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missionnaires, les peuples infidèles n'attendent que cette liberté pour accourir en foule au baptême.

Le centre d'action des nations chrétiennes, c'est l'Europe, Elle a aussi sa constitution hiérarchique, des nations-chefs qui exercent la principale influence sur son gouvernement général et forment son aristocratie. Mais l'étude de cette hiérarchie n'est nullement nécessaire pour établir que le retour de l'Europe à l'unité religieuse et à une politique chrétienne ne peut s'opérer qu'avec le concours des classes influentes et lettrées. D'où il résulte, comme je vous le disais, que la première condition du salut spirituel et temporel de l'Europe, et, par l'Europe, du monde, c'est la conversion de la bourgeoisie.

D. Quant au salut temporel, soit; mais vous me paraissez exagérer l'influence des hautes classes sur le salut des âmes, qui, ce semble, est l'œuvre de la grâce divine, de l'action morale du sacerdoce et de la bonne volonté des individus.

R. Au point où nous en sommes, il me paraît que vous devriez comprendre que, pour les nations élevées par le christianisme et placées sous le gouvernement spécial du monarque éternel, le salut temporel est subordonné au salut spirituel, et que l'égarement des âmes y entraîne des bations sociales.

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Le salut éternel des individus dépend sans doute du con

et les éclaireurs des flottes et des armées de la nation qui les envoie, n'est que trop confirmée par la propagande biblique, dont le but visible est la ruine des missions catholiques et l'extension indéfinie du commerce et de la puissance anglaise. Quant à nos divisions religieuses, où ne sont-elles pas connues ? -« Lorsque lord Macartney dut partir pour sa célèbre ambassade, S. M. B. fit demander au pape quelques élèves de la Propagande pour la lạngue chinoise, ce que le pape s'empressa d'accorder. Le cardinal Borgia, alors à la tête de la Propagande, pria à son tour lord Macartney de vouloir bien profiter de la circonstance pour recommander à Pékin les missions catholiques. L'ambassadeur le promit volontiers, et s'acquitta de sa commission en homme de sa sorte ; mais quel fut son étonnement d'entendre le collao, ou premier ministre, lui répondre que l'empereur s'étonnait fort de voir les Anglais protéger au fond de l'Asie une religion que leurs pères avaient abandonnée en Europe. » Du Pape, I. III, ch. 1.

cours des trois causes que vous avez indiquées, et au tribunal de Jésus-Christ nul ne sera admis à faire valoir cette raison : « J'attendais, Seigneur, que les gens de lettres et les grands me donnassent l'exemple de la fidélité à votre loi. » Mais il n'en est pas moins vrai que, si l'exemple des hautes classes n'empêche pas la grâce divine d'arriver aux âmes, il exerce une incalculable influence sur la volonté des individus et l'action morale du sacerdoce. Exposons ici en deux mots, et avec la réserve que commande le sujet, l'opinion qui m'a toujours paru la plus plausible touchant la prédestination du grand nombre.

Il y a sans doute des élus prédestinés, c'est-à-dire des ames tellement prévenues des dons de la grâce, que, quels que soient les obstacles qu'elles rencontrent en elles-mêmes et au dehors, elles en triompheront librement, mais infailliblement, sinon dès la première heure du combat, du moins à la dernière. Dieu seul, qui l'a fixé, connaît le nombre de ces âmes. Il y a des fils de perdition qui, par l'abus opiniâtre de la lumière divine, en ont conçu le mépris, la haine, et ont fait un pacte avec les ténèbres. Dieu seul encore les connaît, et il est permis de croire que le nombre en est petit.

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Entre ces deux classes qui seront, pour ainsi dire, l'élite des habitants, l'une de la cité céleste, l'autre de la cité infernale, il y a les grandes masses qui vont où leurs guides les conduisent. Les trois ministres de la paternitě divine, pères, prêtres, gouvernants (1), s'accordent-ils à les mener dans les voies de la justice chrétienne; emploient-ils à cette fin les trois grandes puissances éducatrices : exemple, parole, discipline (2), il y aura, sans doute, des désordres individuels, domestiques, des scandales, de la tiédeur dans un grand nombre; mais enfin, entrainée, portée par les forts, la masse entrera au port du salut. Au lieu de cela, les chefs, les aînés de la nation donnent-ils aux chefs de fa

(1) Voy. liv. III, Quatrième commandement. (2) Liv. I, Quatrième fait, ch. 2.

mille l'exemple de l'irréligion, de l'immoralité, le sacerdoce pourra par des prodiges de zèle retarder les progrès du mal; mais il perdra tous les jours du terrain, et il ne devra pas attendre que les temples soient vides pour se préparer à l'exil et à l'échafaud.

Quiconque voudra considérer ce qui se passe, en petit, dans les paroisses, en grand dans les États, et l'influence qu'y exerce en bien ou en mal l'exemple des sommités sociales, trouvera probablement que mon opinion sur la prédestination des masses a les caractères d'un fait, chez les peuples chrétiens. Quant aux nations de l'Asie, toujours rebelles aux sommations de l'Évangile, et chez lesquelles les prodiges du dévouement apostolique n'ont pu arracher à l'idolatrie que de très-faibles minorités, il est manifeste que la résistance des masses y est le résultat de la pression des gouvernants. Règle générale : les grands décident du salut des petits. De là ces paroles : Un jugement très-dur attend ceux qui président. La miséricorde sera pour le petit; mais les puissants seront puissamment tourmentés (1).

En rapprochant ces considérations de celles que nous avons faites dans le premier livre (troisième fait, ch. 1), vous m'accorderez, je pense, les déductions suivantes.

I. D'après les lois générales de l'ordre moral, ce sont les sommités sociales, les dépositaires du pouvoir, du savoir et de la richesse, qui décident en très-grande partie du sort temporel et éternel des multitudes. Et si Dieu a dérogé à ces lois dans l'établissement du christianisme, c'est une exception qui pourrait bien ne pas se reproduire.

II. Les nations non chrétiennes sont des troupeaux d'enfants soumis à la direction de leurs chefs, et ceux-ci sont encore des enfants qui céderaient infailliblement à l'influence morale de nos gouvernements, si la politique extérieure de ces derniers se montrait désintéressée et chrétienne.

(1) Sagesse, VI, 6, 7.

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III. L'Europe ne reviendra aux principes de la politique chrétienne qu'autant qu'elle rentrera dans l'unité catholique.

IV. L'opposition au catholicisme n'existe plus, avec quelque puissance, que dans les classes gouvernantes des pays séparés par le schisme et l'hérésie, et, en pays catholiques, que dans la bourgeoisie la moins éclairée.

V. Le moyen le plus prompt, le plus énergique d'en finir avec l'esprit anticatholique, c'est le fléau des objections incarnées, vivantes et hurlantes dans le socialisme.

On ne voulait pas voir l'incarnation de l'éternelle vérité et charité, toujours subsistante, toujours plus éclatante, dans l'Église catholique, à mesure que les siècles s'entassent derrière elle. On a vu, et si l'on n'a pas bien vu, on verra de plus près l'incarnation de l'erreur et de la haine.

On se moquait du salut éternel des âmes et du tableau, peint par Jésus-Christ, des noirs abîmes où il n'y a que rage, pleurs, grincements de dents et feu qui ne s'éteint pas. Eh bien, voilà l'enfer qui ouvre ses portes et va nous donner une image de ses éternelles horreurs, en déployant ses bataillons altérés de carnage, armés de torches, de poignards, de tous les moyens de destruction. On ne s'en moquera pas.

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N'y a-t-il pas dans ce plan une adorable sagesse ?

D. Cette démonstration du catholicisme par l'anticatholicisme pur, arrivant en chair et en os, creusant la fosse de ceux qui l'ont appelé, et disant: Me voici! cette démonstration, dis-je, est d'une grande puissance; mais triomphera-t-elle de tant d'obstacles? Votre quatrième déduction ne réduit-elle pas trop le nombre des ennemis du catholicisme?

R. Que le nombre de ces ennemis soit plus grand que je ne le suppose, c'est une circonstance qui n'ôterait rien à la puissance du fléau. Il s'ensuivrait seulement qu'il devrait frapper plus fort pour atteindre le but providentiel. Mais

j'espère vous faire voir que les obstacles qui nous séparent du but ne sont pas tels qu'ils vous paraissent.

CHAPITRE X.

Qu'il y a dans toute l'Europe un besoin trop pressant de l'unité catholique, pour que la résistance soit durable.

D. Sur quoi fondez-vous l'existence de ce besoin? R. Sur trois faits : nos progrès matériels, la marche des esprits supérieurs, l'instinct universel du vrai peuple.

1. Nos progrès matériels. Ces progrès dans nos moyens de communication sont tels que, avant dix ans, l'Europe sera une grande ville dont on pourra parcourir les quartiers les plus éloignés en quelques jours. Du coin de leur feu, les habitants de Saint-Pétersbourg et de Moscou lieront conversation avec les habitants de Madrid et de Lisbonne. Le Norwégien jouera la partie d'échecs avec les bourgeois de Naples et de Messine. Les abîmes des divers océans ne feront pas obstacle à la circulation électrique de notre parole, et les expéditions si hardies de nos navigateurs autour du globe deviendront des promenades vulgaires. Le cap de Bonne-Espérance, Pondichéry, Calcutta, Pékin, Nangasaki, Botany-Bay, etc., seront des faubourgs de la grande métropole de l'univers : l'Europe.

Or, quel pensez-vous que doive être (d'abord en Europe) le résultat de ce prodigieux abouchement des âmes, séparées jusqu'ici par d'énormes distances et soumises exclusivement à l'influence des préjugés nationaux?

D. Le résultat de ce frottement me paraît devoir être un redoublement d'ardeur pour les jouissances et les affaires matérielles. Si les inimitiés religieuses et nationales viennent à s'éteindre, ce sera dans les bras de l'indiffé

rence.

R. Tel serait bien le résultat naturel de la grande fu

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