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de se conserver pur de la corruption du siècle présent, et d'édifier l'Eglise par sa charité.

Objet chéri de la faveur générale, mademoiselle Bichier était en particulier l'objet des attentions et des prévenances de plusieurs personnes de sa condition. Elles se montraient jalouses de lui offrir des occasions de plaisir et de lui donner des fêtes. Elle accepta quelquefois celles qui lui parurent innocentes et sans éclat ; quant à celles qui peuvent être contraires à son plan

1 Religio munda et immaculata apud Deum et Patrem hæc est:..... immaculatum se custodire ab hoc seculo. (Jac., 1, 27.)

2 Jésus-Christ appelle ses disciples la lumière du monde, des enfants de lumière. Saint Paul les compare à des étoiles qui brillent avec d'autant plus d'éclat que la nuit est plus profonde : ce qui marque que, de la part des chrétiens, tout doit être non-seulement irrépréhensible, mais exemplaire; d'où vient que l'Apôtre ajoute : Que tout soit pour l'édification. Saint Bernard entre autres, expliquant ce précepte, en détermine l'étendue par l'odieuse qualité dont il flétrit ceux qui ne l'observent pas : « Celui, dit-il, qui provoque les autres au relâchement par son exemple, ou qui scandalise un des petits, bien plus, qui ne l'aide pas, qui ne l'assiste pas, qui ne l'excite pas dans ce qui regarde le salut, celui-là est un persécuteur de l'Église de Dieu, un persécuteur de Jésus-Christ. » (O mon Dieu, sur ce seul point que de coupables!) « Impedire salutem est persequi alvatorem. Qui cæteros exemplo suo ad remissiùs agendum provocat, aut scandalisat unum de minimis, imò non adjuvat, non assistit, non excitat, persequitur Ecclesiam Dei. » (S. BERN.)

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de vie, la bonne intention qu'on avait eue en l'y invitant méritait du moins des remercîments: elle les formulait avec assez d'esprit et de bonne grâce pour adoucir la peine du refus et pour en faire agréer les motifs, car elle posséda de bonne heure ce caractère de liberté chrétienne qui, en protégeant la vertu contre les faiblesses du respect humain, ajoute à sa dignité et lui assure, avec la persévérance, le haut pouvoir d'édifier toujours. Une dame vint un jour prier, supplier ses parents de lui permettre d'assister à un bal qui, disait-elle, ne devait être qu'obscurité et laideur, si elle ne venait l'éclairer et l'embellir de sa présence. Ceux-ci, n'osant pas s'expliquer trop ouverte ment, renvoyèrent la suppliante à leur ver tueuse fille, dont ils pressentaient la réponse. On fit valoir auprès d'elle, en l'invitant per⚫ sonnellement, cette considération ordinaire, que, se séparer ainsi du monde, c'est, de la part des personnes pieuses, lui rendre inutiles les bons exemples qu'il reçoit d'elle; mais la jeune Élisabeth avait déjà mis son bonheur où il faut, et, ce qui est la même chose, dans des affections et une conduite opposées à celle du monde. Consultant donc la religion sur la danse, comme elle faisait sur sa mise et sur tout l'ensemble de ses actions, elle refusa avec autant de politesse que de constance le divertissement

qui lui était offert. On voit que c'était à ses yeux une méchante politique que celle de songer å gagner le monde en lui accordant une partie de ce qu'il demande, et de prétendre, en lui refusant l'autre, satisfaire à son devoir. Toutefois, parmi les assistants au bal, on interpréta diversement le refus qu'avait fait la jeune Élisabeth : les uns s'en plaignirent, comme d'un sujet de déplaisir proportionné à l'espérance qu'ils avaient eue de l'y voir; les autres, comme d'un exemple et d'une leçon incommodes qui leur étaient donnés par elle; ceux-ci y trouvèrent une singularité, et même une offense pour qui l'avait invitée; et ceux-là, ils étaient les plus sagés, la juste conséquence d'un principe qui ne lui permettait pas de prendre part ni de donner crédit, par son exemple, à un genre de plaisir que la philosophie païenne a bien pu juger contraire à la gravité des mœurs et l'alliée de plus d'un vice1; mais que l'Église, dit M. de Chateaubriant, bannit d'une vie chrétienne, parce qu'elle sait combien de passions se cachent sous ce plaisir, en apparence innocent. Le ciel applaudit à ce dernier jugement, et la conscience de cette haute approbation suffit à la

1 Saltatorem appellat L. Murænam Cato. Quarè cum istâ sis auctoritate, Marce Cato, debes... conspuere quibus prætereà vitiis affectum esse necesse sit eum, cui verè istud objici possit.» (Cic., pro Murœnâ.)

jeune Élisabeth, que sa foi venait de rendre victorieuse du monde, en la défendant de toute conformité avec lui, dans une occasion aussi éclatante. Telles étaient les douces et glorieuses habitudes de mademoiselle Bichier, à la fleur de l'âge; et certes, on n'a pu mieux l'en louer qu'en ajoutant qu'elle était toujours la même, comme elle le fut toujours aussi, sans qu'on remarquât le moindre désaccord dans le beau concert de sa vie, sinon qu'elle devait changer et qu'elle changeait pour devenir meilleure. En effet, on pouvait prévoir la marche ascensionnelle de cette jeune vertu, triomphant du vif attrait de son âge pour les plaisirs par une constante fidélité aux mouvements de la grâce. ‹ Si un seul pas fait vers Dieu, dit quelque part sainte Thérèse, mérite que Dieu en fasse dix mille vers l'âme qui le prévient, parce qu'il l'attire à lui 1, » de combien de lumières, de consolations et de faveurs n'était pas actuellement récompensée la générosité de la jeune Élisabeth dans les grandes occasions de lui plaire! Mais, en devenant plus pure et plus éclairée, en proportion de sa fidélité, elle n'en sentait que davantage l'absence et le besoin d'un grand bien : nous voulons parler de cet homme entre dix mille, que sa docilité au

Appropinquate Deo, et appropinquabit vobis. (JAC.,

IV, 8.)

Saint-Esprit rend capable d'en reconnaître et d'en surveiller l'opération dans les autres. Une prière qu'elle fit, à l'âge de vingt-deux ans peutêtre, révèle assez l'unique tendance de son cœur vers Dieu, qui est l'unité même. Vivement affectée de ces vérités, que l'abondance de la justice doit répondre à celle de la grâce; qu'il y a une voie qui, toute droite qu'elle paraisse, mène insensiblement à la mort, tandis que l'aveuglement du guide et du voyageur leur en déguise le péril et le terme affreux, elle demande à Dieu Je meilleur guide possible, dont le choix seul devait être le plus heureux préjugé dans l'affaire de son salut: c'était demander, comme Salomon, le don de la sagesse. Dieu, qui l'a promis à la vraie foi qui prie, le lui faisait désirer par son esprit, et les saintes ardeurs de sa prière étaient le gage et les heureuses prémices de la grâce qu'elle devait obtenir. Dieu écouta sa servante, et ne lui montra pourtant qu'après deux ans d'instance ce meilleur guide possible, dans la personne de M. Fournet, curé de Maillé. Ce bon prêtre revenait à peine du long exil que lui avait mérité son amour pour l'Église ou pour JésusChrist, qui l'a tant aimée en se livrant pour elle. Comme un vainqueur, il apparaissait couvert de gloire et couronné de grâces et de bénédictions, dont la première était un surcroît de zèle, qui allait devenir la richesse et l'édification de son

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