Page images
PDF
EPUB

tion d'esprit, de piété sincère, de cette charité délicate et prudente qui, par des exemples contraires à tous les désordres publics, en repousse la solidarité devant Dieu et devant les hommes, il nous est bien doux de transporter à la jeune Élisabeth l'admiration que nous cause un tel titre de gloire; car il ne faut que changer le nom pour dire d'elle ce qui a été dit de la spirituelle et vertueuse Gorgonie, et de l'une et de l'autre, que leur vie était si édifiante qu'on y pouvait trouver de quoi former le nécessaire en vertu pour plusieurs jeunes personnes leurs contemporaines 1.

Dans cet état d'admirable proportion avec la belle simplicité évangélique, la jeune Élisabeth montrait en elle les beaux fruits d'exhortation de la sagesse aux enfants du Très-Haut : « Germes divins, répandez par vos vertus une agréable odeur, produisez des fleurs d'inno

1 Que les grands soient un modèle pour le public, tout ira bien; mais, s'ils s'écartent de la règle, ils nuisent moins, même par le mal considérable qu'ils font, que par l'exemple qu'ils généralisent et perpétuent: plus exemplo quàm peccato nocent. (CIC.) On ne peut donc mieux relever son rang que de l'approcher de plus en plus de la vraie grandeur, qui est Dieu, par le mépris de ce qu'il y a de plus petit, qui est le monde.

? Florete, flores, quasi lilium, et date odorem, et frondete in gratiam, et collaudate canticum, et benedicite Dominum in operibus suis. (Eccli., XXXIX, 19.)

cence comme des lis, portez des branches de grâces, en bénissant le Seigneur. » Aussi qu'elle paraissait gracieuse, aimable aux yeux de tous! car le monde ne laisse pas d'estimer ceux qui méprisent sincèrement ses faux biens. Elle était donc pour lui une lumière brillante au milieu des ténèbres. Quelque part donc qu'elle se montrât, toute jeune qu'elle fût, mais on ne l'est plus quand on est l'exemple et le modèle de tous, elle donnait lieu aux méchants comme aux bons d'honorer la vertu par les témoignages de respect que la vertu attirait à sa personne. Toutefois il n'en était point qui l'applaudissent autant que les mères de famille, qui trouvaient dans ses bons exemples l'appui des sages conseils qu'elles donnaient à leurs filles. Son nom seul prononcé dans leur maison était une heureuse visite de la grâce, et comme une huile de parfum1 répandue, ou plutôt comme une rosée 2 qui, venant du Seigneur, s'insinuait et pénétrait jusqu'aux cœurs, pour y susciter des désirs ou des regrets honorables. Il suffisait en effet, pour bien faire, d'observer dans sa conduite ce qu'on savait de celle de la jeune Élisabeth et de le goûter pour s'attacher à la piété, car sa vie était, selon le vœu de l'apôtre, pour tous les fidèles,

1 Oleum effusum nomen tuum. (Cant., I, 2.) 2 Tanquam ros à Domino. (Mich., III, 7.)

l'expression de tout ce qui est véritable, honnête, juste, saint; de tout ce qui rend aimable, de tout ce qui est édifiant, vertueux, louable dans le règlement des mœurs. › Quand encore elle paraissait en ville, ce qui, comme nous l'avons dit, était assez rare, à raison de son penchant pour la vie privée et de son long séjour à la campagne, les plus purs témoignages d'intérêt l'attendaient à son passage dans les rues, où nous pouvons dire qu'elle paraissait avec une grande gloire', la sagesse semblant alors couronner sa tête d'un accroissement de grâces'. Oh! voici mademoiselle Bichier, se disait-on les uns aux autres; et, après les observations accoutumées sur les avantages extérieurs dont la nature avait paré son corps, on ajoutait : « Comme elle a un air de décence et de dignité! qu'elle est affable, bonne aux petites gens et religieuse! que les enfants aussi bien élevés qu'elle donnent de joie et de gloire à leurs parents! >

La jeune Élisabeth ne pouvait point ne pas remarquer la respectueuse curiosité qu'on avait de la voir, ni ne point entendre quelques-uns des murmures flatteurs dont elle était l'objet ; d'autant plus que les bouches d'où ils partaient

1 Procedens cum magnâ gloriâ. (Judith, xv1, 27.) 2 (Sapientia) dabit capiti tuo augmenta gratiarum. (Prov., IV, 9.)

se mettaient moins en peine de modérer le ton de la voix, que de suffire aux épanchements des cœurs. A toutes ces marques d'honneur, la jeune Élisabeth répondait tantôt par de douces paroles, tantôt par un humble salut, et toujours par la modeste rougeur dont colorait soudain son visage une louange ou une attention trop marquée de la part des étrangers, ce qui ajoutait de nouveaux charmes au bonheur de la voir et de l'entendre. Au reste, la bienveillance et la vénération publiques pour elle étaient à un tel point que, quoique par la nécessité des intérêts de conscience et de famille, elle fit des absences fréquentes et extraordinaires, quant aux heures, il ne s'éleva jamais le moindre soupçon sur la pureté de ses intentions. Elle serait sortie la nuit de la ville pour aller, comme Judith, dans un camp, que, comme les habitants de Béthulie en usèrent respectueusement avec cette femme célèbre, on l'eût laissé passer aussi sans lui faire aucune demande, mais non pas sans se recommander à ses prières et sans la bénir, tant ⚫ le Seigneur faisait germer sa justice et fleurir sa louange en elle aux yeux de tout le monde 1.» Eh! c'était à qui la proclamerait elle-même la bénédiction du pays dont elle faisait l'orne

Sic Dominus Deus germinabit justitiam et laudem coram universis. (IS., LV, 11.)

1

ment et les délices, et à qui l'appellerait sainte, aucun autre mot ne pouvant mieux rendre le caractère d'une âme, puisqu'il comprend toutes les qualités qui la rendent vraiment belle. Ainsi s'accomplissait, à sa gloire, cet oracle divin: Que la femme pleine de pudeur et qui craint Dieu est une grâce qui surpasse toute grâce. Ainsi, tandis que de toutes parts dans les jours orageux de 1789, qui ne l'épargnèrent pas ellemême, on confessait la foi dans les prisons, dans l'exil et sur les échafauds, la jeune Élisabeth la confessait de son côté, avec un degré de mérite peut-être égal, par tous les détails de la vie la plus utile et la plus glorieuse, la vie exemplaire, loi parlante, ou mystérieuse magistrature qui, s'exerçant en silence, par les seules impressions de la vertu, convient en tout temps à tous les gens de bien. Aucune autre jeune personne, favorisée comme elle d'une éducation chrétienne, ne pouvait montrer dans sa conduite, avec plus d'étendue qu'elle, le prix et les fruits d'un si grand bienfait, ni en témoigner, au goût de Dieu, une reconnaissance plus éclatante, puisque la sienne était un attrait et un motif de plus pour l'accomplissement des premiers devoirs des chrétiens, ceux

1 Gratia super gratiam, mulier sancta et pudorața. (Eccli., XXVI, 19.)

« PreviousContinue »