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pouvoir coercitif à la contrainte morale? On convient que les termes : jugement extérieur et peines salutaires, force extérieure, employés tour à tour par Benoît XIV, Pie VI, le Syllabus et les théologiens du Vatican, signifient que le pouvoir législatif, judiciaire, exécutif de l'Église n'est pas limité au for intérieur et s'exerce aussi dans le for extérieur et public, mais qu'ils n'indiquent pas nécessairement le droit à la contrainte physique.

La XXIV proposition du Syllabus, qui cependant paraît plus claire, n'a pas, de l'aveu de tous, tranché la question, et si l'on se reporte à la lettre Ad apostolicae sedis du 22 août 1851, d'où elle est tirée, on voit que Pie IX se contente de condamner ceux qui prétendraient « priver l'Église de la juridiction extérieure et du pouvoir coercitif qui lui a été donné pour ramener dans les voies de la justice ceux qui s'en écartent1».

Aussi n'est-ce pas autour de ces textes que porte surtout la discussion, mais autour du texte tiré de l'Encyclique Quanta cura. Là, il n'est plus question de peines salutaires, de jugement extérieur, mais bien de peines temporelles. L'emploi de ce mot, pour les partisans de la contrainte physique, est une preuve évidente de la vérité de leur thèse. Sans doute, disent-ils, il faut laisser de côté la question de peine de mort, selon le principe cher à Nicolas Ier et à l'Église: Ecclesia abhorret a sanguine, mais par le mot peines temporelles, il faut entendre l'amende, la prison, la confiscation des biens, même l'exil.

Cette affirmation ne convainc pas les partisans de la contrainte morale. Pour eux, le terme peines temporelles est l'équivalent et le synonyme de peines

1. Siquidem ne errantes in viam possint redire justitiae, externo udicio et potestate coercitiva Ecclesiam privat. ›

extérieures. Pie IX, en effet, dans son Encyclique, n'a pas d'autre but que de fixer les droits de l'Église en matière de répression, à l'exemple de ses prédécesseurs Benoît XIV et Pie VI. Or, ceux-ci n'ont jamais parlé que de peines extérieures et salutaires, et, ce qui est plus frappant encore, c'est que plus tard dans les canons 10 et 12 du schéma De Ecclesia, loin de prendre les termes de Pie IX, les théologiens revinrent aux premiers peines salutaires. Il n'y aurait donc entre peines temporelles et peines salutaires qu'une nuance verbale sans importance.

D'ailleurs, pourquoi ne pas comprendre, parmi les peines temporelles, la peine de mort; et si le sens des termes doit être limité, pourquoi, par une opération aussi légitime, ne pas également éliminer du code répressif l'exil, surtout la confiscation des biens et la prison, plus terribles à certains égards que la mort même? Une fois le principe admis de la restriction des termes, il semble qu'on puisse aller plus loin encore et réduire ces peines temporelles à l'excommunication et à l'interdit, ce qui suffit à sauvegarder l'essence du pouvoir répressif. On ne peut pas dire, en effet, que l'excommunication et l'interdit soient simplement des moyens de persuasion. Ils constituent bel et bien des «< peines salutaires »>, une « contrainte extérieure », tout en restant des peines spirituelles et morales.

Nous avouons que cette dernière façon de raisonner nous paraît plausible. Nous ne disons pas que l'Église l'approuve, mais nous ne voyons pas qu'elle la condamne. Le Père Lepidi, Maître du Sacré-Palais, n'a-t-il pas, en 1904, accordé l'Imprimatur à un ouvrage du docteur Salvatore di Bartolo, où celui-ci

1. Nuova espozitione dei criteri teologici, Roma, 1904.

soutient que seule la contrainte morale est de droit divin? Sans doute l'Imprimatur ne prouve pas toujours l'orthodoxie d'un ouvrage. Il n'y a pas longtemps que Pie X a écrit : « Ne vous laissez pas arrêter, Vénérables Frères, au fait que l'auteur a pu obtenir d'ailleurs l'Imprimatur; cet Imprimatur peut être apocryphe, ou il a pu être accordé sur examen inattentif, ou encore par trop de bienveillance ou de confiance à l'égard de l'auteur' ». Pourrait-on soutenir qu'il en est ainsi de l'Imprimatur accordé par le Père Lepidi, surtout quand on sait que la première édition de l'ouvrage avait été précédemment mise à l'Index?

Il nous semble donc qu'un catholique peut, en toute sûreté de conscience, se déclarer pour la réduction du pouvoir coercitif de l'Église à la contrainte morale. Son attitude n'aura rien de téméraire et sera, selon l'expression du cardinal Soglia, partisan cependant de la contrainte physique, « plus en harmonie avec la mansuétude de l'Église 2 ».

1. Encyclique Pascendi, 8 septembre 1907 (traduction officielle). 2. Sunt enim qui docent potestatem coercitivam divinitus Ecclesiae collatam paenis tantummodo spiritualibus contineri... Sententia (haec) prior magis Ecclesiae mansuetudini consentanea videtur. Institutiones juris publici ecclesiastici, 5e éd., Paris, librairie religieuse de A. Courcier, t. I, p. 169-170.

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