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dont il parle, ne négligeant jamais non plus, à l'occasion, de démontrer la fausseté ou l'imperfection des vertus du paganisme par les maximes et les exemples de la loi évangélique. En un mot, tout ce qu'il était utile de savoir de ce qui peut rendre vertueux, la jeune Élisabeth jugeait raisonnable de l'apprendre et de s'en pénétrer. Qu'est en effet tout le reste, sinon l'ouvrage de l'erreur, de l'orgueil et des autres passions inspirées, dominées par le démon.

le plus grand écrivain et le plus grand parleur du monde, a-t-on dit, puisqu'il participe à la plupart des écrits et des paroles des hommes ?> Il serait superflu de faire observer que, prudente et pure, au point de ne pas commencer à lire même un livre de piété sans prier Dieu de lui en donner l'intelligence et de la préserver de l'abus des vérités saintes, elle ne pouvait s'arrêter à des lectures simplement amusantes et vaines, qui ne font qu'affaiblir la dévotion, et finissent par l'éteindre; ni moins encore à ces viles productions où les artifices du talent d'hommes corrompus qui les composent les changent en poison pour les esprits imprudents qui les lisent elle n'ouvrit jamais un roman 1,

1 On peut appliquer à tous les ouvrages de ce genre, avec plus ou moins de spécialité, le sentiment du plus célèbre des romanciers : « Est-ce un ouvrage bien utile pour les a mœurs que la Nouvelle Héloïse? » se demande Rousseau,

parce que, chaste, elle devait toujours l'être, et que le règlement du cœur produit et prouve

res.

son auteur: «Non, répond-il; celui qui ouvrira ce livre « est déjà corrompu. » Diderot, l'incrédule Diderot luimême arrachait avec indignation son propre ouvrage des mains de sa fille, parce que la religion, et par conséquent les mœurs, n'y étaient pas respectés. A part tous les travers d'esprit et de conduite, toutes les bassesses et tous les crimes qui préparèrent au suicide J.-J. Rousseau lui-même, corrompu dès le bas âge par les romans, l'exemple suivant devrait suffire pour détourner à jamais de pareilles lectu- Les premières étincelles du divin amour tombaient peine du ciel dans le cœur de Thérèse, encore bien jeune, que déjà elle aspirait au martyre. Si Dieu le lui refusa, ce fut pour lui demander plus tard un autre sacrifice qui, pour n'être pas sanglant, ne devait pas être moins méritoire : elle s'y préparait dans la solitude et par la prière, lorsqu'à l'exemple d'une mère imprudente, quoique vertueuse, elle se prit à lire des romans. C'était d'abord par amusement et sans aucune mauvaise intention. Mais bientôt l'amour des vanités, des ajustements, des parfums, le désir de paraître bien faite, de voir et d'être vue, un soin excessif de son visage et de ses mains et d'autres attachements de cette espèce, viennent lui dérégler le cœur. A ce premier piége du démon se joignent le goût des conversations mondaines, plus dangereuses encore que les mauvaises lectures, puis la fréquentation d'une parente entêtée des folies et des vanités du siècle, et l'on ne sait quelles fumées qui s'élèvent des bouillons du sang de la jeunesse; enfin, ce qu'il pouvait y avoir de pire pour elle, la direction de confesseurs ignorants et relâchés. Dans cet état d'aveuglement, qui dura plus de dix-sept ans, Thérèse se rendit coupable de grandes et fréquentes infidélités. «Il se rencontra même, ditelle, des occasions où j'aurais pu commettre de plus gran

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celui du jugement et de l'esprit. Par la même raison, elle ne parut jamais au théâtre 1, cette

des fautes, si je n'avais toujours appréhendé d'offenser Dieu.»> Enfin il plut au Seigneur de l'éclairer, de la toucher, de la guérir par des remèdes contraires à ses maux. La lecture de la Vie des Saints, la parole divine et particulièrement l'oraison, et un directeur rempli de l'esprit saint, tels furent les moyens dont la grâce se servit pour faire d'une Thérèse mondaine une sainte Thérèse, c'est-à-dire un ange de lumière et d'amour, tout en la condamnant à pleurer pour le reste de sa vie une foule de fautes sur lesquelles on ne s'examine même pas aujourd'hui.

1 On lit dans la Vie des premiers chrétiens, dont celle de la sœur Élisabeth peut retracer l'admirable prototype, qu'ils fuyaient tous les spectacles, les considérant comme une partie des pompes du démon, et comme une grande source de corruption. « On ne doit point aimer, dit Tertullien, l'image de ce qu'on ne doit point faire.» C'en était d'ailleurs assez pour les en éloigner, que la rencontre des hommes et des femmes qui s'y trouvaient mêlés et dispo sés à se regarder avec trop de liberté et de curiosité, au mépris de ces règles divines : « N'arrêtez point vos yeux sur la beauté de personne. » (Eccli., XLII, 12.) « Détournez vos yeux d'une femme parée. » (Eccli., Ix, 8.) Voilà pourquoi l'Église, dans son ineffable sagesse, condamne le théâtre et tous ces arts que le monde a inventés pour perdre les hommes en les divertissant, et, par le récit des passions feintes, leur en inspirer de véritables. Au reste, Corneille, Racine, Gresset, La Harpe, etc., se repentant à l'heure de la mort d'avoir fait un tel usage de leur beau talent, sont d'excellents juges en cette matière, aussi bien que le monde. Est-il permis d'aller au spectacle, demandait à Bourdaloue une dame de la cour? « C'est à vous, madame, répondit-il, c'est à vous de me le dire.» Sur la même ques

séduisante école de tous les vices, ce terrible écueil de la pudeur; elle ne lut jamais non plus ni n'entendit lire les poëtes qui y prostituent leur talent: la philosophie païenne elle-même les avait toujours placés au nombre des plus dangereux corrupteurs de la morale naturelle. Dans son éducation plus solide que brillante, comme l'était celle des jeunes personnes de sa condition, les arts d'agrément n'étaient même entrés pour rien : elle les ignorait donc absolument; nous ajouterons que, sans chant comme la colombe, elle semblait n'avoir été créée que pour gémir de componction dans cette vallée de larmes, quand elle ne s'élevait pas au ciel par l'oraison et les œuvres saintes, un organe doux, éclatant et pur ne devant lui servir que comme d'un gracieux passeport aux paroles de bonté et de sagesse qui découlaient de ses lèvres. Si donc, dans les relations avec le monde, elle ne portait aucun talent à la mode, aucune de ces

tion que Louis XIV fit à Bossuet, le prélat dit : « Sire, il y a de grands exemples pour et des raisons invincibles contre. » C'était décider la question; car, évidemment l'exemple doit céder à la raison, surtout lorsqu'il n'est donné que par ceux qui ne se piquent pas d'exceller en vertus. Puis, quel plaisir que celui d'entendre des acteurs qui se damnent pour nous divertir! ne doit-ce pas être là au contraire le sujet d'une profonde tristesse et un vrai supplice, comme le disait une illustre princesse, Mme Henriette, fille de Louis XV?

frivolités brillantes dont sa vanité s'entête et dont le plus souvent sa corruption se nourrit, elle l'intéressait assez sous d'autres rapports, pour ne pas lui permettre seulement de faire attention qu'elle en était dépourvue. Eh! qui pouvait, par exemple, s'inquiéter de ce qu'elle n'eût point appris d'un maître de danse l'art de se présenter et de se tenir en compagnie, quand la nature et la bienséance qui, seules, composaient l'extérieur des femmes dont les beaux jours de Rome et d'Athènes marquaient toutes les attitudes de son corps d'une noble aisance et d'une élégante simplicité, et cela sans qu'elle y pensât et sans qu'elle le voulût? Qui pouvait regretter encore qu'il manquât un pinceau, un instrument de musique entre les mains de la jeune Élisabeth, offrant dans sa personne à tout regard le délicieux spectacle d'une souveraine harmonie, celle des mœurs avec les règles de la beauté éternelle? Eh! l'on n'avait jamais assez de temps à donner au premier sentiment qu'on éprouvait en la voyant, celui du doux saisissement qu'inspirent une vertu imposante de dignité et ravissante de grâces, une figure angélique, un regard humble et pur comme le cœur qui l'adressait si souvent au ciel, une empreinte de religion et de bonté dans toute la physiono⚫ mie, une démarche grave, des manières faciles et nobles, un salut tout à la fois ouvert et ré

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