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dangereux que de plaire, dit Fénelon; l'amourpropre en est charmé, et le charme empoisonne le cœur. De plus, l'innocence est une tendre et délicate fleur, dont le grand hâle a bientôt terni le pur éclat. Et pour ne rien perdre de la sienne, la jeune Élisabeth en cherche la sauvegarde dans l'éloignement du monde. Aussi ses sorties sont-elles rares, à part celles que détermine la religion ou la charité; et c'est là le témoignage d'un judicieux observateur des premiers instincts qui la préparaient à une haute vertu, M. de la Tousche, aujourd'hui de la paroisse de Maillé, mais alors un de ses concitoyens. De plus, la défiance des dangers qu'elle peut rencontrer en dehors de sa maison, et la conviction de sa propre faiblesse, lui font examiner, devant Dieu, l'à-propos ou la nécessité de ces sorties, et la vigilance, jointe à la prière et à la modestie, doit les protéger toujours 1. Voilà sans doute, dans une telle conduite, plusieurs instructions d'exemple bien importantes, dont une, entre autres, apprend que des actions les plus communes on peut faire des actions saintes et religieuses par la pureté des

1 Fugit videre, nec minus

Fugit videri, ne suo
Quiddam pudori detrahat.

Semper sibi timens pudor,
Se caritate proteget. (Hymn.)

dispositions intérieures, par l'oblation qu'on en fait à Dieu, et par la vue de sa présence si propre à sanctifier tout.

Pour être à peu près sédentaire, la vie de la jeune Élisabeth n'était pourtant pas monotone ni ennuyeuse. On l'avait mise en garde contre la paresse, source inépuisable de dégoûts et de langueur, de mollesse, de vaines imaginations pour l'âme et de dérèglements pour le corps. Conformément à cette sentence du Saint-Esprit : < Celui qui veille dès le matin pour la posséder (la sagesse) n'aura pas de peine à la rencontrer, parce qu'il la trouvera assise à sa porte 1,» la jeune Élisabeth suit, si elle ne la prévient pas, l'heure de son pensionnat; elle ne prend de sommeil que la mesure nécessaire à sa santé; et le temps qu'elle ne donne pas à ses pratiques de piété, elle l'emploie aux petits intérêts du ménage, à tous les soins correspondants au bon plaisir et au besoin des siens; enfin au travail des mains, si recommandé par les apôtres comme très utile à la vertu, car l'oisiveté enseigne beaucoup de mal 2, et l'on doit toujours faire quelque chose, disent les saints, si l'on veut que

1 Qui de luce vigilaverit ad illam, non laborabit : assi→ dentem enim illam foribus suis inveniet. (Sap., vi, 13.) 2 Multam enim malitiam docuit otiositas. (Eccli., XXXIII, 29.)

le démon ne trouve pas de prise sur nous. Parmi ces occupations domestiques, la jeune Élisabeth sentait et partageait tout le bonheur dont elle était pour sa famille le sujet principal et la première douceur. D'un autre côté, une foule de variétés agréables venaient successivement multiplier les formes de son existence, et c'en était une bien chère à son cœur que les rapports de lettres et de visites réciproques, quoique rares, qu'elle entretenait avec des parentes et autres personnes vertueuses comme elle, et dont elle faisait la joie en devenant la leur. C'en était une autre encore bien intéressante pour le petit nombre des habitués de la maison paternelle, que ce qu'elle accordait en leur faveur aux convenances et à la politesse. Toutefois il n'y en avait aucune qui ne la ramenât avec un nouveau goût à la simplicité de ses habitudes. On peut en mesurer le degré à la nature de quelques-uns de ses plaisirs privés. Elle aimait, elle aima toujours les poupées; peu de temps même avant sa mort, on la verra se plaire à en montrer deux, apportées par elle du Béarn, qui représentaient deux religieuses de ce pays-là: tant il est vrai que les âmes pieuses s'amusent de rien. C'est ainsi qu'en joignant à l'heureux état d'un bon tempérament, perfectionné par une vie laborieuse, l'état d'un esprit libre et content, elle goûtait l'un des fruits de la mo

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dération, qui est, dit l'Écriture, de se souvenir peu des jours de la vie, tant elle paraît courte, parce que Dieu occupe et remplit le cœur de délices comme d'un festin continuel 2. Quelle est aimable et digne d'envie, cette jeune existence dans laquelle le corps resplendissant de santé et de fraîcheur, et l'âme ouverte à toutes les impressions de la vertu, se rendent récipro- ́ quement les meilleurs témoignages!

Ce qui ajoutait encore au bonheur de la jeune Élisabeth, c'était le genre de ses lectures. Les plus grands biens de la vie présente sont assurément la connaissance de Dieu et de soimême, l'étude des maximes de la loi nouvelle, l'expérience et les exemples de ceux qui l'ont le plus honorée par leurs lumières et leur vertu; enfin le concours des sentiments et de la conduite avec les vérités connues. Avide qu'elle était du vrai et du beau, elle en cherchait donc chaque jour les préceptes et les modèles dans les meilleurs livres : c'est dire son estime et sa prédilection pour les divines Écritures, et surtout pour l'Évangile, règle souveraine de la foi et des mœurs, et dont le propre est de former les âmes libres, généreuses et vraiment pures. Il

1 Non enim satis recordabitur dierum vitæ suæ, eo quod Deus occupet deliciis cor ejus. (Eccl., v, 19.)

2 Secura mens quasi juge convivium. (Prov., xv, 15.)

était, il avait été le seul meuble de saint Hilarion, et sainte Cécile le portait toujours sur elle. La jeune Élisabeth le lisait avec une dévotion particulière et se plaisait davantage à l'entendre expliquer humble, attentive et bénévole auditeur, plus soigneuse de la recueillir comme la nourriture de son âme, que comme un ornement pour sa mémoire. Les livres ascétiques, qui en développent les vérités, et les Vies des Saints qui les expriment par des conséquences glorieuses, devaient avoir également un charme particulier pour elle; ils étaient en effet à ses yeux comme d'autres lettres venues du ciel pour nous y rappeler, comme des miroirs dans lesquels l'âme considère ce qui la défigure ou l'embellit, comme des aiguillons qui excitent à tout bien, comme l'occasion et le point de départ d'une foule de conversions célèbres. Aussi ne laissait-elle pas passer un jour sans en lire, même plusieurs fois, une certaine étendue, moins fixée par son règlement de vie que prolongée par une sainte avidité, et toujours avec les moyens assurés de succès, qui sont la prière, la réflexion et la pratique. Certaines histoires, comme celle de Rollin, lui convenaient beaucoup aussi : on sait avec quelle fidélité ce religieux et savant philosophe signale l'accomplissement des prophéties qui regardent l'avénement du Messie promis, et les destinées des peuples

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