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troupeau. Tantôt pour se soustraire aux nouvelles violences des ennemis de la vérité, il se tenait caché, se bornant à la méditer et à l'adorer, avec quelques àmes fidèles, dans la retraite et la prière; tantôt il se montrait sur plusieurs points de la contrée; partout çà et là avec de puissantes paroles, le plus utile et le plus rare des exemples, celui de la pénitence: c'était ainsi qu'il se fortifiait dans les maux que lui attirait la vérité, par son zèle même à la faire connaître, et par l'amour qu'il ressentait et qu'il inspirait pour elle, donnant lieu d'admirer également et l'humble sagesse de celui qui consentait à céder quelquefois, et la sage fermeté de celui qui savait au besoin résister en face aux méchants. Aussi brillait-il dans le pays comme un astre éclatant; tous les prêtres et les fidèles le révéraient comme un juste, un saint, les uns par amour, les autres par crainte; et cependant, quoique sévère et terrible, à l'exemple de quelques-uns des apôtres, il ne laissait pas que d'être, ainsi qu'eux, agréé et désiré de tous, parce que, délicat par la conscience, il était excellent par le cœur.

La jeune Élisabeth découvre le principal des refuges de l'homme de Dieu, dans un village de la paroisse de Maillé, les Grands-Marsillys, où il avait établi son maître-autel assez conforme à la tristesse des temps. Elle va l'y trouver, excitée

par la réputation de sa haute vertu, comme sainte Claire, attirée par celle de saint François, avait été le chercher dans l'église de la Portioncule, pour lui communiquer son désir de mener une vie plus parfaite. M. Fournet était alors occupé à entendre les confessions de gens dont la simplicité et la ferveur le consolaient abondamment des peines de sa position et de son ministère nous voulons parler de pauvres habitants de la campagne, quoique véritablement riches, puisqu'ils avaient dans le cœur Jésus-Christ, Ie trésor des fidèles. M. Fournet ressentait pour eux une grande prédilection. Ce n'est pas qu'il refusât ses services aux riches: plus même leur vie, jugée sur l'Évangile, lui paraissait digne de pitié et d'anathème pour tout ce qu'elle renferme de vraie misère et d'aveuglement, plus il sentait le besoin de les secourir et de les éclairer; mais comme, d'un côté, l'indépendance de sa foi ne lui permettait pas d'accorder les préceptes de l'Évangile avec leurs passions, et que, de l'autre, il craignait de les rendre plus coupables par l'inutilité de ses avis, il redoutait; sans la fuir, la nécessité de les diriger. Cependant un certain nombre d'entre eux ne laissaient pas de vivre, sous sa conduite, avec beaucoup d'édification. Il y avait peut-être à peine quinze jours qu'une jeune demoiselle, Françoise Jatet, d'Angles, digne fille d'une bien vertueuse mère,

avait généreusement déposé, comme à ses pieds, une coiffure d'une mode nouvelle1, pour ne pas blesser sa délicatesse sur tout ce qui regardait la mondanité; acte de simplicité, au-dessus duquel il ne pouvait y avoir que l'élévation d'esprit qui produisait un si bel exemple!

Toutefois, voilà qu'une autre demoiselle, la jeune Élisabeth, apparaît dans le rustique oratoire. Dès son entrée, elle se prosterne et prie presque inaperçue; car elle s'était humblement placée derrière un groupe de pénitents disposés à se confesser. Le désir d'être entendue de M. Fournet assez tôt pour avoir le temps de retourner chez elle, dans la journée, l'ayant inspirée de se porter en avant, ce mouvement de sa part causa une distraction générale et irréfléchie. Il était en effet difficile de ne pas l'éprouver, en présence de l'intéressante étrangère, dont un voile pouvait bien tempérer l'éclat de la beauté, mais non cacher les autres avantages extérieurs que la nature lui avait départis. Ce

1 Si l'Église gémit sur l'effrayante et journalière succession des modes, c'est que, contraires à la grâce, en ce qu'elles flattent le plus souvent la vanité, elles le sont encore à la société, comme premier ouvrage et premier instrument du luxe. Or, le luxe n'est autre chose, du moins en général, qu'une profession et une leçon publiques d'estime pour de faux biens, et par conséquent la marque d'un grossier dérèglement de l'esprit et du cœur.

pendant ce petit désordre, plus pénible à celle qui l'avait involontairement occasionné qu'à tout autre, fut bientôt réparé par elle-même. Sa tenue, éminemment modeste et religieuse, ne pouvait que rappeler les esprits distraits à la présence de Dieu, et leur montrer comment on doit l'honorer dans le lieu saint; car, les yeux tantôt baissés vers la terre, tantôt fixés sur le sacré tabernacle, elle adorait, gémissait, priait, paraissant occupé de quelque grand objet, et c'était du motif de son voyage, ou du désir de connaître et de servir JésusChrist d'une manière plus pure qu'elle ne l'avait servi jusqu'alors. Du réduit secret où il recevait les confessions, M. Fournet put faire les mêmes remarques; mais il en fit une autre qui dut bien l'étonner. La sœur Élisabeth l'avait prié de l'entendre, et il lui avait répondu sur le même ton que Jésus-Christ à la Cananéenne « Est-ce que je vais laisser pour vous ces mères de famille et ces pauvres paysans, venus de plusieurs lieues pour se réconcilier avec Dieu ?» et la jeune Élisabeth de ne pas se rebuter, et d'attendre pendant cinq heures qu'elle pût passer, à genoux et en prière, le moment de parler à celui qu'elle était venue chercher de si loin. Trop heureuse encore se crut-elle d'obtenir enfin de sa charité, par une disposition de la Providence, le bienfait d'une direction que souvent M. Fournet craignit

d'accorder à d'autres personnes de même condition qu'elle! Quand l'heure désirée fut venue, que vit la jeune Élisabeth, sur une assez mauvaise chaise qui servait de tribunal à son juge? < Ce personnage divin1, autour duquel règnent la vertu et le mystère, et qui est lui-même un grand mystère et la grande vertu de Dieu en faveur des hommes, ou, si l'on veut, un de ces prêtres parfaits, tant ils sont riches en foi, en espé rance, en amour! un prêtre véritablement pauvre d'esprit et dans la douleur, comme son divin maître. Il tenait dans ses mains un cruci fix sur lequel il était courbé, avec de vifs sentiments de respect et de componction. Qu'entendait-elle tout d'abord? Des paroles sérieuses et graves comme le caractère, la piété, la situation d'un prêtre persécuté, qui montre du doigt dans l'Évangile, avec la loi et les promesses de Dieu, et la cause et la consolante issue de ses religieuses douleurs. En effet, dans la communication qu'elle eut avec lui, il l'entretint des sujets familiers de ses pensées et de ses discours, ou des grands préceptes de l'Évangile qui pouvaient diriger les esprits et soutenir les courages à cette époque de tentation, conme, entre autres, celuici, que Jésus-Christ adresse à tout le monde :

1 Génie du Christianisme.

2 Ego sum pauper et dolens. (Ps. LXVIII, 34.)

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