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tous les Évêques et les Archevêques ne soient plus que de petits vicaires du Conseil d'État, destituables à la moindre volonté d'un favori. Car il ne faudra que les obliger à s'absenter par les menaces d'une prison, mander ensuite leurs Grands Vicaires en Cour, et commander en même temps à leur Chapitre de prendre en main la conduite du Diocèse, sous ce prétexte que le siége épiscopal est désert et abandonné, et de nommer aussitôt des Grands Vicaires qui en prennent le gouvernement, non pas au nom de l'Évêque même, mais au nom du Clergé de son Église, comme si une Église perdoit son Pasteur aussitôt que son Pasteur perd les bonnes grâces de la Cour, et que fuir la violence de ses ennemis, lui fût la même chose que d'être tombé entre les mains des Barbares.

Que si vous avez appris, Messieurs, ce qui s'est passé depuis dans mon Diocèse, vous aurez vu avec douleur une image de ce que vous avez lu dans l'histoire ecclésiastique, des proscriptions et des exils dont se sont toujours servi ceux qui ont voulu opprimer la liberté de l'Église. On a proscrit mes Grands Vicaires, des Chanoines et des Curés qu'on avoit d'abord mandés à la Cour, après les avoir envoyés d'une ville à une autre, sans leur donner aucune audience, parce qu'on n'avoit rien de solide à leur reprocher, et que les obliger à justifier leurs actions, étoit leur ouvrir une voie avantageuse de faire paroître leur innocence. On les a relégués en diverses provinces du Royaume et en des villes fort éloignées, afin que leur exemple laissât dans Paris, dont on les bannissoit, une image de crainte et de terreur, qui fit trembler tous les autres, et que leurs personnes portassent partout les tristes marques de l'oppression de l'Église.

On a jeté si avant la frayeur dans les esprits, que

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ceux qui m'aident à soutenir le poids de ma charge dans le gouvernement des paroisses de la principale ville de mon Diocèse, et qui ont témoigné tant de zèle pour maintenir mon autorité, eurent si peu de liberté, dans leur dernière assemblée, qu'ils n'osèrent même lire une lettre que je leur avois écrite, comme si c'eût été un crime de lèse-Majesté à des Curés de Paris d'écouter la voix de leur Pasteur et de leur Archevêque sur un sujet purement ecclésiastique. Et parce qu'il s'en trouva beaucoup dans cette pieuse [et] savante Compagnie, qui ne purent s'empêcher de déplorer cet outrage que l'on faisoit à mon caractère, on envoya, dès le lendemain, à l'un d'eux une lettre de cachet pour lui signifier une sentence de bannissements, rendue avec les mêmes formes de justice que les autres, et pour le même crime si scandaleux et si punissable, qui est de n'avoir pas trahi l'honneur de l'Église, l'autorité de son Archevêque, les devoirs de sa charge et les sentiments de sa conscience.

Vous voyez, Messieurs, quelle est aujourd'hui la face de mon Église. C'est au commun des fidèles à déplorer de si grands désordres, mais c'est à vous, Messieurs, c'est aux Princes de l'Église à s'y opposer. Les particuliers ne doivent en ces rencontres que des gémissements et des larmes à leur Mère; mais les Prélats doivent leur vigueur et leur protection à leur Épouse.

Il est impossible qu'ayant tous gravé dans le cœur l'amour que vous devez avoir pour l'intérêt de l'Église

67. Lettre écrite aux curés par le cardinal de Retz et datée de Beaupréau, le jour même de sa fuite du château de Nantes, c'està-dire, le 8 août 1654 (no 3).

68. Il s'agit de Du Hamel, curé de Saint-Méry, qui, dans une assemblée des curés de Paris, s'étant plaint de la persécution que l'on faisait subir à son archevêque, eut ordre le lendemain de se retirer à Langres. (Mémoires inédits de Claude Joly.)

et l'honneur de votre caractère, vous ne soyez vivement touchés de voir l'une asservie et l'autre déshonoré. Il est impossible que ces scandales ne vous brûlent, et qu'à la vue de tant d'énormes excès, vous ne ressentiez ces nobles impatiences, que les Pères ont appelées de saintes indignations.

Mais pardonnez-moi, Messieurs, si j'ose vous dire que Dieu demande autre chose de ses principaux Ministres, que des mouvements intérieurs et stériles d'un zèle muet et sans action, et qu'il est à craindre qu'il ne soit pas satisfait de votre générosité épiscopale, si vous n'employez toutes les voies ecclésiastiques, que Dieu met entre vos mains, pour faire qu'un abus et un attentat, qui n'a point eu d'exemple par le passé, n'en aît point à l'avenir.

Je ferois tort à toute l'Église Gallicane, si je doutois que vous ne fussiez encore les mêmes que vous étiez, lorsque j'eus l'honneur de parler à Sa Majesté, au nom de tout le Clergé de France", et de lui représenter ce que le grand saint Martin, Évêque de Tours ", dit autre

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69. Texte de l'édition de 1836 : « d'un zèle muet sans action ». 70. Le Coadjuteur, en effet, dans la Remontrance du Clergé de France faite au Roi à Fontainebleau le 30 juillet 1646, etc., citait les paroles de saint Martin, évêque de Tours, qu'il donne plus loin. Paris, in-4° de 24 pages, 1646, p. 15. Voir cette Remontrance au commencement de notre tome VIII.

71. Saint Martin, né vers 316, à Sabarie, en Pannonie, d'un tribun militaire. Entré au service à l'âge de quinze ans, il embrassa le christianisme et reçut le baptême à l'âge de dix-huit ans. Il resta encore près de deux ans dans l'armée romaine et combattit contre les Germains. Ayant obtenu son congé, il se retira auprès de saint Hilaire, évêque de Poitiers, qui lui céda un terrain à Ligugé, à deux lieues de Poitiers, où Martin fonda le premier monastère élevé dans les Gaules. Devenu plus tard évêque de Tours, il donna l'exemple de toutes les vertus chrétiennes, et fut, dit-on, le premier des saints confesseurs auquel l'Église ait rendu un culte public. Il mourut le 11 novembre 400. Si Martin

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fois à un Empereur: « C'est une impiété inouïe que les séculiers se mêlent des affaires de la Religion »; et ce que le grand Constantin" dit aux Évêques de son siècle : « Il ne m'est pas permis à moi, qui suis de condition humaine, de juger des causes des Évêques. » Comment donc pourrois-je croire que vous fussiez capables de dissimuler une entreprise beaucoup plus scandaleuse à l'Église, que celle dont se plaignoit saint Martin, et que celle qui fut rejetée par le premier des Empereurs chrétiens; une entreprise qui jette la confusion dans l'Église de la Ville capitale du Royaume par des suites lamentables, mais infaillibles, par le trouble des consciences, par le défaut de l'approbation nécessaire aux confesseurs et par le renversement de toutes les autres choses qui doivent être fondées sur une autorité légitime; une entreprise qui nous fait voir le spectacle si monstrueux d'un Archevêque dégradé par un Arrêt rendu sans parties, contre tous les Canons, et par des juges d'une condition toute laïque et séculière", et d'un Chapitre, à qui les mêmes laïques donnent mission, par un commandement absolu, de prendre l'administration spirituelle d'un Diocèse"; une entreprise enfin, par laquelle un Tribunal séculier ôte le droit de gouverner les consciences des fidèles à un Évêque à qui Jésus Christ le donne, et le donnent par force

a tenu les paroles que lui prête le cardinal de Retz, ce fut à l'empereur Maxime, en présence duquel le saint homme se trouva plusieurs fois.

72. Constantin le Grand (Caius Flavius Valerius Aurelius Claudius), né en 272 ou 274, fils de Constance Chlore et d'une mère de naissance obscure, du nom d'Hélène : mort à Constantinople, dont il avait fait le siége de l'Empire, le 2 mai 337, à l'âge de 63 ans.

73. L'arrêt du Conseil d'État rendu à Péronne le 22 août 1654, et dont nous avons parlé plus haut plusieurs fois.

74. En vertu du même arrêt.

à des Chanoines, à qui les lois de l'Église le refusent, et à qui la Cour seule le veut donner.

Que si vous n'avez pu souffrir, Messieurs, il y a dix ans, qu'un Évêque de France, opprimé par un Ministre d'État, et déposé de son Évêché en une forme qui avoit l'apparence d'être canonique, demeurât accablé sous une persécution qui avoit eu pour fondement de faux crimes de lèse-Majesté, et si, étant émus par la voix du sang de votre frère, vous en portâtes les cris par ma bouche jusqu'au trône de notre grand Prince, souffrirezvous aujourd'hui qu'on n'emploie que la seule violence séculière, pour déposer les Évêques, pour rendre leurs siéges vacants et abandonnés, pour interdire toutes les fonctions spirituelles à leurs Grands Vicaires? Et que diroit la Postérité, si vous ne faisiez pas maintenant pour un Archevêque de Paris et un Cardinal, ce que vous fites alors pour un Évêque?

Ce n'est pas, Messieurs, que je souhaite que vous considériez en moi autre chose que ce que vous considérâtes en ce Prélat et je vous prie au contraire de ne point regarder les défauts de la personne, mais l'éminence de la dignité, ni les imperfections de l'Évêque, mais la sainteté de l'Épiscopat. Vous savez mieux que moi, Messieurs, que l'Église n'a jamais voulu que l'on considérât les qualités particulières des Prélats, lorsqu'il s'agit de demeurer attaché, non à leur personne particulière, mais à leur puissance publique et sacrée, qui est la puissance même de Jésus Christ; non à leur Chaire, qui est la Chaire sainte de l'unité catholique dans

75. René de Rieux, évêque de Saint-Pol-de-Léon, avait été privé de son évêché en 1635, à la demande de Richelieu, en vertu d'un jugement rendu par quatre commissaires ecclésiastiques délégués par Urbain VIII. Voyez les Mémoires de Retz, tome I", p. 267 et suivantes, ainsi que la note 2 de la page 267, qui résume toute cette affaire.

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