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XXII. LETTRE.

Ménagement qu'on doit aux défauts des personnes avec qui l'on vit, et des devoirs qu'ils imposent.

Le bonheur de la vie domestique est quel

E

quefois altéré par la différence des rapports et des goûts, ou même par les défauts de ceux avec qui nous sommes appelés à vivre. Je ne parlerai que de ce dernier point, car tout ce qui est dit dans le cours de cet ouvrage prouve bien l'importance de travailler à se donner un esprit conciliant, qui nous fasse plier aux goûts des autres. Comme il est plus facile de supporter les défauts de nos semblables que de les corriger, et qu'il est moralement mieux fait de chercher à nous perfectionner nous-mêmes que de changer les autres, nous allons dire quelques mots sur la conduite que nous devons avoir en pareil cas.

Nous devons soigneusement cacher les

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défauts et les ridicules de ceux avec qui nous sommes appelés à vivre; ce genre de médi→ sance seroit infiniment plus blâmable que celui qu'on se permet sur les personnes que l'on ne fait que rencontrer dans le monde. Je dis qu'il seroit plus blâmable, parce que ceux qui nous entendroient parler ainsi ajouteroient infiniment plus de foi à nos paroles, tant parce que nous devons être bien instruits de la vérité, que parce qu'ils supposeroient que les défauts dont nous parlons sont si reconnus, que nous ne pouvons pas même entreprendre de les cacher; car ilest heureusement bien établi qu'on doit ménager la réputation des personnes avec qui l'on vit; agir différemment est même une espèce de trahison, puisqu'ils croient pouvoir compter sur nous.

Il ne faut pas seulement s'en tenir à net pas dire du mal des gens avec qui nous passons notre vie, il faut de plus chercher à masquer tous leurs torts; souvent même on est appelé à s'en donner à soi-même pour en couvrir de plus graves, qui leur feroient plus de tort dans le monde que ne peut nous en

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faire celui que nous nous donnerions pour dissimuler leur défaut.

Quand nous avons des peines et des chagrins occasionnés par les torts de ceux avec qui nous vivons, nous croyons nous soulager en en faisant part à une amie sûre, qui, en les partageant, nous fait, il est vrai, éprouver une sorte de soulagement: malgré cela, je crois qu'il vaut mieux chercher à se passer de cette consolation, non que je croie condamnable de se permettre cet épanchement, quand on est sûr de celle à qui l'on s'adresse; mais le grand mal que j'y trouve, c'est qu'en parlant de ces torts, ils prennent à nos yeux plus de consistance; nous ne pouvons plus nous faire d'illusions sur leur réalité; nous les sentons plus vivement; nous y pensons davantage, soit pour en faire le récit à notre amie, soit en nous rappelant ce qu'elle nous a dit; et l'impression qu'ils lui ont faite, si elle est forte, elle augmente la nôtre; si elle est foible, nous avons honte de nous être plaints trop légèrement, et nous cherchons à prouver que nous avions raison d'être mécontens; et, en le prouvant

aux autres, on ne se le prouve que trop à soi-même. Mais, direz-vous, tout ce que nous souhaitons est qu'on nous prouve que nous avons tort, nous voulons qu'on nous aide à voir plus juste, nous voulons puiser de la force dans le cœur de notre amie ou dans les conseils d'un pasteur. J'avoue que souvent la foiblesse de notre nature peut avoir besoin de ce secours, et qu'on ne doit point se le reprocher, surtout si l'on a besoin des conseils d'une personne éclairée ; mais je dis que si l'on peut, par des efforts sur soi-même, se passer de ces consolations, il y a deux avantages à le faire; l'un, comme je le disois, de se moins pénétrer d'un mal où l'on ne peut rien, où le meilleur remède seroit de chercher à l'oublier. Combien de fois n'a-t-on pas éprouvé qu'en faisant des efforts pour se dissimuler à soimême les torts des autres, on parvient à les croire moins forts, et l'on a par conséquent plus de facilité à les supporter. Que de maux s'augmentent ou se diminuent par notre volonté et en maîtrisant notre imagination!

Le second avantage,

c'est que

l'Eternel

nous aide plus particulièrement de son secours, si nous n'en cherchons pas d'autre. En lui adressant toutes nos pensées, nous sommes plus avec lui, notre cœur y gagne de la résignation, il se fortifie dans ce commerce habituel avec son Dieu. Ne communiquant à personne nos sujets de souci, quelle nécessité n'avons-nous pas de lui parler sans cesse, de puiser chez lui les forces qui nous manquent pour ce genre d'épreuve ? Cette précaution même, de l'envisager comme une épreuve, augmentera notre courage.

Tout ce que je viens de dire sur les égards qu'on doit avoir pour les personnes avec qui l'on vit, est encore bien plus nécessaire, si c'est une femme qui souffre des torts de son époux. Ne pouvant convenablement envisager aucun changement de position, il lui est plus important que dans tout autre cas de chercher à fermer les yeux sur les sujets de peine que sa situation lui présente; elle est d'ailleurs plus tenue à les dissimuler aux autres, ses liens étant plus sacrés.

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