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que saluait Siméon, tous l'attendent, les Samaritains comme les Juifs ; et lorsque Jean-Baptiste paraît, annonçant le salut de Dieu, on croit d'abord qu'il est le Christ c'est l'opinion de tout le peuple 2. Ceux de Jérusalem lui députent des prêtres et des lévites, pour le savoir de lui-même; et il faut que Jean proteste solennellement qu'il ne l'est pas, qu'il est seulement la voix qui l'annonce 3. Cela explique plusieurs traits de l'Évangile qui, au premier abord, pourraient sembler contradictoires Pourquoi tout le monde court à Jean, pourquoi les Pharisiens et les Sadducéens eux-mêmes viennent à son baptême : -il s'est dit le Précurseur, il prépare les voies; nul ne conteste son titre, tous veulent se préparer ;- et pourquoi Jésus qu'il a salué l'Agneau de Dieu, celui qui ôte le péché du monde (Jean, 1, 29), rencontre partout des adversaires! Cela fait comprendre encore pourquoi Jésus se proclame le Fils de Dieu dans Jérusalem devant ces scribes et ces Pharisiens qui ne savent que lui contredire ; et pourquoi il évite de se manifester de la même sorte parmi ces populations de Galilée, qui se soulèveraient à la nouvelle que le Christ est venu, qui, un jour, le devinant à ses miracles, accouraient pour le prendre et le faire roi o.

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Les disciples eux-mêmes partagent l'erreur populaire ils savent qu'il est le Christ, et ils le suivent dans les travaux de sa prédication; mais ils attendent le moment où il se déclarera par l'établissement de son règne. Aussi sont-ils frappés d'étonnement quand

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il leur annonce qu'il doit être livré, qu'il doit souffrir, qu'il doit mourir '. Ils ne comprennent pas cette parole; et la promesse de la résurrection ne leur dessille pas les yeux : les enfants de Zébédée lui demandent encore les deux places d'honneur dans son royaume ! A son dernier voyage à Jérusalem, ils purent croire qu'il venait enfin pour régner, quand tout le peuple accourait à sa rencontre, portant des palmes et couvrant le chemin de vêtements ou de branchages, et que, de toutes parts, retentissaient les cris: Hosanna au fils de David! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur 2!» Mais que Jésus soit livré par un traître, qu'il tombe en la puissance de ses ennemis, alors les Apôtres oublient les paroles par lesquelles Jésus luimême avait voulu les affermir dans cette épreuve : tant ils l'avaient peu compris, tant le préjugé universel était fort dans leur âme ! Ils fuient, ils se dispersent 3; il semble que pour eux aussi l'illusion soit dissipée. Tout le reste y répond. Les ennemis de Jésus l'accusent d'avoir voulu se faire roi; le peuple qui l'avait reçu comme tel, voyant son espoir trompé, se retourne contre lui, ne tenant plus que pour un imposteur celui qu'il avait salué l'envoyé du Seigneur, le fils de David! et quand on lui offrira un prisonnier à délivrer, il criera : « Non pas lui, mais Barabbas'!»-Jésus-Christ mort, on put croire un instant qu'ils ouvriraient les yeux. La fermeté des Apôtres, la hardiesse de leurs paroles et les miracles dont ils les appuyaient, leur donnèrent peut-être à penser qu'ils avaient mal com

1 Luc, ix, 44, 45 et xvIII, 31-34; Matth. xx, 17; Marc, x, 32. 2 Matth. XXI, 8 et suiv., etc. 3 Matth. XXVI, 56, etc.

Joan. XVIII, 33, 40, etc.

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pris leurs prophètes, et que Jésus était le Christ ; et plusieurs se convertirent'. Mais la masse s'endurcit; et on les vit prêts à se donner de nouveau au premier imposteur qui se dirait le Christ, hâtant par là cette ruine suprême qui les devait punir, selon la prophétie de Jésus lui-même, de n'avoir pas connu le jour où Dieu les visitait 2.

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Les Évangiles ne se bornent pas à présenter dans un tableau fidèle la situation politique et morale de la Judée, les divers princes de la maison d'Hérode, les diverses sectes de la nation, sa haine contre l'étranger, ses entraînements vers un Messie qui répondît à ses idées charnelles ils décrivent dans les circonstances les plus délicates les relations des Juifs avec le peuple qui les domine, faisant à chacun sa part, sans se tromper sur aucun de ces points où tout autre qu'un contemporain attentif eût été bien des fois induit en erreur. Les Romains sont les maîtres : ils gouvernent par leur procurateur; ils ont les droits qui sont le signe de la domination, je veux parler de l'impôt et du droit de mettre à mort3. Mais les Juifs ne sont pas déchus, autant qu'on l'eût pu croire, par l'effet de l'établissement d'une domination étrangère. Ils ont non-seulement leur temple, mais leur loi; ils ont toutes les anciennes formes de leur administration religieuse et civile : leur grandprêtre, leur conseil et toute la hiérarchie des prêtres et des lévites; ils ont même leurs impositions spéciales pour le service du temple'; ils ont leur juridiction particulière, la police avec une garde qui leur est

' Act. II, 41; v, 14; vi, 1, etc.
3 Matth. XXII, 17; Joan. XVIII, 31.

2 Luc, XIX, 44.

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Matth. XVII, 23.

propre, le droit d'arrêter les coupables et même de leur infliger certains châtiments de degré inférieur2. Il y a dans l'histoire évangélique une scène où ce qui touche au droit ou à la coutume, soit des Juifs, soit des Romains, se trouve mêlé de telle sorte, que tout autre qu'un historien du temps et un témoin des faits s'y serait infailliblement fourvoyé, je veux parler de la Passion. Les Évangélistes ont-ils échappé au péril? L'épreuve ici est décisive: prenons leur récit dans l'ordre des faits, et voyons jusqu'à quel point il soutiendra le contrôle de l'histoire 3.

Le principal auteur de la mort de Jésus-Christ, celui qui fit prévaloir dans le conseil cet avis hypocrite, digne d'être flétri à jamais par l'application qu'il reçut alors « Il faut qu'un homme meure pour tout le peuple, » c'est Caïphe le grand-prêtre. Caïphe a servi de prétexte à une double accusation contre les Évangiles, contre saint Luc et contre saint Jean. Le pontificat selon la loi était un et perpétuel. Or, saint Luc dit qu'au moment où va commencer la prédication de saint Jean-Baptiste, Anne et Caïphe étaient grandsprêtres (ш, 2); et saint Jean, au temps de la Passion, dit que Caïphe était le grand-prêtre de l'année (xvIII, 13).- Mais le pontificat ne se trouvait plus dans les conditions des anciens temps. Il n'était point double sans doute, et il n'était point annuel; et ni saint Jean ni saint Luc n'en ont fait comme une image de l'ancien consulat romain. Mais il était rare qu'un grand-prêtre se maintînt, selon son droit, dans sa charge jusqu'à la

1 Matth. xxvi, 47 et xxvII, 65.

2 Act. iv, 3; v, 18, 40.

3 Voy. en particulier le chapitre de Lardner, I, VII, Circumstances of our Saviour's last sufferings; et après lui, Tholuck,'qui l'a suivi, p. 347 et suiv. Joan. xvIII, 14.

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mort. Les Romains, comme l'avaient fait jadis les rois de Syrie, élevaient ou déposaient à leur gré les pontifes, de telle sorte qu'il y en avait souvent plusieurs qui avaient été revêtus de cette dignité, et retenaient parfois de la perpétuité inhérente à sa nature, une sorte de primauté parmi les Juifs et jusque dans le conseil. En était-il ainsi au temps dont parlent les Évangélistes? qu'on en juge par ce que dit l'histoire : A l'avénement de Tibère, dit Josèphe, Valérius Gratus, substitué à Rufus dans le gouvernement de la Judée, dépouilla du pontificat Ananus (Anne) pour en revêtir Ismaël, fils de Fabus; et bientôt après, il l'enleva de même à celui-ci pour le confier à Éléazar, fils du grandprêtre Ananus. Mais au bout d'un an, il lui ôta cette dignité à lui-même et la donna à Simon, fils de Canith. Celui-ci ne l'avait pas exercée plus d'un an, qu'il fit place à Joseph, surnommé Caïphe. Gratus passa onze ans en Judée, après quoi il revint à Rome, et eut pour successeur Pilate'. »

Caïphe était donc grand-prêtre avant l'arrivée de Ponce-Pilate, au plus tard en la douzième année de Tibère (26 de l'È. V.). Il cessa de l'être peu après que Pilate eut cessé lui-même de gouverner la Judée, destitué comme lui par Vitellius, qui, par là, voulait se rendre agréable aux Juifs (vers l'an 36 de l'È. V.)2. C'est donc bien lui qui était grand-prêtre, comme le dit saint Jean, en l'année où Jésus-Christ fut mis à mort. Mais ce qui suit, comme ce qui précède, marque et l'instabilité du pontificat, et le grand crédit que gardait

1 Ant. XVIII, II, 2.

2 Ibid. iv, 2 et 3. Voy. pour les dates le chapitre (ch. IV, ci-après) consacré à la chronologie.

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