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médiateur, de pacificateur; et si leur voix, comme il est à craindre, n'est pas écoutée, c'est celui du vaillant archevêque tombant sur la barricade en s'efforçant d'arrêter les combattants; celui que, à défaut de maire ou de sous-préfet, un humble curé de province, osait reprendre, il y a quelques mois, à Fourmies, devant les fusils Lebel. La voix de l'Église ne peut prêcher que la paix : « Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix », a dit Jésus à ses disciples, en manière de testament; et le mot qui demeurera le dernier sur les lèvres de ses prêtres sera le pax vobiscum.

Le clergé catholique, avec ses moines et ses frères, ses congrégations d'hommes et de femmes, ses missionnaires, ses confréries, est bien une internationale; mais c'est l'internationale de la paix et de l'amour; il lui est défendu de faire cause commune avec l'internationale de la haine qui se vante, dans ses congrès, d'organiser partout la guerre des classes. Cette guerre des classes, l'une prétend la déchaîner sur le monde et travaille à l'étendre à tous les pays; l'autre veut la prévenir, et si elle n'en peut arrêter l'explosion, elle s'efforce d'en rétrécir le champ et d'en adoucir les maux. L'une y pousse de toutes ses forces, y voyant un moyen de conquête; l'autre la repousse de tout son pouvoir, n'y voyant que péché et malédiction. L'une provoque le conflit,

238 LA PAPAUTÉ, LE SOCIALISME ET LA DÉMOCRATIE.

l'autre cherche à l'apaiser. Telle est la vérité, et telle est la différence de point de vue et d'attitude qui, en dépit de tous les sophismes et de toutes les habiletés, empêchera toujours l'Église de se faire l'instrument du socialisme révolutionnaire. Leur activité s'exerce en sens inverse. Tandis que le socialisme travaille à couper l'humanité en deux camps, se réjouissant de tout ce qui sépare les hommes nés pour être frères, l'Église s'obstine à réveiller chez tous, riches et pauvres, la notion chrétienne de la fraternité; l'Église s'ingénie loyalement à concilier les intérêts et à rapprocher les classes. Au milieu des défis et des cris de guerre qui retentissent, de tous côtés, par-dessus les mers et les montagnes, sa devise reste le Beati pacifici des Évangiles.

XVI

Vanité des terreurs excitées par l'action sociale de l'Église. Comment le danger, pour nos sociétés, ne vient pas du saintsiège ni du clergé. Avantages qu'aurait pour tous leur action sociale. Réflexions sur la France. Le fort et le faible de notre constitution sociale. Fonction sociale de l'officier et du curé; comment ils ne savent ou ne peuvent la remplir. La déchristianisation de la France et l'œuvre de décomposition morale.

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On le voit bien, partout où peut s'exercer son action sociale, là surtout où ses lois et ses ministres ont gardé le plus d'empire. N'allons pas donner trop d'importance aux témérités de langage, ou aux écarts de doctrine de quelque véhément prédicateur ou de quelque tribun échauffé par les ardeurs de la lutte et les applaudissements de la foule. Sachons voir les choses de haut: ces haines de classes sur lesquelles les socialistes se plaisent, à

souffler, l'Église cherche à les éteindre. En Europe, comme en Amérique, elle s'applique à fermer les voies à l'internationalisme révolutionnaire. Elle seule peut-être lui dispute hardiment le terrain. Que tel ou tel groupe catholique, en tel ou tel pays, soit emporté par le belliqueux tempérament de ses chefs, ou entraîné par les passions de parti ou les intérêts de la politique locale, l'action générale de l'Église n'en reste pas moins salutaire, fortifiante, pacificatrice.

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Ne nous effrayons point de l'initiative prise par la papauté. Les hommes qui s'en alarment font fausse route. Ce n'est point pour bouleverser la société, c'est pour la consolider que l'Église se risque à intervenir dans nos luttes sociales. La fonction que lui attribuait notre égoïsme, celle de barrière contre les cupidités et de rempart contre les appétits d'en bas, l'Église continuera, malgré tout, à la remplir, parce qu'elle est conforme à sa mission divine. Si peu dignes que nous en soyons, la religion demeurera pour nous, pour nos propriétés, pour nos droits légitimes, une défense et une protection; aujourd'hui encore, la pire calamité qui puisse atteindre nos sociétés modernes, battues par la marée montante des convoitises, serait la ruine de ce qui reste de l'antique digue.

Je souris, ou mieux, je suis pris de pitié quand

je vois des hommes soi-disant éclairés et soi-disant libéraux s'alarmer pour nos libertés publiques, ou pour l'ordre social, de ces velléités d'intervention de l'Église. Il me semble entendre des revenants d'un autre siècle. Et vraiment se peut-il que notre France attardée en reste éternellement à ses vieilles querelles sur les envahissements du clergé et l'insatiable esprit de domination de l'Église? Cela était bon pour les bourgeois de la Restauration ou de la monarchie de Juillet; mais ne s'est-il donc rien passé, et n'avons-nous rien appris depuis Béranger, ou depuis M. Havin? Que tout cela cependant semble mesquin et misérable en face des formidables problèmes qui se dressent devant nous! Qui ne voit que ce n'est plus du côté de « Rome et des jésuites » qu'est le péril? Ceux qui frémissent encore à l'apparition d'une soutane ont beau se targuer d'être des hommes de progrès, ils ont beau s'affubler des noms de philosophes et de libres penseurs, ils ne sont que des hommes du passé, momifiés dans des formules vieillies, captifs d'une tradition surannée. Ils n'ont ni l'intelligence ni la force de se dégager des lisières de leur enfance et des préventions de leur éducation. Ce sont eux les rétrogrades; c'est l'anticlérical, le mangeur de curés qui retarde sur le siècle. En craignant d'être dupes de l'Église, ils sont le jouet des préjugés d'un autre âge.

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