Mémoires d'outre-tombe, Volume 3

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E. et V. Penaud frères, 1849
 

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Popular passages

Page 265 - Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d'interprète à la mort, m'ont frappé. Je suis devenu chrétien. Je n'ai point cédé, j'en conviens, à de grandes lumières surnaturelles : ma conviction est sortie du cœur; j'ai pleuré et j'ai cru.
Page 265 - Le souvenir de mes égarements répandit sur ses derniers jours une grande amertume : elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j'avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère : quand la lettre me parvint au delà des mers, ma sœur elle-même n'existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d'interprète à la mort, m'ont frappé.
Page 361 - A droite et à gauche du chemin se montraient des châteaux abattus; de leurs futaies rasées il ne restait que quelques troncs équarris, sur lesquels jouaient des enfants. On voyait des murs d'enclos ébréchés, des églises abandonnées dont les morts avaient été chassés, des clochers sans cloches, des cimetières sans croix, des saints sans tête et lapidés dans leurs niches. Sur les murailles étaient barbouillées ces inscriptions républicaines déjà vieilles : Liberté, égalité, fraternité...
Page 300 - Nul , dans une littérature vivante , n'est juge compétent que des ouvrages écrits dans sa propre langue. En vain vous croyez posséder à fond un 'idiome étranger ; le lait de la nourrice vous manque, ainsi que les premières paroles qu'elle vous apprit à son sein et dans vos langes : certains accents ne sont que de la patrie.
Page 301 - Quand le mérite d'un auteur consiste spécialement dans la diction, un étranger ne comprendra jamais bien ce mérite. Plus le talent est intime, individuel, national, plus ses mystères échappent à l'esprit qui n'est pas, pour ainsi dire, compatriote de ce talent.
Page 315 - Ainsi, un. autre talent supérieur a évité mon nom dans un ouvrage sur la Littérature. Grâce à Dieu, m'estimant à ma juste valeur, je n'ai jamais prétendu à l'empire...
Page 264 - L'idée d'avoir empoisonné les vieux jours de la femme qui me porta dans ses entrailles, me désespéra : je jetai au feu avec horreur des exemplaires de YEssai, comme l'instrument de mon crime ;' s'il m'eût été possible d'anéantir l'ouvrage, je l'aurais fait sans hésiter. Je ne me remis de ce trouble que lorsque la pensée m'arriva d'expier mon premier ouvrage par un ouvrage religieux : telle fut l'origine du Génie du Christianisme.
Page 290 - Donnons-nous garde d'insulter au désordre dans lesquels tombent quelquefois ces êtres puissants; n'imitons pas Cham le maudit; ne rions pas si nous rencontrons nu et endormi, à l'ombre de l'arche échouée sur les montagnes d'Arménie, l'unique et solitaire nautonnier de l'abîme. Respectons ce navigateur diluvien qui recommença la création après l'épuisement des cataractes du ciel : pieux enfants bénis de notre père, couvrons-le pudiquement de notre manteau.
Page 141 - On ne souhaite plus le retour des mois riant à la terre; on le craint plutôt : les oiseaux, les fleurs, une belle soirée de la fin d'avril, une belle nuit commencée le soir avec le premier rossignol, achevée le matin avec la première hirondelle, ces choses qui donnent le besoin et le désir du bonheur, vous tuent. De pareils charmes, vous les sentez encore, mais ils ne sont plus pour vous : la jeunesse qui les goûte à vos côtés, et qui vous regarde dédaigneusement, vous rend jaloux et...
Page 302 - On soutient que les beautés réelles sont de tous les temps, de tous les pays : oui, les beautés de sentiment et de pensée; non, les beautés de style. Le style n'est pas, comme la pensée, cosmopolite ; il a une terre natale, un ciel, un soleil à lui.

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