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INTRODUCTION

D'APRÈS les ordres secrets donnés par Mazarin du fond de son exil, le cardinal de Retz avait été arrêté le 19 décembre 16521. Retz, dans ses Mémoires, déclare qu'il ne put jamais tirer au clair si le Cardinal ordonna ou simplement approuva ce coup d'État. Les lettres de Mazarin que nous publions dans notre Appendice ne peuvent plus laisser aucun doute sur cette question.

L'arrestation de Retz était une violation flagrante de l'amnistie générale accordée par le Roi le 22 octobre précédent, et de laquelle n'était pas nommément exclu le Cardinal3. La question était de savoir si, depuis la proclamation de l'amnistie, jusqu'à son arrestation, il avait commis des crimes d'Etat de nature à faire revivre les crimes passés. Mais comme on ne lui fit jamais son procès, ni pendant sa prison, ni pendant son exil, on peut dire que toutes les

1. Mazarin à Michel Le Tellier; 3 décembre 1652. Appendice n° 1. — Mazarin à Servien et à Le Tellier; 8 décembre 1652. Appendice n° 2. Ordre du Roi à Pradelle, capitaine de ses gardes, d'arrêter le cardinal de Retz mort ou vif, 16 décembre 1652. Appendice n° 3. Lettre de Le Tellier à Mazarin pour lui annoncer l'arrestation; 20 décembre 1652. Appendice n° 4. - Récit de l'arrestation de Retz dans la Gazette du 21 décembre 1652. Appendice n° 5. Récit inédit de l'arrestation dans le Journal d'un bourgeois de Paris. Appendice n° 6.

2. Mémoires, tome IV, p. 447, 448.

3. SUITE DU VRAI JOURNAL DES ASSEMBLÉES DU PARLEMENT: Édit du Roi portant amnistie générale de tout ce qui s'est fait à l'occasion des mouvements passés, jusques à présent. 22 octobre 1652, p. 235 à 339.

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accusations que l'on fit circuler contre lui, ne furent jamais clairement établies sur des preuves certaines.

L'arrestation de Retz, qui mit fin à la Fronde politique, fut le signal d'une nouvelle guerre entre le pouvoir royal et l'Église, guerre à laquelle on pourrait donner le nom de Fronde ecclésiastique. Paul de Gondi était, comme on le sait, coadjuteur de son oncle, François de Gondi, archevêque de Paris, et de plus légitimement désigné d'avance comme son successeur. François de Gondi était gravement malade, sa mort semblait prochaine, et, d'un moment à l'autre, Retz, armé du pouvoir spirituel, pouvait, du fond de sa prison, devenir aussi redoutable que pendant la Fronde.

Dans les premiers moments, Rome et tout le clergé de France semblèrent faire cause commune en faveur du prisonnier. Le nonce du Pape, les chanoines de Notre-Dame, les curés de Paris, la Sorbonne, à laquelle se joignit le corps universitaire, ainsi que nombre de prélats qui se trouvaient à Paris, firent entendre au pied du trône leurs supplications et leurs remontrances pour obtenir la liberté du Cardinal. La Cour n'en tint aucun compte. Ce fut en vain que le Pape implora, menaça1. Mazarin et la Cour étaient bien résolus de ne rendre la liberté à leur prisonnier qu'après l'avoir désarmé et mis hors d'état de nuire.

François de Gondi et le Chapitre de Notre-Dame ordonnèrent des prières de quarante heures, avec exposition du Saint Sacrement pendant trois jours dans toutes les églises de Paris. La Cour ordonna aux chanoines d'enlever l'ostensoir; ils n'en tinrent compte; il resta sur l'autel pendant

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1. Bref du pape Innocent X à Louis XIV pour réclamer la liberté de Retz, 20 janvier 1653. Appendice n° 8. Lettre au Roi des ducs de Retz et de Brissac pour lui demander la délivrance du prisonnier (commencement de 1653). Appendice n° 9. Lettre inédite de la duchesse de Lesdiguières à Mazarin pour le prier d'apporter quelque adoucissement à la prison du cardinal de Retz (mars 1653). Appendice n° 10. Retz à Vincennes. Pièces inédites du secrétariat de la maison du Roi. Appendice n° 11.

2. 2 janvier 1653. Mandement de l'archevêque de Paris. Appendice n° 7.

tout le temps qu'ils avaient fixé. Animés à la résistance pendant ces premières heures, nul doute que, pour répondre aux menaces de la Cour, ils n'eussent ordonné la fermeture des églises sans la faiblesse de l'archevêque. Irritée à la fois et effrayée de cette résistance à laquelle elle était loin de s'attendre, la Cour inaugura un système de violences, qui dura pendant neuf ans et auquel la démission de Retz mit seule un terme. Elle exila tour à tour les plus chauds partisans du Cardinal, ses amis, ses parents, ses grands vicaires, des curés, des chanoines. Le vénérable M. de Gondi, prêtre de l'Oratoire, et père de Retz, fut relégué, au cœur de l'hiver, dans une de ses terres, puis, de là, au milieu des montagnes de l'Auvergne. Ce qu'il y a d'étrange, c'est que le Cardinal, dans ses Mémoires, parle à peine des persécutions qu'il attira sur la tête des siens, de ses amis, de ses affidés, et qu'il ne dit mot de l'exil de son propre père.

Comme la santé de l'archevêque donnait les plus vives inquiétudes à Mazarin, il mit tout en œuvre pour empêcher le Coadjuteur de recueillir la succession de son oncle. En échange de la coadjutorerie, il fit offrir à son prisonnier, par le nonce Bagni, nombre de grosses abbayes d'un revenu de plus de cent mille livres. Dans la crainte que Retz ne cédât à la tentation, le fidèle Caumartin lui envoya secrètement par écrit la réponse qu'il avait à faire, et lorsque Bagni se présenta à Vincennes, accompagné des secrétaires d'État Brienne et Le Tellier, le Cardinal répondit à ses offres par un refus plein de hauteur. On ne manqua pas de publier et de répandre dans Paris cette fière réponse, qui fit le plus grand honneur à la constance du prisonnier1.

La Cour ayant refusé de recevoir le bref du Pape, Innocent X, très-irrité contre Mazarin, ordonna à l'archevêque d'Avignon, Marini, auquel il donnait le titre de nonce extraordinaire, d'aller demander au Roi des explications sur l'arrestation de Retz. Marini se mit en route, mais à peine avait-il fait quelques lieues, qu'un ordre de Louis XIV lui barra le passage. Le Pape, outré de colère, était sur le point

1. Voyez, dans l'Appendice n° 12, la réponse du cardinal de Retz au nonce du Pape.

de lancer l'excommunication contre Mazarin; il ne fut retenu que par les supplications du Sacré Collège. Il dut se contenter de menacer Mazarin des censures, du rappel de son nonce et d'une rupture avec la France. La Cour ne parvint à apaiser le vieux Pontife qu'en faisant le plus favorable accueil à sa bulle contre les cinq propositions de Jansenius.

La mort de l'archevêque de Paris, arrivée le 21 mars 1654, remit de nouveau le diocèse en combustion. Ce jour-là même, le cardinal de Retz, avant que la Cour pût le prévenir, prenait possession de l'archevêché, par un fondé de pouvoir, muni d'une procuration en règle'. Irritée au dernier point d'avoir été ainsi surprise, la Cour fit signifier, le jour même, au Chapitre de Notre-Dame, un arrêt du Conseil d'État, ordonnant que, pour faute de prestation du serment de fidélité au Roi par le cardinal de Retz, il serait pourvu au gouvernement spirituel et temporel de l'archevêché'. L'arrêt ordonnait de plus l'ouverture de la régale sur les revenus du bénéfice, la nomination d'un économe pour les percevoir et pour administrer au temporel. Par le même arrêt, il était enjoint au Chapitre de procéder à la nomination des officiers nécessaires au gouvernement spirituel, jusqu'au jour où la prestation de serment viendrait mettre fin à la régale3.

Les chanoines, à l'unanimité, et avec une fermeté inébranlable, refusèrent d'obéir à cette dernière injonction, soutenant avec raison que la juridiction appartenait au seul cardinal de Retz. Le doyen fut envoyé au Chancelier pour lui notifier cette décision". De leur côté, Chevalier et Lavocat, les deux grands vicaires de Retz, ordonnèrent des prières de quarante heures, pour la liberté de l'Archevêque, avec 1. Voyez à l'Appendice le n° 13.

2. Voyez cet arrêt à l'Appendice n° 14. Ibidem. Démarches du Chapitre auprès du Roi en faveur de Retz, no 14* a.

3. 24 mars 1654. Appendice n° 15.

4. Ibidem et Histoire généalogique de la maison de Gondi, par Corbinelli, tome II, p. 178, 179.

• NOTA. Nous avons placé sous le même numéro dans l'Appendice les pièces à la même date et se rapportant à la même question, mais en ayant soin de les distinguer l'une de l'autre par un ou plusieurs astérisques.

exposition du Saint Sacrement dans toutes les églises, ce qui fut exécuté sur-le-champ.

Dès le lendemain, un arrêt du Conseil d'État était lancé contre les deux grands vicaires et affiché dans toutes les rues et carrefours de Paris. Ils y étaient sommés d'avoir à remettre au Chancelier leurs pouvoirs et mandements; défense de les reconnaître comme grands vicaires; à eux d'en faire la fonction à peine de poursuites; menaces aux imprimeurs qui leur prêteraient leurs presses1.

Chevalier et Lavocat se rendirent auprès du Chancelier pour protester, soutenant que l'administration spirituelle. du diocèse ne pouvait dépendre d'une prestation de serment, qui ne regardait tout au plus que le temporel. Ils offrirent d'ailleurs de le prêter au nom de l'Archevêque, qui leur avait envoyé sa procuration; mais le Chancelier se garda bien d'accepter cette offre1. Sans tenir compte de la protestation des grands vicaires, la Cour passa outre. Un arrêt de la Chambre des Comptes ordonna la saisie des revenus de l'archevêché sous prétexte qu'il y avait ouverture à la régale au profit du Roi, pour défaut de prestation de serment3.

Depuis que Retz était devenu le chef spirituel du diocèse, ses amis redoublaient de zèle et d'efforts pour lui rendre la liberté. Ils renouaient des relations avec les anciens frondeurs, avec M. le Prince', avec les Jansénistes, exploitaient la compassion du peuple pour son pasteur; en tous lieux, avec autant de fermeté que de prudence, ils firent reconnaître la juridiction du prélat. Ils avaient formé un conseil secret pour préparer son évasion. Pour défendre sa cause, ils semèrent dans Paris nombre d'opuscules. On prétend

1. Arrêt du Conseil d'État du 27 mars 1654. Appendice n° 16. 2. Procès-verbal de Chevalier et Lavocat, 28 mars 1654. Appendice no 17.

3. Arrêt de la Chambre des Comptes du 18 avril 1654. Appendice n° 18.

4. Lettres inédites du prince de Condé et du duc de Noirmoutier concernant le cardinal de Retz. Appendice n° 19.

5. Nous avons eu soin d'analyser ou de citer ces factums à leur date.

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