Page images
PDF
EPUB

vêque doit proportionner le temps de la pénitence à la gravité de la faute. Les prêtres ne doivent pas réconcilier les pénitents sans l'assentiment de l'évêque, à moins que l'évêque ne soit absent et qu'il y ait cas de nécessité. Si une faute est publiquement connue, le pénitent doit recevoir l'imposition des mains devant l'apsis (devant le choeur)'. » On a conclu de cette dernière phrase que, si les fautes publiques sont pardonnées « devant l'abside », les autres doivent l'être en secret. Le contexte ne se prête guère à cette interprétation. Dans tout le canon il est question de pénitence publique, quelle que soit la gravité ou la publicité de la faute. Il s'ensuit que l'absolution du pécheur, quel que soit l'endroit où il l'obtient, doit être publique. On tenait simplement à donner une solennité particulière à l'absolution des pénitents dont la faute était publiquement connue 2.

Reste un texte de saint Léon que le Dr Rauschen tire trop à lui: « Si des fidèles ont usé de viandes immolées et partagé le repas des gentils, ils pourront se purifier par le jeûne et l'imposition des mains; que s'ils ont adoré les idoles ou se sont souillés par l'homicide ou la fornication, on ne pourra les admettre à la communion que par la pénitence publique 3. » Il y a bien ici une distinction

1. Concile d'Hippone de 393, canon 34. M. Rauschen (ouv. cit., p. 173) attribue à tort ce canon (dont il ne produit d'ailleurs que la dernière phrase) à un concile de Carthage de 394, can. 30. Cf. Hefele, Histoire des Conciles, trad. Leclercq, Paris, Letouzey, t. II, 1re partie, p. 88.

2. A supposer que « l'imposition des mains » dont parle le canon soit bien l'absolution et non pas la mise en pénitence.

3. Si convivio solo gentilium et escis immolatitiis usi sunt, possunt jejuniis et manus impositione purgari... Si autem aut idola adoraverunt, aut homicidiis vel fornicationibus contaminati sunt,

entre le traitement des trois péchés jadis considérés comme irrémissibles et les autres de moindre gravité; et l'on est naturellement porté à penser que ces derniers ne sont plus soumis à la pénitence publique. Il se pourrait cependant que, par « pénitence publique », saint Léon entendît un régime spécial, qui comprenait l'abstinence conjugale et l'inhabileté au service militaire, etc.', par opposition à des exercices pénitentiels qui, sans être aussi rigoureux, n'en auraient pas moins été publics. Cette interprétation nous paraît plus conforme au texte, qui parle de « l'imposition des mains », comme s'il s'agissait de pénitence publique. Quand saint Léon veut parler de «< confession secrète », il le dit nettement, et il emploie le mot propre 2. Pourquoi n'aurait-il pas fait de même pour l'absolution?

En tout cas, à supposer qu'il ait voulu recommander ici l'absolution secrète, c'était une jurisprudence nouvelle qu'il aurait inaugurée. Au commencement du ve siècle, ce n'étaient pas seulement les péchés les plus graves, mais encore les fautes relativement légères, qui s'expiaient publiquement à Rome; et l'absolution était publique, aussi bien que la pénitence. Le pape saint Innocent nous en est garant Mgr Batiffol n'avait donc pas tort, quoi qu'on en ait dit, quand il assurait que l'antiquité chrétienne ne

4

ad communionem eos nisi per poenitentiam publicam non oportet admitti. Ep. CLXII, Inquis. 19, P. L., t. LIV, col. 1209.

[ocr errors]

1. Voir toute cette épître CLXVII, pour comprendre ce que saint Léon entendait par « pénitence publique proprement dite. 2. Ep. CLXVIII, Ibid., col. 1211.

3. De poenitentibus autem, qui sive ex gravioribus commissis, sive ex levioribus poenitentiam gerunt, si nulla interveniat aegritudo, quinta feria ante pascha eis remittendum Romanae ecclesiae consuetudo demonstrat. » Ep. XXV, 7,10.

4. Etudes d'histoire, etc., p. 200.

connaissait d'autre pénitence et d'autre absolution que la pénitence et l'absolution publiques. Et cela est vrai du quatrième siècle, voire du cinquième, aussi bien que des trois premiers siècles.

VI

RÉITÉRATION DE LA CONFESSION.

Du 1o au ve siècle, il paraît admis en principe par les docteurs de l'Église que l'exomologèse ne peut être réitérée. Quiconque, après une première absolution ou réconciliation, retombe dans un péché << mortel »>, n'a plus à s'adresser à l'évêque; il n'obtient son pardon que par une pénitence privée où l'Église n'intervient plus avec le pouvoir des

clefs.

Le premier témoin de cette discipline est Hermas1. A propos du crime d'adultère commis par une femme, il donne un avis, qu'il appuie d'un principe. L'avis c'est qu'il faut « pardonner à la coupable, pourvu qu'elle soit repentante, mais cela une seule fois. » Le principe c'est que « pour les serviteurs de Dieu, il n'y a qu'une seule pénitence ». De ce texte, il résulte clairement qu'aux yeux d'Hermas il n'y a plus de pénitence possible (j'entends de pénitence ecclésiastique) pour un serviteur de Dieu, autrement dit pour un chrétien qui, après une première réconciliation, serait retombé dans la même faute pénitentielle, par exemple l'adultère.

1. Le Pasteur, Mandat. Iv, cap. 1.

Clément d'Alexandrie n'admet pareillement qu'une seule pénitence après le baptême : commentant un texte du Pasteur (Mandat. Iv, cap. 3), il établit comme Hermas une distinction entre « la rémission des péchés et la pénitence, qui sont cependant en notre pouvoir ». Les infidèles reçoivent « la rémission des péchés par le baptême », et les fidèles reçoivent le pardon de leurs fautes « par la pénitence ». « Dieu qui connaît les cœurs et prévoit l'avenir a vu, dès le principe, l'instabilité de l'homme et la ruse du diable qui s'acharne à faire tomber les serviteurs de Dieu. C'est pourquoi, dans sa miséricorde, il a accordé, même aux fidèles qui tombent dans quelque péché, une seconde pénitence, de sorte que si l'un d'entre eux est encore tenté après sa vocation et habilement circonvenu par le diable, il obtiendra encore une pénitence, mais une pénitence dont il ne devra pas se repentir 1. »

Au Ie siècle, nous retrouvons à Alexandrie la même doctrine sous la plume d'Origène. Celui-ci a varié sur le traitement à appliquer aux péchés graves. Après les avoir déclarés irrémissibles 2, il semble les avoir considérés comme rémissibles, au moins pour une fois. Dans une de ses Homélies sur le Lévitique, il distingue deux sortes de péchés : les péchés communs dans lesquels nous tombons fréquemment, et les péchés plus graves, tels que le blasphème de la foi. Les premiers peuvent toujours être réparés, et il ne nous est jamais interdit d'en faire pénitence. Mais pour les péchés plus graves, il ne nous est permis d'en faire pénitence qu'une seule fois : In gravioribus

1. Stromata, lib. II, cap. 13.

2. De Oratione, cap. 28.

enim criminibus semel tantum poenitentiae conceditur locus1.

Même discipline à Carthage, si l'on en croit Tertullien: «< Dieu, dit-il, a prévu la ruse du diable et son poison. C'est pourquoi la porte du pardon (que nous ouvrait le baptême) une fois fermée et la serrure bouchée, il a placé dans le vestibule (de l'Église) une seconde pénitence qui s'ouvre à ceux qui frappent, mais pour une fois seulement, parce que c'est déjà la seconde fois. Pas une fois de plus à l'avenir, parce que ce serait inutile 2 ». Plus loin Tertullien appelle encore cette seconde pénitence « l'unique pénitence » après le baptême 3. Il n'y a pas de doute. sur sa pensée.

Saint Augustin s'exprime en termes non moins. explicites : « Quelquefois, dit-il, l'iniquité des hommes va jusqu'à tel point que, après avoir accompli leur pénitence et avoir obtenu la réconciliation de l'autel, ils commettent de nouveau les mêmes péchés, sinon de plus graves; et cependant Dieu fait encore lever sur eux son soleil. Mais il ne leur est plus accordé de place dans l'Église pour les humiliations de la pénitence... Et ç'a été une sage et salutaire précaution qu'on ne leur ait accordé qu'une seule fois place pour cette très humble pénitence dans l'Église. De la sorte, le remède étant moins déprécié est plus utile aux malades; il est d'autant plus salutaire qu'il est moins exposé au mépris *. »

Saint Ambroise proteste également contre ceux

1. In Levit., Homil. XV, cap. 2. Sur ce texte (qui a été plus tard falsifié), cf. Vacandard, Revue du Clergé français, t. XXI, p. 43, note 3. 2. De Poenitentia, cap. 7, P. L., t. II, col. 1241.

3. Ibid., col. 1243.

4. Ep. CLIII ad Macedonium, cap. 7.

« PreviousContinue »