Page images
PDF
EPUB

l'État doivent, sous la même peine, renoncer à

leur système.

Le document pontifical est ainsi tiré en sens opposé et comme écartelé par les écoles rivales. Comment s'en étonner, dès lors qu'on prétend trancher de telles questions par voie d'autorité? Il reste, en effet, aux plus soumis des fils de l'Église, un droit dont ni pape ni concile ne les a privés, le droit de commenter les actes pontificaux. C'est le seul dont la plupart osent user, mais prêtres ou laïques, les plus scrupuleux en usent à l'occasion. Au lieu de disputer sur la valeur dogmatique des encycliques pontificales, on en discute le sens. Les théologiens les plus larges, ceux qui étendent le moins le domaine de l'infaillibilité, professent, en effet, que, alors même que le pape ne parle point ex cathedra, en pontife infaillible, il y a témérité, orgueil, partant péché, à ne pas se courber devant les enseignements du chef de l'Église. L'obéissance est devenue la première vertu du catholique; mais, le plus souvent, par la faculté d'interprétation, la liberté d'opinion trouve moyen de se concilier avec l'obéissance.

A cet égard, il en sera des encycliques de Léon XIII comme du Syllabus et des encycliques de Pie IX. Elles, aussi, échapperont malaisément à la diversité des interprétations, quoique, aujourd'hui, dans l'Église, on semble se faire un devoir

de jeter, sur toutes les divergences, le voile du silence. Si bien disciplinés que soient les catholiques, il restera, parmi eux, dans les questions sociales, comme dans les questions politiques, deux tendances: ni ici, ni là, l'unité absolue n'est de ce monde. Est-il quelqu'un pour s'en plaindre, ce ne sera point nous. Qu'il s'agisse de M. de Mun ou de monseigneur Ireland, des disciples de Le Play ou des imitateurs de Ketteler, il nous déplairait de voir mettre des cadenas à des bouches éloquentes, fût-ce celles de nos contradicteurs.

VI

Nouvelle et formelle condamnation du socialisme par le saintsiège. Importance de cette condamnation. Ce que le saint-siège entend sous le nom de socialisme. Comment, en le réprouvant, la papauté reste dans la tradition de l'Église. ComDu prétendu socialisme évangélique. ment le triomphe du socialisme serait la ruine du «< plan providentiel » et de l'économie sociale chrétienne. - De quelle façon le saint-père réfute le socialisme, et comment il expose les souffrances des classes ouvrières.

Si, en matière sociale, les enseignements du souverain pontife ont quelque autorité, il est désormais interdit à un catholique de se dire socialiste.

On s'en est aperçu, cet automne, au « congrès » de Malines. Un avocat de Bruxelles, M. Dumonceau, avait engagé les catholiques à ne pas se montrer hostiles au socialisme, « à ne point avoir peur d'un mot ». Ce langage a soulevé les protestations de l'assemblée et provoqué de véhémentes répliques de

la part de M. le chanoine Winterer, comme de monseigneur d'Hulst. Le débat a été résumé aux applaudissements du « congrès » par M. Hellepute, professeur à l'université catholique de Louvain. « Un socialisme chrétien, a-t-il dit, serait celui qui admettrait les principes que tous les socialistes rejettent. Il faudrait alors changer le sens du mot. Mais il est trop tard: Karl Marx, Bebel, Liebknecht l'ont fixé. On peut regretter que ce nom leur soit échu en partage, comme je regrette, pour ma part, que le nom de libéralisme soit échu aux libéraux; mais ce sont là des regrets stériles. Le mot de démocratie, au contraire, ajoutait le professeur de l'université catholique, n'est pas encore confisqué, et comme il exprime une idée très conforme à l'Évangile, nous le prenons, de peur qu'on nous le prenne;

et nous saurons le justifier. » L'explication est à retenir, car, sur ce point, il est difficile aux catholiques de ne pas raisonner partout comme l'orateur de Malines.

Aucun doute, en effet; le socialisme a été formellement et nominativement réprouvé par le pape Léon XIII. En cela, du reste, Léon XIII n'a fait que renouveler les condamnations portées par ses prédécesseurs, par le pape Pie IX notamment. Le socialisme était une des « pestes » anathématisées par le Syllabus. Pour Léon XIII, comme pour Pie IX,

socialisme est demeuré synonyme de communisme ou de collectivisme. Le siège apostolique ne s'est pas prêté à l'équivoque de tant de bonnes gens qui, voyant dans ce mot une amorce pour la pêche des suffrages ou un miroir à alouettes pour la chasse aux électeurs, se déclarent bravement socialistes, sauf à ajouter une épithète émolliente ou un adverbe adoucissant, comme << sagement socialistes, prudemment socialistes ». Pareille ambiguïté eût été peu digne de la chaire romaine. Le vicaire du Christ ne peut parler aux peuples comme un candidat, du balcon d'un hôtel de ville, ou de l'estrade des réunions publiques. Pour lui, le socialisme est demeuré ce qu'il était pour ses prédécesseurs, une erreur antisociale condamnée par l'Église.

En ce temps de confusion, où le scepticisme des ambitieux jongle impudemment avec les mots et les formules, celá seul est une leçon de moralité que la papauté nous donne à tous, d'autant que, en réprouvant ce mot de socialiste, elle s'enlève, sciemment, une prise sur les masses qu'elle prétend reconquérir. Il est bon que les mots gardent le sens que leur avait donné l'usage, non seulement afin qu'en parlant l'on se puisse entendre, mais aussi, parce qu'il est mauvais que les défenseurs et les adversaires de la famille et de la propriété se donnent le même nom et se rangent, même en apparence, sous la

« PreviousContinue »