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Rappelée dans sa famille, la jeune Élisabeth ne pouvait quitter sans peine la maison où elle avait commencé à goûter combien le Seigneur est doux. La reconnaissance pour les soins qu'on avait pris d'elle, la sincérité de ses attachements dans les liaisons si pures qu'elle avait formées, les regrets que témoignait la communauté tout entière, étaient autant de sources d'émotions douloureuses pour cette âme si naïve et si tendre. Ce ne fut donc qu'avec effort sur elle-même qu'elle s'éloigna d'un lieu si cher à son cœur. Elle part, mais couverte de bénédictions et de larmes, et personne n'en répandit plus sur elle que la vénérable supérieure, madame de Bardin, à qui beaucoup de vertus et d'esprit avait mérité le glorieux soin de son éducation. De la même ville qu'elle, et comme elle de la même maison, tant les honorables familles de l'une et de l'autre étaient unies, ces rapports de bon commerce avaient préparé dans son cœur, pour la jeune Élisabeth, un fond de bienveillance qui n'avait fait que s'accroître par les progrès des belles qualités de son aimable élève.

C'est une époque critique, pour la jeunesse confiante et inexpérimentée des établissements d'éducation, que celle de la rentrée dans le monde, où, faute de bien juger, tout étonne, enchante, attire, pour tout flétrir, pour tout cor

rompre. La jeune Élisabeth eut besoin de son esprit naturellement chrétien pour ne s'en pas laisser éblouir; mais un secours extérieur, nécessaire à raison de son âge et des charmes de sa personne, ne lui manqua pas. Combien de jeunes personnes qui, élevées dans des pensionnats chrétiens, retrouvent, les unes dans les mœurs domestiques la sanction pénale de l'abus qu'elles ont fait et doivent encore faire de la grâce? Combien d'autres, plus fidèles d'abord, mais devenues moins ferventes, sont punies de leur relâchement par la ruine des bonnes habistudes acquises et des plus saintes inclinations! La jeune Élisabeth trouva dans sa maison la sauvegarde des siennes. Si ses parents l'avaient confiée à une institution religieuse, c'était pour qu'elle en sortit bien instruite dans la foi et Solidement chrétienne. Certes, ils eussent été profondément affligés de ne reconnaître en elle, avec de petites manières et de petits goûts de vanité et de luxe, que de ces simples dehors de piété, qui doivent bientôt couvrir si mal les remords de la conscience, ou du moins la coupable inutilité d'une vie stérile en vraies vertus et en beaux exemples. Mais leur vœu sur ce point était accompli. Il ne leur restait plus qu'à protéger et à étendre les beaux effets de l'excellente éducation de leur fille. Éloignés donc de la folle et criminelle pensée de les vérifier

par la dangereuse épreuve du monde, ils songèrent, au contraire, à la préserver de sa malfaisance; et c'était leur propre avantage de favoriser l'attrait particulier de la jeune Élisabeth pour les choses divines, puisqu'en la rendant par là meilleure et plus aimable encore, ils n'en devenaient eux-mêmes que plus heureux avec elle. A cet égard, le cœur aida beaucoup à la conscience. Ils aimaient tendrement leur fille, selon qu'elle était si digne d'être aimée. Son père en particulier en était fou; nous ne connaissons point d'autre terme pour peindre le bonheur d'être père d'une telle fille. Comme elle sut bien reconnaître l'amour de l'un et de l'autre en le payant de toutes les consolations de la piété filiale! Et voici quelles furent, en attendant des signes plus tranchants de perfectionnement et de prédestination, les humbles voies de préparation qui devaient l'y conduire.

Pénétrés des obligations sacrées des chefs de famille, et disposés à complaire en tout à leur vertueuse fille, M. et Mc Bichier lui permettent de vivre à son gré. Dès lors, selon qu'il lui plaît, elle prie, elle assiste au saint sacrifice, elle fréquente les sacrements, et lit pour s'instruire. Elle aime quelquefois à tenir la chambre; rien n'y vient troubler ses intéressants et religieux exercices, si ce n'est que, par intervalles,

quelqu'un d'eux est interrompu ou retardé par des occasions d'honorer Dieu en d'autres manières. Rien non plus, de la part de ceux qui l'approchent, ne se dit ni se fait autour d'elle qui puisse blesser sa grande délicatesse de conscience. Ils sont d'ailleurs suffisamment avertis, par son air pudique, d'être honnêtes et réservés avec elle. Ainsi tout, dans les habitudes intérieures de la maison paternelle, favorise ses nobles et pures inclinations. La vigilance des parents vient seconder, en outre, dans la fille, l'esprit de la divine naissance, et la garder inviolable contre tout piége du malin esprit 1. D'un autre côté, ses pieuses institutrices, inquiètes sur tout ce qu'elle pourrait avoir un jour d'épreuves à subir à cause des agréments de sa personne, lui avaient profondément inculqué cette vérité si importante et connue même du paganisme: que le monde est un très-grand maître en erreurs et en corruption 2; que l'amour du monde est un état d'hostilité contre Dieu; que ne pas croire ni craindre le monde, tel qu'il est ou tel que nous le font connaître Jésus-Christ et ses apôtres, c'est renoncer à sa foi et se dévouer au démon'. Prévenue contre les maximes, les cou

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1 Generatio Dei conservat eum et malignus non tangit eun. (I Ép. JOAN., v, 18.)

2 Quasi maximus quidam magister. (Cic., Tuscul., III, 1.) 3 C'est une vérité de foi, comme celle de l'existence de

tumes, les plaisirs du monde, la jeune Élisabeth, dont l'esprit était si droit, put donc comprendre et mesurer, par les effets que produiraient sur les autres ses habitudes trop étendues dans la société, ceux qu'elles pourraient avoir sur son propre cœur. Il n'y a rien de si

Dieu, que le démon est le prince, le père, le recteur, le dieu du monde, comme l'appelle la sainte Écriture; que sur le monde trompé et corrompu par lui, il souffle incessamment son orgueil, sa malice, toutes les tentations, tous les péchés, tous les vices, tous les crimes, toute impiété, tout sacrilége, et que c'est dès lors du monde et par le monde qu'il compose le corps des méchants, ou des ennemis de Dieu et de son Christ. D'où il suit que le démon habite aussi réellement, par le péché et l'incrédulité, dans tous ceux qui vivent de l'esprit du monde, les faisant parler et agir; qu'il est vrai que Jésus-Christ habite, parle, agit lui-même dans ceux qui vivent de son esprit et selon ses maximes; d'où il suit encore que les premiers, quelque grands, riches et beaux qu'ils paraissent aux yeux de la chair, sont quelque chose de bien vil et de bien misérable aux yeux de la foi, puisqu'ils appartiennent au démon, la plus vile, la plus pauvre et la plus misérable des créatures, dont ils reçoivent les impressions, accomplissent les désirs, et font la volonté en croyant faire leur volonté propre, tandis, au contraire, que ceux qui appartiennent à JésusChrist sont quelque chose de si grand, n'importe leur bassesse extérieure, que pour le comprendre, il faudrait connaître la gloire de Dieu même, devenue la leur. (JOAN., XVII, 22.) Vous ne sauriez donc, si la vue vous en était permise, supporter un seul instant, dès ici-bas, l'éblouissante beauté d'un juste, non plus que l'horrible difformité d'un méchant.

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