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habituées de sa maison; ce que celles-ci regrettent sans se plaindre, comprenant que plus on est à Dieu, moins on doit être aux créatures. Mais si elle rompt peu à peu avec le monde, qui ne respire que les richesses, les honneurs et les plaisirs, elle se donne à cet autre monde qui est dans l'oubli, dans l'affliction, dans l'indigence, au monde des infortunés selon la chair; c'est celui-ci qu'elle va chercher, visiter, secourir, servir, enfin à qui elle va faire sa cour; elle se montre au milieu des pauvres malades, elle les assiste, elle retourne même leurs lits, elle les exhorte et les console, leur donnant tous les soins permis et familiers à sa charité. Nouvelle Anastasie, elle pénètre même jusque dans les prisons pour y offrir des hommages et des secours aux confesseurs de la foi; elle se présente à la porte des séminaires pour assurer, selon sa fortune, la perpétuité du ministère ecclésiastique; enfin elle couvre les autels d'ornements travaillés de ses mains et d'autres dons très-agréables à Dieu, parce qu'ils étaient accompagnés de celui qu'elle lui faisait continuellement de son cœur. On ne pouvait donc mieux répondre à la charité de celui qui s'est fait pauvre pour nous enrichir, que de s'appauvrir ainsi soi-même pour ses frères et pour son Église; aussi se plaît-il à récompenser magnifiquement toutes les aumônes qu'il inspire à sa servante,

par un nouveau goût pour la vie simple et modeste, par un plus grand éloignement des commodités et des plaisirs des sens; enfin par un degré d'estime pour la divine parole qui n'a d'égal que celui de sa fidélité à s'en nourrir dans le silence, et le soin de la conserver dans son cœur. Alors, nourrie de ce pain d'intelligence et de vie, elle répand, par de bons discours appuyés de bons exemples, la grâce qui la remplit. Toutes ses conversations sont pieuses ou tendent à le devenir; à travers les riens qu'elle est obligée quelquefois de dire ou d'entendre, elle insinue des pensées chrétiennes, des avis de salut aux âmes qui le négligent absolument ; elle excite à la ferveur d'autres qui ne l'estiment pas assez'; elle conseille à toutes la pénitence, le mépris du monde, le respectueux et fréquent usage des choses saintes, employant à faire honorer Dieu les dons qu'elle n'a pas moins reçus pour les autres que pour elle-même. Oui, il nous semble, en parlant de cette pieuse fille, respirer encore la bonne odeur de Jésus-Christ que portaient partout la bénédiction de ses paroles, le doux éclat de ses vertus, la réputation de ses bonnes œuvres; ou plutôt il nous semble l'entendre louer de la bouche de Jésus-Christ lui-même, dans la personne de cette bienheureuse femme qui, pour n'avoir fait que parfumer ses pieds et les essuyer de ses che

veux, a mérité l'inscription de son œuvre et de son nom dans l'Évangile de gloire du Dieu sou

verainement heureux 1.

Ce n'est pourtant là que le reflet affaibli de l'intérieur de la jeune Élisabeth. Elle est si touchée de Dieu qu'elle ne voit rien de grand, d'élevé, de doux, d'agréable que Dieu et ce qui est de Dieu; et tout ce qui n'est pas Dieu est pour elle comme s'il n'était pas. Jusqu'alors sa piété avait conservé un bel ordre dans ses mœurs, tout en lui permettant, au milieu de ses pratiques religieuses, quelque application aux choses honnêtes du siècle. Aujourd'hui, elle la fait indifférente à ce qui est comme à ce qui n'est pas, pour la tenir attentivement unie à Dieu, avec qui elle s'applique à n'être qu'un seul esprit. C'est donc lui seul qu'elle considère dans tout ce qu'elle semble regarder et entendre: elle n'a que lui seul en vue, dans les soins et les devoirs qui partagent sa vie. Se trouvant chargée, comme une autre sainte Marthe, des intérêts temporels de sa maison, elle les gouverne avec cette sainte intelligence qui s'occupe bien moins de réussir que d'obéir aux ordres de Dieu, quoique toujours en gémissant d'avoir à s'inquiéter de faux biens qui ne valent pas le temps et la peine qu'ils coûtent, à moins qu'on en use de manière à mé

4 Evangelium gloriæ beati Dei. (I Thimot., I, 11.)

riter les véritables. C'est donc aussi pour elle que saint Augustin avait dit à Dieu : « Qui vous connaît vous aime, s'oublie, vous aime plus que soi-même, se délaisse, vient à vous pour se réjouir de vous. En effet, ses joies et ses tristesses sont déterminées, non plus par ce qu'elle voit, mais par ce qu'elle croit. Elle ne se connaît plus, ni personne selon la chair, elle n'aime plus que selon la foi et pour le monde à venir, son amour pour Dieu, comme une ceinture spirituelle, tenant lié dans son cœur tout sentiment terrestre et humain. Ses propres parents même ne sont plus à ses yeux que des êtres rachetés et adoptés de Dieu comme elle et qu'elle aime au travers de Jésus-Christ, devenu toutes choses en eux comme en elles et dans tout le reste. Mais combien elle est unic de cœur à ceux qui le servent, en même temps qu'elle s'applique à croître dans sa connaissance et son amour par la fidélité à son esprit, ce don par excellence de Jésus-Christ glorieux et le grand trésor du cœur chrétien. Aussi veille-t-elle sévèrement sur tous les mouvements de son cœur pour y corriger ce qui l'attriste, pour y fixer les sentiments et les vertus qui lui plaisent, pour entrer dans ce culte en esprit et en vérité, d'où tout ce qui ne se rapporte pas à Dieu est banni comme un intérêt propre, comme une infidélité. En un mot, jalouse d'accroître ses dons en elle, par des dis

positions intérieures qui l'en rendent plus digne, elle l'invoque, elle le consulte en tout avant d'agir; elle court, vole, se réjouit en lui obéissant, et ses regrets, quand elle fait quelque faute, servent à l'attirer plus abondamment en elle, par l'humilité du cœur et les gémissements de la prière, dont elle fait son amie et sa compagne inséparable, selon ce précepte de JésusChrist: « Il faut toujours prier et ne jamais cesser. Car soit assise, soit en marchant, soit en repos, soit dans le travail, en quoi que ce soit qu'elle fasse, elle prie sans relâche, sinon toujours par une attention présente à Dieu, du moins par le désir du cœur. Son sommeil même, uni à celui du Sauveur qui l'a sanctifié pour lui et pour elle, se change en prière. Elle s'endort en prononçant son divin nom; il lui revient dans ses insomnies; elle a si souvent pensé à Dieu pendant le jour, que si elle doit rêver, elle rêvera qu'elle rêve Jésus ce que saint Bernard désire de tous les justes. Enfin ce nom sacré vient frapper, dès l'aube du jour, à son cœur, pour y renouveler le sentiment de sa douce présence et les aimables droits de celui que la grâce en a fait le maître bien-aimé; et combien d'autres âmes, embrasées comme la sienne du divin amour, veillaient de cœur 1 en dormant. C'est

1 Ego dormio et cor meum vigilat. (Cant., v, 2.)

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