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Seigneur 1. Vers les dernières années de sa vie, il était cependant permis de soupçonner en lui quelque amendement, d'après ce qu'il accordait à certains devoirs de religion : mais la grande épreuve de l'incrédulité, la mort vint remuer le germe de foi qu'une bonne éducation avait semé dans son cœur. On le vit donc se plier tout entier sous le poids de la vérité lorsqu'elle s'approcha de lui, non plus avec les prévenances et les syllogismes d'un charitable pasteur, mais ac compagnée de la colère et des vengeances du Tout-Puissant Les sages précautions qu'il prit et qu'il réitéra, pour se réconcilier avec elle, révélèrent la juste crainte dont il était saisi et rappelèrent l'aveu de cet illustre personnage qu'il avait le bonheur d'imiter dans son repentir : « Mezeray mourant, plus croyable que Mezeray vivant. » Pourrions-nous ne pas citer ici un des traits les plus frappants de l'allocution de sa vertueuse veuve à l'un de ses fils, en présence du mort? « Vois, mon fils, vois ton père étendu sur cette couche funèbre. Que lui reste-t-il maintenant des efforts d'esprit qu'il a faits pour mal penser sur la religion, et de toutes les peines qu'il s'est données pour te ramasser une vile fortune? Oh ! comme il serait bien plus consolé d'avoir craint et honoré Dieu, et de nous avoir excités par son exemple à le mieux servir. >>

Combien d'autres esprits égarés ou du moins irrésolus, inquiets, ne voudraient pourtant pas mourir sans s'être réconciliés avec Dieu. «Est-ce d'ailleurs raison, courage, dit Pascal, ou n'est-ce pas lâcheté et le comble de la démence, d'aller, dans la faiblesse de l'agonie, affronter un Dieu toutpuissant, éternel, et qu'ont redouté les plus fameux impies, comme les Diderot et les d'Alembert, les Toussaint et les Boulanger, les marquis d'Argent et les Bouguer, sans parler des Montesquieu et des Buffon, le premier rétractant ses

• Erat ergo peccatum puerorum grande nimis coram Domino : quia retrahebant homines à sacrificio Dei (I Reg, H. 17).

erreurs avec franchise, et le second expiant les siennes par une confession en quelque sorte publique, à l'heure de la mort. Puis, quoi de plus triste et de plus périlleux que de s'obstiner si imprudemment à vivre dans un état où l'on se propose si gratuitement de ne pas mourir, et qui, dût-on en sortir au moment de la mort, prive de la paix et de la confiance que donne la pénitence dans cette vie, et ne peut manquer d'être suivi de longues et affreuses expiations dans l'autre ! Et en attendant qu'il se convertisse ou qu'il meure dans l'impénitence, quelle pauvre existence morale pour l'impie! Car quel autre effet que celui du dégoût, de l'effroi, du resserrement de cœur, peut produire sur les esprits raisonnables et les cœurs chrétiens un être qui, par son irreligion, se fait l'image du néant ou plutôt l'écho de l'enfer, pour en répéter sur la terre les blasphèmes et les fureurs? Quelle double horreur, par exemple, que la vie et la mort d'un Voltaire, le coryphée des antichrétiens du dernier siècle! Il tombe malade; la violence du mal lui fait aussitôt démentir sa profession d'incrédulité. Il appelle à lui un de ces prêtres qu'il avait tant outragés, calomniés dans ses écrits; il fait à ses genoux l'aveu de ses fautes, dépose entre ses mains la rétractation authentique de ses impiétés et de ses scandales, se flattant d'achever le grand ouvrage de sa réconciliation avec Dieu; mais la mort devance le dernier secours. Condorcet, qui devait lui-même se confesser plus tard, empêche d'entrer dans la chambre du mourant le confesseur désiré attendu de lui. Alors celui-ci est en proie aux convulsions et aux fureurs du désespoir, les yeux égarés, blême et tremblant d'effroi, il s'agite et se tourne en tous sens, il se déchire et dévore ses excréments. Cet enfer, dont il s'est tant raillé, il le voit s'ouvrir devant lui, il frémit d'horreur, et son dernier soupir est celui d'un réprouvé. « Rappelez-vous toute la rage et toute la fureur d'Oreste, dit le célèbre Tronchin, qui assista à cette horrible mort; vous n'aurez qu'une faible image de la rage et

de la fureur de Voltaire, dans sa dernière maladie; il serait à souhaiter, répète-t-il souvent, que nos philosophes eussent été témoins des remords et des fureurs de Voltaire, c'est la leçon la plus salutaire qu'eussent pu recevoir ceux qu'il avait corrompus par ses écrits.» Le maréchal de Richelieu, qui avait eu sous les yeux ce spectacle épouvantable, s'était écrié : « En vérité cela est trop fort, on ne saurait y tenir.» Un éloquent écrivain a fait de Voltaire le portrait le plus vrai et le plus frappant, quand il a dit : « L'anathème divin fut écrit sur son visage. Allez contempler sa figure au palais de l'Hermitage.... voyez ce front abject que la pudeur ne colora jamais, ces deux cratères éteints où semblent bouillonner encore la luxure et la haine; cette bouche épouvantable, courant d'une oreille à l'autre, et ces lèvres pincées par la cruelle malice, comme un ressort prêt à se détendre pour lancer le blasphème et le sarcasme... Le grand crime de Voltaire est l'abus du talent et la prostitution d'un génie créé pour célébrer Dieu et la vertu... sa corruption est d'un genre qui n'appartient qu'à lui; elle s'enracine dans les dernières fibres de son cœur, et se fortifie de toutes les forces de son entendement; toujours alliée au sacrilége, elle brave Dieu en perdant les hommes, avec une fureur qui n'a pas d'exemple; cet insolent blasphémateur en vient à se déclarer l'ennemi personnel du Sauveur des hommes; il ose, du fond de son néant, lui donner un nom ridicule, et cette loi adorable que l'homme-Dieu apporta sur la terre, il l'appela infâme. Abandonné de Dieu, qui punit en se retirant, il ne connait plus de frein. D'autres cyniques étonnèrent la vertu, Voltaire étonna le vice. Il se plonge dans la fange, il s'y roule, il s'en abreuve ; il livre son imagination à l'enthousiasme de l'enfer, qui lui prête toutes ses forces pour le traîner jusqu'aux limites du mal... Paris le couronna, Sodome l'eût banni... Je voudrais lui faire élever une statue par la main du bourreau.

(LE COMTE DE MAistre.)

LIVRE II.

Dès les premiers jours de son adolescence, la jeune Élisabeth avait appris du Saint-Esprit que la jeunesse, les plaisirs du monde et les avantages du corps n'étaient que vanité. Mais il lui avait principalement ouvert les yeux de l'âme sur la beauté de la race chaste 1, lorsqu'elle est jointe à l'éclat de la vertu, sur la gloire dont elle jouit devant les hommes qui l'admirent, et devant Dieu qui la couronne après ses victoires. Par lui encore, elle avait été instruite sur un des points les plus décisifs des mœurs, de la piété publique, du bien-être temporel et du salut des particuliers, nous voulons parler des vêtements. Il lui avait fait entendre aussi ces paroles inspirées à saint Paul pour les Corinthiens et les fidèles

▲ Sap., iv, 1 et 2.

de tous les temps. Séparez-vous1 du moins de cœur, des esclaves du monde, ne prenant aucune part à ses déréglements, et je vous recevrai, et je serai votre père, et vous serez mes fils et mes filles, dit le Seigneur tout - puissant. Sur toutes ces choses, la jeune Élisabeth avait obéi à sa foi, sans jamais se dire à elle-même :

Je ne veux pas être plus sage que toute la ville; je n'aurai pas plus de mal que tant d'autres, qui espèrent le ciel sans trop se gêner pour l'obtenir; faut-il donc que sur la parole d'un prêtre que le monde juge singulier (c'est ainsi qu'on qualifiait l'homme consciencieux et fidèle qui la dirigeait), faut-il que je devienne moimême singulière, au risque de me mettre en guerre avec tout ce qui m'entoure? › Mais aimant mieux passer pour telle aux yeux du monde, que de manquer à Dieu qui lui parlait au cœur, elle n'avait pas craint, à l'exemple de cette femme, qui seule éleva sa voix du milieu du peuple, pour rendre témoignage à la vérité, de se distinguer aussi dans sa vie par une généreuse fidélité à ses convictions.

Nous avons dit que la jeune Elisabeth était sortie de la maison des hospitalières de Poitiers, le cœur blessé d'un trait céleste ou de la sainte pensée de se consacrer à Dieu. Cette lumière

1 II Cor., VI, 17.

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