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et en particulier de M. Fournet, qui, tantôt anéanti sur le pavé comme le dernier des pécheurs, tantôt parlant en chaire avec la verve d'un prophète, tantôt ranimant de sa voix rauque et presque éteinte un cœur qui s'affaiblissait lui-même, se montrait à l'autel avec l'humble dignité d'un saint pontife et l'amour embrasé d'un ange. Enfin on était témoin de l'action la plus grande faite avec toute l'édification possible, nous voulons parler de la communion du peuple. En effet, aux premiers mots du cantique qui l'annonce, le silence, dans les deux églises, devient celui du tombeau et tous les esprits sont dans l'attente de ce qui doit arriver. Les uns ont déjà les regards fixés sur le lieu de la scène, pour en contempler tous les mouvements; mais ceux que leur piété doit y conduire, tombent dans un recueillement plus profond encore. Confus de leur indignité, ils redoutent la gloire du Seigneur et n'osent s'approcher de lui; ils ont regardé, comme faite pour eux-mêmes, cette réponse que reçut de lui la Cananéenne: « Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants pour le donner aux chiens 1. Cependant le prêtre vient de sortir du tabernacle cet admirable pain de vie, descendu du ciel 2. A son tour, il attend

1 Non est enim sumere panem filiorum, et mittere canibus. (MARC., VII, 27.)

2 Ego sum panis vivus, qui de cœlo descendi. (JOAN., VI, 31.)

que les conviés se rendent au festin des noces; mais, le désir l'emportant peu à peu sur la crain1e, on remarque bientôt une de ces impressions intérieures du Saint-Esprit qui conduisit Siméon dans le temple à la rencontre de Jésus-Christ. Tout à coup une centaine de fidèles, n'en faisant `qu'un par l'union des cœurs, se relèvent de terre et s'avancent vers la table sainte, les mains jointes, la tête baissée, et n'ayant plus d'yeux que pour celui dont la foi leur découvre la splendeur au milieu du rayonnant cortége d'une multitude d'anges. Oh! non, la foi ne s'arrêta jamais sur un spectacle plus ravissant. Nous-mêmes, tout indignes que nous sommes d'en sentir les douceurs et d'en apprécier la magnificence, nous ne sommes pas maîtres de nos émotions, quand nous en parlons aux autres, et en admirant l'incompréhensible bonté d'un Dieu qui daigne se donner personnellement à sa créature faible et affligée, nous ne pouvons point n'être pas également touchés de la félicité glorieuse de tant de pauvres gens, qui, presque inaperçus partout ailleurs que dans l'église, revenaient de l'autel avec honneur, comme des enfants destinés à un royaume 1, l'âme parée de l'éclat et de la majesté de la gloire éternelle, et le corps de boue changé en un palais céleste, où le divin esprit

1 Portatos in honore, sicut filios regni. (Bar., v, 6.)

devait étaler la richesse de ses dons et les fruits de son amour! Sans doute que, dans de telles fêtes, quelques causes légitimes, mais toujours douloureuses à la piété, ajournaient pour un certain nombre de fidèles le bonheur de recevoir Jésus-Christ; mais ils avaient la consolation de se trouver avec lui, et l'on sait que des amis réunis ne laissent pas d'être contents de se trouver ensemble, quoiqu'ils ne s'épanchent pas toujours l'un dans l'autre. Quant à ceux qui avaient à se reprocher la dureté de leurs cœurs, au milieu de tant d'exemples propres à les amollir, ils pouvaient espérer eux-mêmes une disposition contraire, par la médiation de leurs bienheureux frères jointe à celle du commun pasteur; que disons-nous? elle était destinée tôt ou tard à plusieurs qui paraissaient le moins la désirer 1, avec quelle douce confiance n'eussiez-vous donc pas prié vous-même, dans l'une ou l'autre de ces deux asemblées, les plus augustes du monde, parce qu'elles étaient l'une et l'autre des plus saintes, celles de serviteurs, d'amis 2, d'enfants, d'héritiers de Dieu, de cohéritiers de Jésus-Christ'. Ce n'était pourtant, à quelques exceptions près,

1 Voir une note, à la fin du Livre, sur la conversion de l'un d'eux.

2 Vos amici mei estis. (JOAN., XIV.)

3 Si autem filii, et hæredes: hæredes quidem Dei, cohæredes autem Christi. (Rom., VIII, 17.)

qu'une nombreuse agglomération d'hommes grossiers par nature, mais délicats par grâce, sans autre fortune que celle d'avoir l'Église pour mère, sans autre instruction que ce qu'ils avaient appris de ses ministres, sans autre livre que le cœur de son divin époux; mais, instruits par l'onction du Saint-Esprit, ils n'avaient plus besoin de rien entendre, puisque, sachant aimer Dieu, ils savaient toutes les vérités en une seule : aussi les esprits étaient tellement captivés par les plaisirs de la grâce, que dans l'intervalle de la grand'messe et des vêpres, rempli par un catéchisme, à peine donnait-on le temps à un frugal repas, qui, pour la plupart, se bornait à chasser la faim avec un morceau de pain détrempé d'eau. Quand les offices étaient terminés, la prière ne l'était pas encore pour tant de fervents fidèles; car chacun d'eux, emportant dans son cœur, comme un trésor, les pieuses sensations de la journée, devait les prolonger par la reconnaissance et le récit, et se faire de tous les jours de la semaine, comme autant de jours de fêtes, par le doux soin d'honorer et de bénir le Seigneur, en tout et toujours. Ce n'était donc que sur le soir qu'ils se réunissaient dans leurs pauvres maisons, pour prendre, avec simplicité et joie; une nourriture plus pauvre encore; eux destinés à montrer au monde, sous des habits de bure et le sabot aux

pieds, que Dieu n'estime dans les hommes que la pureté du cœur; eux si dignes des palais et de la magnificence de Salomon, si tous les trônes et tous les délices du monde peuvent être comparés à un seul soupir vers le ciel. Mais1, quand l'âme vous possède, ô mon Dieu, son désir est plein, puisque l'attrait pour tout autre chose prouve qu'elle ne vous possède pas. Ainsi, tandis que le mépris du dimanche, en délivrant l'homme de tout frein, le replonge dans l'état de nature et donne à la société, au lieu d'un chrétien, une espèce de sauvage 2, le bon pasteur, par le bon emploi d'un si saint jour, avait fait d'une foule de paysans qui, sans ce secours, ne devaient être que pervers, un peuple religieux, excellent, admirable. Et certes vous auriez été préparé à le croire tel, si vous aviez entendu tant de pauvres gens, chargés du double poids du travail et de la misère, chanter avec l'assurance de la conviction et les transports du bonheur, ce dernier vers d'une strophe d'un cantique: Heureux les misérables.

1 Tous les corps, le firmament, les étoiles, la terre et les royaumes ne valent pas le moindre des esprits; car il connaît tout cela et soi-même, et le corps rien; et tous les corps et tous les esprits ensemble ne valent pas le moindre mouvement de charité; car il est d'un ordre infiniment plus élevé. (PASCAL.)

2 CHATEAUBRIANT.

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