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moyen d'action: la foi est le levier qui soulève le poids que nos bras ne peuvent remuer. Pour renouveler le monde, il n'a pas fallu cinquante apôtres, douze ont suffi; mais ils avaient une foi: c'est bien d'aller au peuple, mais encore faut-il avoir dans la main quelque chose à lui porter; et si nos mains ne sont vides, ce qu'elles contiennent, pour lui, est bien maigre et peu substantiel. Le chrétien a un livre à porter au peuple, l'Évangile. L'Église peut lui offrir quelque chose qu'on ne tient point dans nos académies ou dans nos bureaux de rédaction: une foi et une espérance.

Et cette foi, l'Église y croit; cette espérance, elle y a confiance, et rien ne saurait la décourager. Elle a foi au triomphe final de la Croix, et, par la Croix, à la victoire de Dieu sur terre. Autrefois, quand le malheur des temps ne nous avait pas donné un démenti, nous aimions à dire : impossible n'est pas français; le catholique continue à répéter: impossible n'est pas chrétien. Ne raillons pas le croyant, le prêtre ou le moine qui, le crucifix à la main ou le rosaire à la ceinture, ne craint pas de s'aventurer dans la salle enfumée des meetings populaires et ose disputer la tribune des réunions publiques aux apôtres de la révolution sociale et aux prophètes de la grossière Jérusalem que le socialisme se fait fort de substituer à la céleste Sion des apocalypses an

ciennes. Ils me font penser, ces chrétiens dont nous sommes tentés de sourire, aux missionnaires désarmés qui vont prêcher la bonne nouvelle à des sauvages enfants et cruels, dont la langue imparfaite ne leur fournit même pas de termes pour exposer les mystères. Et ces multitudes, sans espérance et sans foi, des faubourgs de nos grandes villes n'ont pas moins besoin de missionnaires que les noirs anthropophages de l'Oubanghi. Je ne sache pas d'apostolat plus ingrat et plus ardu; les grands convertisseurs de païens ou de barbares, de saint Colomban ou de saint Boniface à François-Xavier, n'ont pas entrepris une tâche plus héroïque ni plus malaisée. Le plus éclatant miracle du christianisme serait de la mener à bonne fin, et lui seul en est capable. Ici, encore, il s'agit du salut de la civilisation, et si, par un prodige vraiment divin, l'Église réussissait dans cette mission à travers les bas-fonds de nos capitales, elle pourrait se vanter d'avoir, une fois de plus, sauvé notre culture européenne. Cette culture que nous aimons, d'un amour de décadents, moins peut-être pour ses sciences et pour son génie que pour ses grâces perverses ou sa beauté morbide, les barbares qui la menacent, pour nous devenue banale, ne campent plus en dehors de nos frontières; ils ne viennent plus des steppes de

- c'est chose

l'Est ou des forêts du Nord; ils sont établis au milieu

de nous, ils parlent notre langue, ils sont de notre race et de notre sang; et, s'ils sont retombés dans la barbarie, c'est en perdant la foi en Dieu et l'espérance au ciel. Ce qui les rend redoutables, ces barbares de la civilisation, ce n'est pas tant leur ignorance, l'incurable ignorance de l'école primaire, qui survit à tous les certificats d'études, ce sont les passions, les rancunes, les ambitions, les haines que plus rien ne comprime et qui, dans les âmes vides, ont rempli la place des croyances évanouies. Telles sont les masses qu'il nous faut évangéliser, car il n'y a pas de salut pour nous, si nous ne les sauvons. Et la bonne parole qu'il nous faut leur porter, ce n'est pas la parole de la Science, car la Science, aux mains d'un enfant mauvais, est un engin de destruction autant qu'un instrument de vie. Ses formules sont pareilles aux vieilles formules magiques qui, sur des lèvres imprudentes ou malveillantes, renversaient au lieu d'édifier, et tuaient au lieu de guérir. Ce qu'il faut au peuple, nous ne l'ignorons plus, et en cela, seulement, nous sommes supérieurs à nos pères, c'est une parole morale, une parole de foi et d'amour, la seule qui puisse donner la Paix avec la Vie.

XVIII

Conclusion.

De l'avenir de nos sociétés occidentales.

Dissolution ou Rénovation?

mouvement.

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Comment s'accomplit le pro

Ce que

grès social. Que les sociétés civilisées sont toujours en Qu'il ne faut pas confondre le changement avec le progrès, ni la stabilité avec l'immobilité. nous savons sur l'évolution des sociétés. égard, la Science et la Religion sont d'accord. regnum tuum !

Comment, à cet

Adveniat

Un siècle à peine après la Révolution, nous nous retrouvons, de nouveau, à un tournant de l'histoire. Cela encore est devenu banal; mais ce n'en est ni moins vrai, ni moins inquiétant. Marchons-nous à une dissolution, ou à une rénovation de nos sociétés occidentales? Les signes que nous apercevons à l'horizon annoncent-ils la fin de notre civilisation, ou l'aurore d'une ère nouvelle? De toutes les doctrines en conflit dans notre cahos intellectuel, seraient-ce les apôtres de l'anarchie qui auraient raison? et nos espérances humanitaires et nos rêves

de justice ne devraient-ils aboutir qu'à la destruction de tout ce qui fait le charme et le prix de notre culture européenne? Nous faudra-t-il vraiment repasser par une nouvelle barbarie et par un second moyen âge de quelques dix siècles? A mesurer la hauteur des ambitions de la foule et l'imprudence de tant de bonnes volontés téméraires, la peur m'en prend parfois.

Il y a quelques semaines, je rencontrai, dans le cabinet d'un de nos maîtres à tous, deux «< compagnons anarchistes », disciples ingénus de Bakounine et de Kropotkine. C'étaient deux croyants; leur foi dans le prochain paradis terrestre égalait celle du chrétien dans le paradis du Père céleste. Cette foi au chimérique avenir, ils essayaient de nous la faire partager, soutenant imperturbablement que, pour renouveler notre société, il suffit d'une chose : la jeter bas. Que de bonnes gens se montrent, sans bien s'en rendre compte, les adeptes et les complices des compagnons anarchistes, s'imaginant, eux aussi, que tout changement est progrès, et que tout ce qui ébranle la vieille société prépare l'avènement de la nouvelle! Pour que la cité idéale, resplendissante de justice et de richesse, surgisse du sol, ils semblent croire qu'il suffirait de lui faire place, en laissant crouler la vieille bâtisse qui nous abrite depuis des siècles. Plus raisonnables et plus pra

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