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un mouvement que la parole ne peut exprimer. Et néanmoins, combien n'en faisait-elle pas de jour et de nuit, quelquefois à travers des bois effrayants, cheminant tantôt à pied, tantôt assise, comme sainte Paule sur une ânesse, monture, que par un sentiment d'une religieuse conformité avec le Sauveur, elle préférait à toute autre. Quelquefois encore, à l'exemple de la tendre et généreuse Madeleine, allant au sépulcre dans les ténèbres, elle arrivait de si bonne heure aux Marsillys, qu'elle en réveillait les habitants pour commencer la prière, ou qu'à leur lever ils la trouvaient occupée à prier. Il est vrai qu'alors elle était venue passer la nuit dans un village voisin, où sa seule présence reconnaissait si richement par d'heureuses impressions de piété, les soins hospitaliers qu'elle y recevait. Mais qui pourrait dire les délices de ces pieux pèlerinages, dont la lecture de quelques bons livres et surtout du combat spirituel, de fréquentes élévations de cœur à Dieu, des prières faites à part ou avec ses conducteurs, faisaient le charme et préparaient la bénédiction! Et cependant, quand elle était arrivée, que, sans égard au besoin de prendre de la nourriture ou du repos, elle avait beaucoup prié, quelquefois tremblante de froid, les habits et les pieds mouillés, que de retardements pour aborder le directeur de sa conscience! Mais une fois admise au sacré tribunal, alors commençaient ces confes

sions détaillées et douloureuses, que ne comprend ni ne pardonne guères à de certaines âmes plus pures que lui, celui qui vit sans régler son cœur et indépendamment du Saint-Esprit. Puis, quand elles étaient terminées, quel retour attentif sur les avis reçus! que de nouveaux gémissements sur des fautes échappées à sa faiblesse, sur quelques ingratitudes regrettées, que Dieu avait déjà oubliées! quelle ferme résolution de ne plus lui déplaire! que de prières, en quelque sorte, sans bornes comme l'amour qui les inspirait! enfin, quelles longues veilles et quel court sommeil, qu'interrompaient encore de fervents soupirs! et dès qu'elle était sortie du lit, ou plutôt du grabat sur lequel elle s'était étendue tout habillée, quelle promptitude à se rendre au pied des autels, où ses assiduités, imitées de plusieurs autres âmes saintes, retraçaient, pour ainsi dire, celles des anges devant le trône de Dieu! Combien de fois, trouvant l'église fermée, ne s'en consolait-elle pas, comme saint François Régis, en priant, à genoux, devant la porte! ce que, comme elle, devait faire plus tard et au même lieu la pieuse madame Proteau, dont plusieurs seront si contents de lire ici le nom.

Oh! c'était un beau spectacle aux yeux de la foi, quand l'exercice du culte public fut devenu libre, que celui de la paroisse de Maillé, ainsi que de celle d'Angles, sa voisine, sa sœur et sa con

currente en grâce et en piété. M. Fournet, aidé d'un pieux et zélé vicaire, qui le représentait dignement dans la sienne propre quand il en était absent, dirigeait en quelque sorte cette dernière en dirigeant son pasteur, et, avec lui, un certain nombre d'âmes choisies et propres à donner mouvement au reste du troupeau. Images de la primitive église, elles montraient l'une et l'autre avec orgueil à tout le pays des prêtres pleins de foi et du Saint-Esprit, dont le zèle actif et rival, mais exempt d'inquiétude et d'envic, comme celui de Moïse 1, opérait sans relâche, non pour leur propre gloire, mais pour celle de leur maître commun, à pure perte de celle des serviteurs. Il est vrai que ces généreux athlètes de la foi ne faisaient que de sortir du creuset de la persécution, et comme du milieu des flammes, où la charité les avait précipités pour l'honneur de la religion et du salut pour le prochain. Il est encore vrai que la pénitence les rendait chaque jour plus éclatants et plus purs; que, continuellement appliqués à la prière et à l'oeuvre de Dieu, ils n'avaient de rapports avec le monde que pour le consoler dans ses peines et pour le guérir de ses passions; qu'ils annonçaient, avec la double puissance de l'exemple et de la parole, les deux

1 Quis tribuat ut omnis populus prophetet, et det eis Dominus spiritum suum? (Num., 11, 29.)

conditions essentielles au salut, celles de croire en Jésus-Christ et d'imiter sa vie ; enfin que la gloire de la sainteté du Seigneur brillait autour d'eux du plus vif éclat, principalement aux jours consacrés à son culte. Affranchis des profanations des chrétiens charnels, que de tels jours étaient des jours glorieux au Seigneur! En effet, on n'avait point à y déplorer l'absurde et impie contraste des festins, des orgies, des danses, des jeux, des divertissements, avec la sublimité de nos mystères et la pureté du culte qui les honore. C'eût été même un scandale d'être à table seul ou en famille, de rester chez soi désoccupé ou dans une molle nonchalance, d'aller en voyage ou en promenade, de faire ou de recevoir des visites, pendant que les frères réunis chantaient les louanges du Seigneur et lui demandaient sa grâce. Tout au contraire, on invitait ses amis de loin à venir prier avec soi, partager ensemble les exercices et les consolations de la foi commune, à l'exclusion des fades et misérables plaisirs qu'offre aux siens un monde indigne d'en connaître d'autres. Tous les soins inutiles et superflus qui se rapportent au corps étaient donc exclus; toutes les ouvertures par lesquelles le démon prive ou dépouille les âmes des fruits de la parole divine, soigneusement fermées; les chastes joies de l'esprit, uniquement recherchées ; et comme elles devaient se trouver

au pied des autels, c'était de ce côté-là que se tournaient toutes les pensées, tous les mouvements. Il était connu de tous que le jour du dimanche dit un jour de lumière et de sanctification, et que c'est le profaner que de ne pas l'employer à cette fin. Aussi, dès la veille, on pensait au bonheur du lendemain : un grand nombre devait se le rendre complet en se purifiant davantage. Dès l'aurore et jusqu'au soir, des populations toujours nourries et toujours insatiables des vérités du salut et des sacrements remplissaient les églises. Tout y était au reste si propre à exciter l'intérêt! Le recueillement profond de toute l'assistance, le chant des cantiques 1, les prédications excellentes des prêtres,

4 Les cantiques, chantés avec religion, produisent de merveilleux effets. Ils nourrissent dans les esprits le goût et le souvenir des mystères et des belles maximes de la foi. Ils excitent à la vertu, par le plaisir naturel de bien retracer dans le chant les douceurs présentes et le glorieux avenir. Ils sont le pieux assaisonnement et le charme des travaux manuels, du repos, de la solitude et des voyages. Ils excluent les mauvaises chansons, et plusieurs de l'infiniment petit nombre de celles qui paraissent indifférentes, mais dont une piété éclairée s'abstiendra toujours. Enfin ils répondent à ce vœu de l'Apôtre : « Instruisez-vous et exhortez-vous les uns les autres par des psaumes, des hymnes et des canti. tiques spirituels, chantant de cœur, avec édification, les louanges du Seigneur.» (Coloss., III, 16.) Ce qui est l'effet de la sainte ivresse des enfants de Dieu, un regorgement de la plénitude du Saint-Esprit en eux, et la consolation de leur exil.

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