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voie récemment ouverte. Voilà pourquoi nous nous sommes permis d'exprimer ici notre dissentiment. Faut-il ajouter que nous ne mettons nullement en cause les intentions de ceux dont nous discutons la théorie? Elle leur a été inspiréc par le désir de proposer à des objections difficiles un essai de solution. Ils ont été guidés par leur amour pour l'Église.

Et si nous-même nous avons présenté ces observations, c'est aussi par amour pour l'Eglise, par amour pour l'intégrité de la vérité. L'apologétique la plus efficace, la meilleure tactique pour défendre notre mère à tous, c'est encore la vérité.

APPENDICE V

LE CATHOLIQUE ET LA QUESTION DU POUVOIR
COERCITIF De l'église

Extrait de la Revue pratique d'Apologétique
(t. VI, n. 70, 15 août 1908).

(Article de M. Moulard).

Il faut admettre comme un principe certain que l'Église a le droit de pourvoir à sa conservation. Jésus-Christ l'a fondée pour qu'elle subsiste jusqu'à la fin du monde... L'Eglise coopérerait elle-même à sa propre destruction et manquerait à tous ses devoirs, si elle laissait attaquer sa doctrine et ses lois sans s'y opposer. Elle doit donc les défendre. Personne n'oserait taxer d'intolérance une si naturelle prétention. Mais comment l'Église pourvoira-t-elle à sa conservation, sinon par l'exercice du pouvoir qu'on appelle coercitif?... Le catholique ne fera donc pas difficulté d'admettre qu'en principe l'Église, comme toute société humaine, a le droit et le devoir d'employer la répression contre tout ce qui tenterait de la dissoudre.

Mais comment l'Église usera-t-elle de son droit? C'est ici que la difficulté commence. Nous entrons dans le domaine de la pratique, et qui ne sait combien les applications humaines d'un principe généralement accepté peuvent être l'objet d'appréciations diverses et même contraires? Ici nous nous trouvons en présence de deux écoles: l'une réduit le pouvoir répressif de l'Église à la contrainte purement morale; l'autre l'étend jusqu'à la contrainte physique. Chacune a ses arguments. Les partisans de la contrainte morale prétendent s'appuyer sur l'Evangile. Jésus-Christ, disent-ils, a toujours fait preuve de la plus grande tolérance. Il repousse avec indignation la demande de ses apôtres qui veulent se venger du mépris des Juifs. « Le Fils de l'homme n'est pas venu pour tuer les hommes, leur dit-il, mais pour les sauver. » Lorsqu'il arme ses apôtres du pouvoir répressif, il n'entend leur donner que des armes spirituelles. «< S'il n'écoute pas l'Église, dit-il, en parlant du prévaricateur, qu'il soit pour toi comme un païen et un publicain2. » Il ne s'agit ici que d'une excommunication qui prive le coupable des biens spirituels de l'Église et le rejette au nombre des infidèles. A l'imitation de Jésus-Christ, les apôtres et saint Paul 3 en particulier ne portent contre les hérétiques qu'une sentence d'excommunication. Telle est aussi la conduite des docteurs des quatre premiers siècles de l'Église, de Tertullien, d'Origène, de saint Cyprien, de Lactance, de saint Augustin, de saint Hilaire, qui rejettent l'emploi de la force

1. Luc, XI, 55.

2. Matth., XVIII, 17.

3. Ep. ad Tit., III, 10: « Haereticum hominem post unam et secundam correptionem devita ».

matérielle et proclament que la foi est un acte de volonté libre '. Si plus tard, lorsque le pouvoir séculier a mis sa puissance au service de l'Église, celle-ci est tentée de l'employer contre ses ennemis et l'emploie de fait parfois durement, c'est faute d'être conséquente, et par une espèce de déviation de l'esprit évangélique. Mais aujourd'hui que les mœurs se sont adoucies, l'Église est revenue à une compréhension plus maternelle de sa mission parmi les hommes et n'a plus recours pour préserver sa doctrine qu'aux armes spirituelles, comme l'excommunication.

Les partisans de la contrainte physique, pour sou tenir leur thèse, partent surtout de ce principe que la société religieuse est une société parfaite au même titre que la société civile et qu'elle doit avoir à son service les mêmes armes qu'elle, en tenant compte évidemment, pour les utiliser, des circonstances de temps et de lieu et du profit possible des âmes. Ils pensent que la société religieuse ne serait pas parfaite si elle n'avait pas le droit d'exercer la contrainte physique, et comme son emploi à certaines époques et en certains lieux a eu indubitablement d'excellents résultats pour l'Église, ils en tirent cette conséquence, peut-être trop générale, qu'elle est légitime en principe. Peut-être, répondent les partisans de la contrainte morale, n'est-ce là qu'une illusion d'optique. Nul ne songe à nier que l'Eglise soit une société parfaite, mais dans son ordre qui est purement moral et religieux. Elle est la société des âmes qui poursuit un but spirituel : on ne voit pas bien qu'elle puisse employer pour cela les mêmes répressions que la société civile dont le pouvoir s'exerce sur les corps, dont le but est pure

1. Cf. Vacandard, L'Inquisition, 3e éd.,
p. 1-8.

ment matériel, et qu'elle aille jusqu'à brûler les corps pour sauver les âmes.

Du reste, si le principe de la contrainte physique est inattaquable, à quelle conséquence n'arrivera-t-on pas? Ne faudrait-il pas aussi admettre qu'au cas où le bras séculier refuserait son appui à l'Église, il en est ainsi depuis longtemps, il serait loisible à celle-ci d'employer elle-mème la force pour se défendre et d'appliquer ainsi son principe jusqu'au bout? On ne voit pas bien l'Église recourir à de pareils moyens. Mais que penser d'un principe qui est soumis dans son application au bon vouloir des gouvernements, sinon qu'il n'a pas un caractère absolu et général, mais qu'il naît d'un concours de circonstances favorables, pour disparaître avec elles. A quoi bon, dès lors, revendiquer un principe qui, loin d'avoir au début commandé à des faits, ne semble avoir été établi par des canonistes et des théologiens que pour légitimer des faits préexistants? Un tel principe n'a donc qu'une valeur extrinsèque et relative, et l'on conçoit que l'Église, sans porter atteinte à l'intégrité de sa doctrine, puisse un jour s'en défaire comme d'une chose désormais inutile.

L'auteur cite ensuite les textes classiques de Benoît XIV, Pie VI, Pie IX, etc., et continue:

De tous ces textes, il ressort clairement que l'Église n'a jamais cessé de revendiquer comme un droit le pouvoir coercitif. C'est un fait admis par tous, théologiens et canonistes. Mais ils se divisent dès qu'il s'agit de déterminer le sens littéral des textes que nous venons de citer. Permettent-ils d'aller jusqu'à la contrainte physique ou de limiter le

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