité digne d'être signalée et sur laquelle sont muets tous les Mémoires du temps, excepté ceux de Retz, c'est qu'on l'accuse d'avoir fait partie de la conspiration du comte de Soissons, circonstance qui fut connue du cardinal de Richelieu et qui fut cause de son refus constant de nommer Paul de Gondi à la coadjutorerie de Paris.

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A la suite de cette lettre s'en trouve une autre du même format, avec les mêmes caractères, intitulée :

3o Seconde lettre d'un bon François où est examinée celle de M. le Cardinal de Retz aux Archevêques et Évêques de France. M.DC.LV. (In-folio de 38 pages, titre à part, sans nom de lieu, de date, de jour et de mois, d'auteur et d'imprimeur. Elle se termine par les mêmes initiales que la précédente: N. N. Bibliothèque nationale, Lb 3247.)

L'auteur anonyme dit que la lettre de Retz a été brûlée par la main du bourreau, ce qui eut lieu, comme nous l'avons vu, le 29 janvier 1655. La seconde lettre doit être postérieure de peu de temps à cette date. L'auteur anonyme dit que la lettre de Retz aux évêques a survécu aux flammes comme le Phénix, et que de la fécondité de ses cendres sont nés d'autres écrits animés d'un esprit de sédition et de révolte. Ce passage prouve que la circulaire de Retz a été plus répandue qu'on ne l'a supposé de notre temps. Le pamphlétaire essaye de faire l'apologie du Roi pour avoir livré aux flammes la lettre de l'Archevêque. « C'est, dit-il, la pratique universelle de tous les États policés de condamner au feu les mauvais écrits, s'ils violent le respect qui appartient aux choses saintes, ou s'ils blessent et offensent la majesté du souverain. » « Et véritablement, ajoute-t-il, je n'en ai guère lu qui méritassent mieux cette punition que le manifeste dont je vous parle. Le Roi est traité là-dedans de persécuteur et de tyran et on dit de lui ce qu'on disoit autrefois des Dioclétiens, des Décies et de tous ces princes barbares dont les noms remplissent nos martyrologes, etc. » Ce que l'auteur trouve surtout étrange, sans tenir compte des formes de langage dont se sert le cardinal de Retz, c'est qu'il ose se mettre sur la même ligne que les Athanase, les Chrysostome, les Cyrille. Et à ce propos, passant en revue les saintes actions de ces grands Pères de l'Église, il trouve quelques mouvements assez éloquents: << Le cardinal de Retz est criminel et Chrysostome est innocent; le cardinal de Retz allume la sédition par une rébellion insolente et Chrysostome l'éteint par un volontaire bannissement; le cardinal de Retz demeure dans Paris et y met en

prison son propre Roi et bienfaiteur, pour y maintenir sa
tyrannie, et Chrysostome se retire à Constantinople de
crainte d'affoiblir l'autorité royale de son persécuteur; le
cardinal de Retz est arrêté pour avoir prêché un évangile
de révolte, et Chrysostome est exilé pour avoir annoncé
l'évangile de paix et de vérité; le cardinal de Retz inquiète
le repos
d'une Reine sa bienfaitrice, et tourne ses bienfaits à
sa propre perte, et Chrysostome cède à la fureur d'une impé-
ratrice altérée de son sang et animée de sa ruine, etc., etc. »
Et l'auteur, en poursuivant ses implacables comparaisons
entre Retz et saint Chrysostome et saint Thomas de Cantor-
béry, n'a pas de peine à démontrer, il faut l'avouer, à quel
point la conduite du chef de la Fronde fut différente de
celle de ces deux saints personnages. A travers un déluge
de choses de mauvais goût, de citations empruntées à l'an-
tiquité paienne et à l'histoire de l'Église, on trouve en-
core çà et là, dans ce pamphlet, des passages qui ne sont
pas sans vigueur. Voici, par antiphrase, un malin portrait
de Retz: « Celui que ses partisans appeloient le beau téne-
breux et le moricaut de Corinthe, a dans les yeux, dans
le visage, dans la taille et dans tous les mouvements de sa
personne ces charmes inévitables qui rendoient le grand
duc de Guise, du temps de la Ligue, maître absolu de
toutes les volontés, et qui faisoient que ses ennemis mêmes
quittoient leur haine quand ils le voyoient, et ne là pou-
voient reprendre qu'en son absence. »>

Si le cardinal de Retz se plaint des mauvais traitements qu'il a subis dans sa prison, le pamphlétaire lui répond qu'il n'était pas si à plaindre qu'il le prétend, puisque la Cour lui donnait par mois trois mille livres pour sa table. Si Retz fait entendre des plaintes touchantes sur l'exil de son père, au cœur de l'hiver, dans les sauvages montagnes de l'Auvergne, le libelliste aux gages de Mazarin essaye de lui fermer la bouche en disant que «< les neiges et les montagnes qu'on suppose qu'habite (le P. de Gondi) ne refroidissent point son zèle et ne l'éloignent point du ciel. Ne songeant. plus qu'à mourir bien chrétiennement, il est aussi près du ciel en ce lieu-là que s'il demeuroit à Saint-Magloire ou dans le voisinage de Paris comme auparavant. Et d'ailleurs,

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