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et avaient espéré, pour leur Hôtel de Ville, les Parisiens que tant de merveilles artistiques, à Paris et dans les environs, les châteaux de Gaillon, de Chantilly, de Chambord, de Fontainebleau, de VillersCotterets, de Madrid, etc.; les églises Saint-Maclou, de Pontoise; SaintPierre, de Caen ; Saint-Eustache et Saint-Gervais, de Paris, etc., avaient mis en goût de l'art nouveau français. On peut supposer que la population frondeuse de Paris ne ménagea pas ses critiques malicieuses sur la bâtisse, mal venue, informe, d'un artiste étranger, imposé à la municipalité par un caprice royal, au détriment et à l'humiliation d'artistes parisiens et provinciaux, connus et appréciés : Pierre Chambiges, Gilles, Jacques et Guillaume Le Breton, Guillaume Senault, Pierre Lemercier, Pierre Gadyer, les Grappin, Hector Sohier, les frères Jacquet, etc., qui avaient fait leurs preuves de haute maîtrisé dans les édifices ci-dessus. En présence des manifestations et des protestations générales, le Prévôt des marchands et les Échevins se décidèrent à faire appel à un des maîtres des œuvres de maçonnerie parisiens pour réformer la création mauvaise du Boccador, quitte à sauvegarder les intêrêts et l'amour-propre du protégé de François Ier, en le maintenant dans l'entreprise nouvelle avec des appointements, un titre et une fonction.

Alors, Pierre Chambiges, prenant en mains la direction de l'entreprise, continue, d'après des plans nouveaux, la construction des corps de bâtiment sur la ruelle Saint-Jean et sur la rue du Martroy; prépare, dans le plus pur style de la Renaissance, les plans des pavillons d'angles et de la façade sur la place de Grève, dont on entreprendra la construction, lorsque l'achèvement des premiers corps de bâtiment aura mis à la disposition du Bureau de la Ville les locaux qui pourront remplacer ceux de l'édifice du Boccador, dont la démolition est décidée en principe.

On a vu plus haut que Sauval écrit que le grand corps de logis (la façade sur la place de Grève), après la réformation du « desseing antien », depuis (1549), ne fut achevé que sur les « devis et élévations » montrés à Henri II, à Saint-Germain-en-Laye.

Le « desseing antien » est le plan du Boccador; les « devis et élévations» sont les plans nouveaux de Pierre Chambiges.

L'intervention, dans les travaux de l'Hôtel de Ville, d'un nouvel architecte remplaçant le Boccador, et donnant les plans d'un édifice nouveau, a été soupçonnée par Leroux de Lincy.

Son Histoire de l'Hôtel de Ville de Paris est pleine de passages dont

les obscurités, les indécisions et les hypothèses trahissent la perplexité de l'érudit en présence des parties de l'édifice remaniées, transformées, et présentant entre elles des différences et des contrastes évidents de construction et d'ornementation. Mais Leroux de Lincy n'a pas osé ou n'a pas pu pousser plus profondément une enquête, amorcée ici et là, qui l'aurait certainement amené à des conclusions opposées à celles de son ouvrage : l'attribution de l'Hôtel de Ville au Boccador. Il est vrai qu'à l'époque où il écrivait (1846), de Laborde n'avait point publié La Renaissance des arts à la Cour de France (1850-1855); Lance, le Dictionnaire des architectes de l'École française (1872); Berty, l'Histoire des principaux architectes français de la Renaissance (1860); Léon Palustre, La Renaissance en France (1879-1895), qui lui auraient fait connaitre la personnalité et les œuvres de Chambiges et des Guillain, dont il cite les noms, sans indiquer le rôle important qu'ils ont joué dans la construction de l'Hôtel de Ville de Paris, les prenant pour de simples maîtres maçons ou entrepreneurs.

Dans le fascicule de Paris à travers les âges, consacré à l'Hôtel de Ville, Fournier n'hésite pas à admettre la thèse de Sauval; il déclare même formellement que le Boccador n'est pour rien dans la façade Renaissance sur la place de Grève, mais il se déclare impuissant à émettre un nom pour l'architecte qui a donné les nouveaux plans de cette partie de l'édifice; mal informé sur Pierre Chambiges, Fournier le considère comme un simple entrepreneur de maçonnerie.

Dans un document dont j'ai parlé plus haut, la Transaction, du 5 mai 1608, entre la Ville et l'Hôpital du Saint-Esprit, il est fait mention qu'à cette date le Prévôt des marchands et les Échevins communiquèrent aux experts des deux parties, parmi lesquels se trouvait Pierre II Chambiges, un «< vieux plan, du 25 avril 1535 », relatif à la construction à élever sur le côté nord de l'Hôtel de Ville, - du côté de l'Hôpital; et ce fut sur ce plan, dont les dispositions sont fort différentes du projet visé dans l'arrêt du Parlement, en date du 15 juillet 1533,projet basé sur le plan du Boccador, que les experts rédigèrent, avec quelques légères modifications, le devis des travaux de maçonnerie, en date du 21 mars 1608, accepté par les deux parties, qui servit de base à la rédaction définitive du devis pour la construction du Pavillon du Saint-Esprit, en date du 8 avril 1609. Comme le Pavillon du Saint-Esprit était la reproduction intégrale du Pavillon de l'arcade Saint-Jean, n'est-on pas autorisé à penser que ce plan de 1535, montré aux experts, était le plan

de l'Hôtel de Ville Renaissance, dressé par Pierre Chambiges, dès son entrée en fonctions?

Aujourd'hui, toutes ces hypothèses, toutes ces incertitudes, toutes ces contradictions des historiens de l'Hôtel de Ville peuvent être remplacées par l'affirmation, basée sur des preuves artistiques et techniques, que c'est Pierre Chambiges, et non un autre, qui a donné les plans de l'Hôtel de Ville de la Renaissance, dans toutes ses parties.

L'ordonnance architecturale du rez-de-chaussée de la façade de l'Hôtel de Ville sur la place de Grève, des pavillons de l'arcade Saint-Jean et du Saint-Esprit, de la cour centrale, présentent cette originale et très particulière disposition: Des colonnes, ici d'ordre ionique, là d'ordre composite, encadrant une baie plein cintre, dont l'archivolte repose sur des pilastres, et dont les écoinçons sont occupés par des cercles de moulures.

Cette ordonnance architecturale se retrouve complètement dans la Galerie de l'ancien grand château de Chantilly, que du Cerceau nous a conservée dans : Les plus excellens bastimens de France.

Or, cette Galerie a été construite en 1530 par Pierre Chambiges, architecte d'Anne de Montmorency, de 1527 à 1533.

DOCUMENTS ARTISTIQUES

Démonstration technique.

Après les documents administratifs et historiques, prouvant qu'il y a eu, sous François Ier, deux Hôtels de Ville de commencés ; l'un, celui du Boccador, bâtisse « gothique », sans goût ni grâce, que Prévôts des marchands et Échevins se sont hâtés de faire disparaître, aussitôt qu'ils l'ont pu, en 1549, après la mort de l'artiste étranger (1549), et celle de son protecteur, François Ier (1547); l'autre, celui de Pierre Chambiges, pure fleur d'art de la Renaissance française, création superbe du génie artistique de notre race, que les conseillers municipaux de 1872 ont tenu à devoir de faire revivre dans le nouveau palais de la Ville de Paris; je vais donner les documents artistiques qui me permettront d'en faire la démonstration technique.

Les partisans du Boccador prétendent que la construction du Plan de

la Tapisserie n'est que la Maison aux Piliers; les reproductions de ces deux édifices, parallèles, démontreront le contraire, architecturalement et topographiquement; et deux plans également parallèles complèteront la démonstration.

Sur trois dessins, on verra les transformations successives, puis la disparition définitive des débris de l'Hôtel de Ville du Boccador.

Et, enfin, quatre autres dessins prouveront que le plan de l'Hôtel de Ville de la Renaissance était bien l'œuvre de Pierre Chambiges, et non d'aucun autre architecte, connu ou inconnu.

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Tout cela prouve qu'un seul artiste a fait l'Hôtel de Ville de la Renaissance tout entier, et que cet artiste était Pierre Chambiges.

Le premier dessin représente la Maison aux Piliers, ancien Hostel des Dauphins du Viennois, qu'Étienne Marcel, le fameux prévôt des marchands du XIVe siècle, acheta en 1357, pour y installer la municipalité parisienne et qui ne fut démolie qu'en 1589, un demi-siècle après la démolition de l'Hôtel de Ville du Boccador.

Le plan ci-dessus donne la topographie de la Maison aux Piliers sur la place de Grève.

No 1 Maison aux Piliers; no 2: maison particulière annexée en 1359 à la Maison aux Piliers; no 3: maisons particulières; no 3 bis : maison particulière, constituant le « Coin de Grève ».

Le parallèle entre ces dessins et ces plans démontre qu'on ne peut prendre la construction du Boccador, de 1530, pour la Maison aux Piliers. Il n'y a aucune analogie de dispositions architecturales.

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La construction « gothique » du Boccador (1530-1549).

La construction du Boccador a absorbé, topographiquement, toutes les maisons indiquées sur le plan précédent. Il ne saurait donc s'agir d'une construction antérieure à 1529.

Le dessin ci-dessous est particulièrement destiné à montrer le contraste de dispositions architecturales entre ce qui restait, en 1586, d'après le dessin de Jacques Cellier, de la construction du Boccador, bâtie à partir de 1530, soit un simple rez-de-chaussée, et entre le Pavillon de l'arcade Saint-Jean, bâti de 1549 à 1551, par Guillaume Guillain, sur les plans de Pierre Chambiges. Ce contraste est évident, bien que, pour établir déjà une certaine harmonie entre les deux corps de bâtiment, donnant sur la place de Grève, Guillaume Guillain ait un peu modifié le rez-dechaussée de la construction du Boccador, qui apparaît moins « gothique »> que sur le Plan de la Tapisserie.

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