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qu'il ne faisait à lui seul un autre Christ, un Christ tout entier 1. « Vous l'eussiez pris pour tel, nous disait-on, surtout quand il était en chaire, où il achevait d'être la voix du Seigneur, après l'avoir représenté partout dans les autres actions de sa vie. Avez-vous remarqué, dans la vie de quelque Saint, les principes constitutifs d'un si beau titre, comme une foi vive, un amour ardent mêlé d'une respectueuse crainte, une humilité profonde, l'esprit de pénitence, le don d'oraison exercé, nourri par une application constante aux saints mystères eh bien! tel était le riche fonds sur lequel s'élevait le bel édifice de la piété de cet autre Théophore, dont la parole sainte était la seule lumière, la charité toute la vie, et la religion celle des anges au milieu desquels il avait commencé de se placer, comme saint Augustin l'a dit de saint Jean. Plein de reconnaissance pour la rémission de ses péchés, dont il conservait l'utile souvenir, il se consolait de la douleur de les avoir commis, par toutes les manières possibles de satisfaire à la justice divine: semblable au fils de Jonathas, qui, devenu un monument public de la clémence de David, n'eut plus de parole ni de vie que pour honorer et servir le bon prince qui lui avait pardonné. En effet, si,

1 Sacerdos Christi expressa forma.

la nuit et le jour, M. Fournet criait vers Dieu, par les mille voix d'un cœur humble et touché; si, par une rigoureuse mortification, il semblait être rentré dans le noble état de l'homme innocent, qui n'eût aucun soin à prendre de sa nourriture et de ses vêtements, comme il était, d'un autre côté, fidèle à tous les devoirs du ministère pastoral; avare de son temps1, comme les autres hommes le sont de leur or et de leur sang, d'autant plus rempli des vérités saintes qu'il avait l'esprit moins ouvert aux choses vaines et curieuses, vous ne l'auriez pas surpris désoccupé de Dieu, faisant ou disant quelque chose qui ne tendit pas à lui. Toute sa vie, qui dura longtemps et qu'il fit plus longue en dormant peu, se partageant entre les offices du culte divin et la sanctification des âmes par les sacrements, entre l'étude et l'attention aux nécessités des pauvres, pour l'amour desquels, de riche qu'il était, il s'était fait pauvre lui-même. Quel zèle à prêcher l'Évangile! Il n'avait pas d'autre passion que celle d'en remplir les cœurs; il l'annonçait dans les villes et les hameaux, dans les

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Il n'est point de regret plus sensible dans l'enfer, que d'avoir perdu le temps que nous traitons, hélas! comme une chose vile. « Je suis assuré, disait un saint homme, que le reproche que Dieu fera aux réprouvés d'une seule heure mal employée, sera le moment le plus insupportable de leur éternité. »

maisons et les chemins, tour à tour aux adultes et aux enfants, en tous lieux et à tous les moments favorables; en sorte que tout pécheur, et même tout juste qui le voyait passer ou arriver à soi, pouvait se dire: voilà un homme que, par une miséricorde particulière, Dieu m'envoie 1 pour mon salut. Oh! combien surtout était grande la confiance des malades qui l'appelaient à eux! Dès la moindre apparence de danger, ou plutôt dès qu'il était averti, ils le voyaient à leur côté; et il continuait, dans sa tendre sollicitude, de les visiter, tant qu'il le fallait, ou par lui-même ou par quelque sœur. Pénétré, comme il l'était, de la sublimité de sa vocation, qui l'élevait au-dessus des cieux et dans le centre de la sainteté même, il ne paraissait que rarement dans le monde, et non pour participer à ses jeux, à ses festins et à ses joies; mais pour y sanctifier davantage encore les justes motifs de ses courtes visites, par des souhaits de grâces et de bénédictions, par quelques louanges données au saint nom de Jésus, que ses lèvres pures soupiraient sans cesse; enfin, pour faire luire aux yeux de ceux à qui l'esprit de Dieu l'envoyait de nouveaux rayons des hautes vérités qu'il ne cessait de méditer et de proposer aux autres en chaire; car, aussi bien

1 Fuit homo missus à Deo. (JoAN., 1, 6.)

que saint Thomas d'Aquin, il ne comprenait pas comment des chrétiens, et surtout des religieux et des prêtres, pouvaient parler d'autres choses que de Dieu et de ce qui sert à l'édification des âmes; aussi y avait-il dans toutes ses conversations comme un moût de divinité 2 et une saveur de la vie éternelle. Il était en effet si édifiant et à la fois si gracieux, qu'on se sentait doublement heureux du plaisir de l'entendre et du désir qu'il inspirait de devenir meilleur; si grave, qu'il ne plaisantait jamais, ce qui ajoutait tant de dignité à sa personne et de poids à ses conseils; si bon, qu'on lui avait donné le surnom, ou le plus doux des titres, celui de père; mais en même temps si modeste, qu'il ne parlait aux personnes du sexe et surtout aux sœurs, que les yeux baissés; si pur, qu'il eût regardé comme un crime pour lui de dire ou de faire quelque chose pour se placer dans un coeur à côté et aux dépens de Dieu; si attentif à sa sainte présence, que son seul recueillement devenait une invitation à l'adorer aussi, tant sa figure religieuse et sacramentelle parlait à tout le monde de Dieu, habitant dans son cœur! et certes, qui

1 Tous les entretiens du chef de la philosophie païenne, Socrate, n'étaient qu'un éloge perpétuel de la vertu, pour exciter tous les hommes à la pratiquer. « Je voudrais, écrivait Cicéron à son fils, que, s'il était possible, votre oreille n'entendît jamais autre chose. >>

2 Mustum Divinitatis. (S. AUG.)

l'eût vu et fixé en esprit de foi, quand il priait, quand il faisait quelque fonction ecclésiastique, ou seulement un signe de croix, mais surtout quand il célébrait les saints mystères, cût été sauvé, ce que nous disons après Sulpice-Sévère parlant de saint Martin. Qu'il fut donc dignement loué dans ce peu de mots dits de lui par son évêque, apprenant, les larmes aux yeux, la nouvelle de sa mort : « Le ciel vient de s'enrichir d'un nouvel habitant, et la terre vient de perdre un modèle de toutes les vertus sacerdotales! Il fut en effet pour le clergé ce que saint Jean fut pour saint Bernard, un sujet continuel de s'animer à la ferveur et d'entrer dans les sentiments de la plus profonde humilité.

Un tel prêtre, en qui s'offrait à tous les regards le type et l'image des choses célestes 3, remplissait les voeux de toute âme qui ne soupirait que pour elles. Lui donner donc une pleine confiance, c'était, sans doute, de la part de la sœur Elisabeth, s'honorer elle-même par une prédilection que seul pouvait donner un grand amour pour la vertu; c'était encore s'engager à l'écouter et à le suivre. Mais demeurer attachée à sa conduite, après les premières épreuves publiques qu'il lui fit subir, c'était quelque chose de

1 Quem videre salus videntium est. (SULP.-Sév.)

2 Gemma sacerdotum. (SULP.-Sév,)

3 Typus et imago cœlestium.

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